La honte |
Noir et blanc |
Mustapha Mohammedi |
Liberté : 04 – 01 – 2011 |
Il y avait un drôle de train dans les années 1960. Je ne sais pas s il existe encore. Il assurait quotidiennement la liaison entre les villes de Relizane et de Béchar. 800 km de rail, “kho”, il fallait se les farcir. On devait traverser les plaines du Sersou, les monts de Tiaret et de Saïda puis, débouler sur la Saoura.
Pour emprunter un tel tacot, on était, soit légèrement givré, soit complètement bargeot. Elle était si poussive cette tortue et si déglinguée qu’on avait fini par l’appeler Texas. Elle pouvait atteindre jusqu’à 5 km à l’heure en pleine vitesse. Pour passer le temps et embêter le contrôleur, on s’asseyait sur les marchepieds ou on descendait du train en marche pour cueillir des coquelicots. Après avoir joyeusement gambadé dans la prairie, on remontait sur notre chenille métallique. Quand ils arrivaient à destination, au bout de vingt heures de calvaire, les pauvres voyageurs, ou ce qu’il en restait, étaient à ramasser à la petite cuillère. Vous me direz que c’est du passé, que les choses ont bien changé et que ce teuf-teuf d’un autre âge doit être sûrement dans un musée. Détrompez-vous, son petit cousin est toujours là dans le circuit. Il y a deux semaines, dans le rapide Alger -Oran, les clients ont crevé de froid parce que des responsables ont oublié d’ouvrir le chauffage des wagons. À la sortie d’oued Rhiou, en rase campagne, le train s’est arrêté pour attendre le passage d’un autre omnibus. Des voyageurs en ont profité pour descendre et voler des artichaux d’un champ voisin. Lorsque l’omnibus arrive, il fonce à une telle vitesse qu’il arrache par son souffle deux vitres du train à l’arrêt qui atterrissent sur les têtes de deux jeunes filles qui resteront figées par la peur pendant plusieurs minutes. Des passagers courageux tenteront de visser ces glaces mais sans succès…
C’est pas le Far West ça ?
19 mai 2011
Contributions, M. MOHAMMEDI