Un article d’un confrère sur les aventures de l’argent sale ou de l’argent caché a fait réagir avec violence à Oran et pour cette cause : Oran y est présentée comme une ville de débauche financière avancée et une place forte de cette fameuse mafia politico-financière née de la jonction entre le pétrole et l’illégitimité. «C’est injuste. Pourquoi Oran uniquement alors que tout le pays est gangrené ?», réplique un homme d’affaires connu dans l’Ouest.
La mise au point s’appuie sur un argumentaire simple : ceux qui volent le pays cachent leur argent, le transfèrent à l’étranger et vident les coffres par crainte d’une révolution possible ; ils n’ont pas de nationalité, ni de région, ni d’adresse : ils sont, ils prennent, ils vont.
«Les vraies places financières sont ailleurs et Oran n’est qu’une vache à traire pour ceux qui opèrent avec plus d’intelligence que de simples bandes de malfaiteurs», dit-on ici. «Pourquoi on ne parle pas des autres lobbys autrement plus puissants et qui ne parasitent pas seulement l’économie d’une région mais un Etat entier ?».
D’où donc la vraie question : pourquoi lorsqu’on parle d’Oran, la réaction est toujours aussi épidermique à Oran ? Réponse simple : l’Ouest est victime d’une double accusation : d’avoir laissé passer l’armée des frontières, qui ne veut plus lâcher Alger depuis cette date, et d’avoir servi d’extraits de naissance à ceux qui tiennent le volant aujourd’hui. Du coup, la région est parfois décrite comme un foyer ténébreux de sales réputations financières et est accusée de maternité illicite pour un groupes d’hommes qui l’entretiennent et y assouvissent leur instinct de prédation.
«Le procès est politique pour cette ville et cette région : on l’accuse de ce qu’on accuse les hommes forts d’aujourd’hui». C’est-à-dire vol, fraude fiscale et autres sournoiseries. Est-ce vrai ?
«Non : les hommes qui volent n’ont pas de nationalité» et ceux qui se réclament d’un clanisme géographique «n’ont jamais rien fait pour cette région. Pire encore, je vous jure : la première des choses qu’ont faite certains lorsqu’ils sont arrivés au Pouvoir par l’Ouest, c’est de couper leurs téléphones et de punir leurs anciens soutiens», explique-t-on. On aura donc compris : les susceptibilités régionales sont encore vives dans le pays et se réactivent à chaque occasion sur le socle d’anciennes rancunes.
Pire encore, le «régionalisme» a ceci de spécifique qu’il n’aide en rien la région accusée : les soutiens de Messali ont été de fervents Kabyles et les disciples de Boumediène ont fait ses armées à l’Ouest et Ouyahia n’a jamais été le Matoub de la Kabylie. «C’est nous qui sommes régionalistes, pas le Pouvoir», dira un éminent sociologue un jour au chroniqueur.
Le procès d’une Oranie place de l’argent sale a pour arrière-scène «le procès d’une caste politique qui ne nous a rien apporté, qui nous coûte en terme de réputation, qui nous coupe du reste du pays et qui explique pourquoi on juge l’Oranie à travers les tribulations de quelques-uns de ses prétendus enfants». «Ils l’ont soutenu ? Qu’ils le payent maintenant !», dira un jour un acteur du premier cercle interrogé sur la raison de l’acharnement judiciaire contre un homme d’affaires à l’Ouest accusé d’avoir expatrié des fonds. «Ce qui se passe dans le pays, Oran n’en est pas responsable : elle en paye le prix comme tout le reste du pays. Venir ici et parler d’argent sale, c’est un peu trop facilement croire avoir découvert le lieu du crime».
La règle veut «qu’un homme n’est pas responsable de son père et qu’une région n’est pas responsable de certains de ses fils. Ce dont on accuse l’Oranie est un crime national qui se passe ici et ailleurs et c’est trop facile d’y accuser tout le monde. Le procès de Bouteflika et des siens ? Faites-le à Alger, pas ici !». Abyssales mémoires d’autrefois donc. Question de fond : quand va finir cette polémique ? Quand disparaîtront les derniers souvenirs des guerres de wilayas et ses derniers acteurs. Peut-être.
12 mai 2011
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