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Le mépris, ce carburant de la fronde sociale par Farouk Zahi

11 mai 2011

Contributions

Il vit présentement au jour le jour, ce vieux fonctionnaire qui avait délibérément opté pour le service public.

Il baisse la tête et n’ose plus affronter le regard des autres. Maitre d’école anciennement, il se voit dépassé par nombre de ses élèves. Il eut même la gorge nouée, non pas par l’émotion, mais par le dépit lorsqu’un jour, l’un d’eux lui glissa discrètement une enveloppe dans la poche. Il supposa qu’il s’agissait de la dime de la zakat et c’était malheureusement vrai. La générosité du geste taillada encore dans le vif. Les costumes qu’il s’obligeait à porter lorsqu’il officiait ne sont plus qu’un lointain souvenir. Elégamment portés jadis, forcément ringards aujourd’hui, ils ne vont même plus à son corps décharné. Une discrète virée au marché de la fripe lui permet encore de cacher sa misère. Son sac plastique à rayures plié dans la poche devient un attribut lui collant au corps ; il lui permet encore d’être en rapport avec la frugalité imposée par son maigre revenu. Il se rappelle, non sans amertume, ce temps de pain béni où tout le monde mangeait à sa faim, où il immolait bon an mal an, son mouton de l’Aid. Il s’est fait plus tard à l’offrande des voisins, qu’il acceptait mal au début. Ardent défenseur des constantes nationales, il croyait à l’utopique édification nationale par le seul génie du socialisme spécifique. Structuré dans une kasma FLN, il refaisait le monde jusqu’à en oublier les siens. Il arrivait qu’une fois ou deux il eut à s’attabler avec le Mouhafedh (Commissaire du Parti) ; il se sentait presque l’égal de son directeur de l’Education. Il ne savait pas à l’époque qu’il ne servait la cause que par sa qualité de nègre. Il s’échinait à rédiger d’emphatiques rapports sur les acquis locaux de la révolution en marche. Il se prêtait volontiers aux caprices des uns et des autres pour se défendre, un tant soi peu, de cette francité coloniale. On supposait niaisement, que seuls les fils de caïd ont pu aller à l’école française qui d’ailleurs n’était pas permissive, comme certains seraient tentés de le croire. Aiguillonné, le gros des troupes allait à l’école normale de Bouzarèah ou à l’école des adjoints techniques de la santé de la rue du Traité. Culpabilisé, notre instit se surprenait à prêter allégeance au responsable politique inculte pour s’éviter les regards tors. L’article 120 de sinistre mémoire, annonçait avant l’heure ce qui sera qualifié bien plus tard et sous d’autres cieux, de concept de discrimination positive. Il se rappelle des fastes années où il passait des vacances de villégiature en bord de mer au camp scout de Sidi Fredj ou à Tichy avec la jeunesse FLN. Se contentant parfois d’en parler pour épater les siens, il n’y pense même plus. Espérant ardemment effectuer le rite religieux du Hadj, il n’eut droit qu’à une Omra grâce à un hasardeux tirage au sort. Les frais y afférents étaient pris en charge par la Mutualité de l’Education.

Introduit, il obtenait facilement un lot à bâtir ; il ne put en construire que le rez- de- chaussée. L’étage projeté n’est qu’un spectre métallique fait de rond à béton rouillé. Les enfants qui ont grandi à pas feutrés, le surprenaient par leur voracité matérialiste ; il ne se reconnaît plus dans sa propre progéniture. Le reproche à peine voilé qu’on lui fait est de s’être nourri d’idéaux désuets et d’avoir raté le coche. On lui susurrait de changer de domicile ; mais avec le temps, la demande devint plus pressante. La plus value du domicile qu’il a construit au prix de privations, est en mesure de faire acquérir un logis de moindre standing résidentiel et de monter une affaire. Le couple de vieux pourra toujours se faire à un F3 du parc immobilier dit social où la procuration a, superbement supplanté l’acte de propriété. Si le 24 du mois, date usuelle de paiement des pensions de retraite est déjà éprouvante dans l’encaissement et le décaissement, elle devient cauchemardesque avec l’échéance trimestrielle des charges de l’électricité, de l’eau et du téléphone quand il existe. Heureux encore que les dépenses pour soins courants demeurent à la charge du contribuable par le système de protection sociale encore debout. En rentrant chez lui, il essayera d’emprunter un chemin plus long que d’habitude, évitant ainsi et momentanément les créanciers. Le « pactole » de 20.000 DA, dont on a soustrait le « bakchich » du guichetier de la poste pour service rendu, sera gardé pour reddition de comptes avant sa distribution intégrale en parodiant le geste auguste du semeur. L’alimentation générale emportera une grande partie, le reste, presque rien, lui donnera l’illusion de vivre comme tout le monde. La lecture, jadis autorisée par l’édition étatique, lui permettait de lire deux ou trois ouvrages par mois. Plus maintenant, les restrictions matérielles lui accordent à peine un à deux titres de la presse quotidienne. Cette déshérence est pratiquement identique pour tous ceux qui ont cru servir le pays par le don de soi. Avilis par la chose publique à laquelle ils ont cru, ils subissent en silence son incurie. La prébende qu’ils dénonçaient à cor et à cri, leur fait insolemment le pied de nez. Pour rappel, ce jeune médecin qui au lendemain de l’indépendance, a opté pour la médecine de santé publique ouverte aux plus démunis, s’est vu gratifié au crépuscule de sa vie, d’une pension de retraite de 15.000 DA. Nombreuses ces familles aussi, qui à la disparition du père fonctionnaire furent priées de vider les lieux qui les abritaient quand l’expulsion manu militari n’était pas brutalement instrumentalisée. Le libéralisme sauvage n’a pas fini de faire des victimes expiatoires d’une gouvernance sans sextant. Clé de voûte d’une classe moyenne laminée depuis lors, ce fonctionnaire, jadis adulé, devient l’exemplarité de l’échec social et même familial.

