El-Guellil ne s’en remettra pas de sitôt. Il faut avoir la vie longue et la mémoire courte pour oublier. Il faut avoir le coeur aux vestiaires avant de regarder. Il faut oublier que l’on sait écrire et, par conséquent, oublier avoir lu «Les Misérables». Il faut aussi marcher vite et oublier que l’on circule à Oran.
En Algérie. Dans son propre sang qui circule sous la peau de l’autre. Il faut aussi baisser la tête et se dire que ce n’est pas la faute du Guellil. Il faut changer de nationalité et d’espèce pour pouvoir passer à côté, en touriste. En colon. En observateur insensible. Dans cette avenue, il faut s’occuper du brillant de ses chaussures et de la peinture des immeubles coloniaux pour ne pas troubler la chemise propre de sa propre conscience. Car, c’est dans cette rue que cela se passe. A Oran. A la rue Larbi Ben M’hidi.
La rue était presque vide et donc, la scène plus criarde. Sous le barreaudage qui protégeait la large vitrine de ce large magasin de meubles dernier cri, deux enfants allongés à même le sol dormaient profondément. Ils avaient pour seules couvertures des toiles en plastique. Derrière la vitrine, ces articles venus d’ailleurs. Derrière les barreaudages, des tapis aux couleurs chatoyantes. Derrière la vie possible, ces richesses de l’au-delà ne leur étaient pas destinées. Ils ont été réveillés à coups de pied par l’ouvreur du magasin. Ils prennent leur literie et s’installent en face, sous les arcades de leur partie du pays. Pour eux, rien ne semblait exister, sauf qu’El-Guellil n’a pu se résoudre à déchirer la page et à passer son chemin. Il le pouvait de moins en moins, heureusement. Mais, c’était quand même rien. Il faut beaucoup d’effort pour oublier. Et ce n’est pas du misérabilisme. C’est seulement l’habitude qui mena El-Guellil à passer à côté de l’Algérie. Celle du moment qui auditionne ses personnalités politiques sur les prochaines réformes.
18 mai 2011
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