Noir et blanc
Mustapha Mohammedi
Liberté : 07 – 05 – 2011
Il suffit d’une toute petite pluie et Oran s’emballe et se transforme en bourbier. Tout est gris. Brusquement gris. les couleurs s’estompent et les lignes dépassent les courbes. Les uns pataugent dans la glaise, les autres dans les flaques.
Elles sont partout ces eaux charriées au détour d’une terre molle et friable, elles rongent les chaussées, envahissent les ronds-points.C’est en cette période d’arrière-saison finalement que l’on découvre dans toute leur laideur les tares d’une ville construite en carton pâte et dont on ne cesse de vanter les mérites. Les avaloirs sont bouchés, les regards sont noyés, les chantiers sont à l’arrêt. Les grues sont immobiles. Il faut chausser des bottes pour marcher dans la périphérie. À Sanchidrian, les routes à mi-chemin entre les pistes de campagne et les Sentiers des sangliers sont impraticables. Les banlieues de Raz El-Aïn et des Planteurs sur les hauteurs sont des égouttoirs grandeur nature. Elles reçoivent de plein fouet tout ce qui dégringole du djebel Murdjadjo et le répercutent presque intégralement en aval sur les bidonvilles de Sid El-Houari et le quartier de la marine. En plus de tous les déchets que pareille descente suppose. On trouve de tout dans ces torrents lâchés à toute vitesse.Des bouteilles en plastique par exemple, des cailloux et bien sûr les ordures ménagères que les éboueurs ont oubliées d’enlever. La ville fraîchement repeinte prend des allures lugubres. Les sanglots d’un ciel anormalement bas ajoutent à l’atmosphère un air sinistre. Il y a du crépuscule dans les nuages, du spleen dans la ville, de la mélancolie sur les visages et une langueur aux accents de haut bois… Les vieux paysans, qui habitent souvent à la lisière des grands ensembles en béton et qui connaissent la terre, disent volontiers que cette pluie tardive n’est bonne ni pour le sol ni pour les récoltes. Et encore moins, j’imagine, pour les mignons de la cité, car ces petites natures doivent faire attention à leur gel et à leurs baskets. À leur tête et à leurs pieds. Triste décor d’une époque où les seuls repères sont la griffe et la marqua.
18 mai 2011
Contributions, M. MOHAMMEDI