Il aimait revoir ses anciens élèves qui ont gravi l’échelle sociale de la réussite. Il en tirait une légitime fierté ; il se disait qu’après tout, les efforts consentis n’ont pas été vains. Depuis quelques temps, cette vision idyllique a bien changé et hideusement. Au détour d’une ruelle qui débouche sur le boulevard principal de sa ville, il fut surpris par le spectacle qui s’offrait à lui. Une escouade de jeunes, habillés d’une combinaison orange, était affairée à balayer la rue. Jusque là, rien d’anormal si ce n’est les bretelles et la bavette rabattus sur le tronc de chacun. Jurant par sa couleur criante, cette incongrue tenue de travail focalise les regards sur le dossard sur lequel on peut lire : « Agence nationale du développement social- Blanche Algérie ». Ces « damnés » du ruisseau n’ont trouvé pour seule parade à l’humiliation que de dissimuler l’injurieuse inscription. L’ADS, cette honorable institution créée au lendemain du lancement du dispositif du filet social, était censée tracer une politique de promotion sociale pérenne. Ce processus qui devait à l’époque être intérimaire, dans l’objectif d’une relance économique annoncée est, apparemment, apparu comme la solution durable d’un marché du travail dont les contours ne semblent pas se dessiner encore. Si la salubrité publique est une noble mission du cantonnier qui en fait volontairement son métier, elle ne doit pas être imposée à des jeunes amoindris par leur situation socio économique et transformés en hommes sandwichs publicitaires. L’argent déboursé par l’institution qui plus est, provient du Trésor public, ne doit pas servir d’ode homérique pour chanter les vertus d’un quelconque commis de l’Etat dont la mission cardinale est de servir d’abord. Faut-il pour cela stigmatiser par une couleur voyante, cette masse de jeunes vulnérabilisée par le sort qui la frappe et en faire un baveux sujet de discussion pour congénères mieux lotis ? La question demeurera posée tant que les laudateurs de tout bord ne cesseront pas, de faire croire au Chef qu’ils sont plus dignes de ce pays que d’autres ingrats.

Le vieux fonctionnaire, plus aigri que jamais, paraphrasant une vieille sentence « Humiliez…humiliez…il en restera toujours quelque chose ! » ne s’empêchera pas de diriger un regard fuyant vers les restes calcinés d’un bureau de poste. Il s’allongera comme de coutume devant son téléviseur pour suivre d’une rétine ondulante, une image surfaite et d’une oreille ossifiée un discours inaudible. Et comme pour tourner le couteau dans la plaie, il apprenait ce jour là que l’un de ses collègues en activité assurait subsidiairement, une fonction de gardiennage nocturne pour tiers à l’effet d’arrondir ses difficiles fins de mois. Après tout, marmonnera-t-il : « Nous, nous avons trimé dans l’honneur ! ».

À propos de Artisan de l'ombre

Natif de Sougueur ex Trézel ,du département de Tiaret Algérie Il a suivi ses études dans la même ville et devint instit par contrainte .C’est en voyant des candides dans des classes trop exiguës que sa vocation est née en se vouant pleinement à cette noble fonction corps et âme . Très reconnaissant à ceux qui ont contribué à son épanouissement et qui ne cessera jamais de remémorer :ses parents ,Chikhaoui Fatima Zohra Belasgaa Lakhdar,Benmokhtar Aomar ,Ait Said Yahia ,Ait Mouloud Mouloud ,Ait Rached Larbi ,Mokhtari Aoued Bouasba Djilali … Créa blog sur blog afin de s’échapper à un monde qui désormais ne lui appartient pas où il ne se retrouve guère . Il retrouva vite sa passion dans son monde en miniature apportant tout son savoir pour en faire profiter ses prochains. Tenace ,il continuera à honorer ses amis ,sa ville et toutes les personnes qui ont agi positivement sur lui

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