Bouteflika a marché sur ses propres traces à Tlemcen mais avec hâte et brièveté. Son dernier discours est déjà mort, et le pays, un instant soulevé par la passion de l’attente et l’exercice musculaire de la spéculation, est revenu à sa routine :
il ne s’est rien passé. Il n’y a pas eu de miracle. Belkhadem n’a pas été capturé à Tiaret et filmé dans un tricot de peau. Personne n’a pris un dernier avion dans la précipitation. Personne n’a crié «Benali h’rab». Il n’y a pas eu de foule dans les rues, ni pour saluer le discours ni pour le dénoncer. Rien n’a changé. Le pays continue mais sans lui-même. Des Algériens terroristes tuent d’autres Algériens, on regarde El Jazeera pour exciter en soi des souvenirs de martyrs qu’on n’a pas vécus, le matin, on achète et on se plaint, le soir, on prie et on zappe. Signe que le discours de Bouteflika n’a pas fait la révolution, c’est que personne n’a rien fait après. Aucun ministre ne se sent inquiété, aucun corrompu, aucun parti. Dans quelques jours, on aura une crise de semoule, des marches seront interdites, des travailleurs feront grève, il fera chaud, l’argent manquera dans des bureaux de poste et la première dizaine, des noyés seront repêchés sur les plages. Rien ne bouge : comme si le pays est profondément atteint dans sa volonté de vivre. D’ailleurs, le piège mou est total : Bouteflika ne fera pas la révolution douce et le peuple ne veut pas faire la révolution dure. Trop fatigué après un millénaire de colonisation, sept ans de décolonisation, plusieurs décennies d’actes manqués. D’ailleurs, il est étrange de voir combien la vie des Algériens ressemble à la vie de leur Président mais sans l’admiration et l’amour : lorsque Chadli a été chassé du Pouvoir, le peuple a été chassé du pays vers les montagnes. Lorsque Boudiaf a été tué, des centaines de milliers d’Algériens ont été tués. Lorsque Zeroual a démissionné, des millions d’Algériens n’ont fait d’autre pendant des années. Lorsque Bouteflika a cru avoir enfin un destin, les Algériens vont enfin avoir un espoir. Lorsqu’il les a déçus, ce sont les Algériens qui sont rentrés chez eux. Lorsqu’il a fait grève, des millions d’Algériens ont fait grève. Lorsqu’il a choisi de voyager intensément, des milliers d’Algériens ont choisi de prendre la mer vers le nord. Aujourd’hui, Bouteflika ne fait rien et ne peut rien faire et donc, les Algériens ne font rien en répétant qu’ils ne peuvent pas plus. Que se passera-t-il si Ouyahia devient Président ? Tous les Algériens s’enrichiront de vendre du vent mélangé à des chiffres. Et si c’est Belkhadem ? Les 12 S de Tiaret se vendront en euros.
12 mai 2011
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