En vérité, il s’agit d’une seconde génération de dictateurs à laquelle se confronte la colère des peuples « arabes» : celle des dictateurs-voyous. Loin de la génération des pères fondateurs, genre Boumediene
et Nasser, il ne s’agit pas aujourd’hui de dictateurs venus au pouvoir par le mythe et le calcul, la grandeur de vision et le canon de la conquête ou le grade, rois idéologiques, fervents de leurs visions de l’avenir et défenseurs d’une utopie finale. Non. Là, c’est la seconde génération : d’anciens Secrétaires Généraux de partis, d’anciens ministres favoris, d’anciens pilotes aimés du régime, d’anciens colonels, d’anciens seconds personnages qui grandissaient dans l’ombre et la rumination et qui sont venus au pouvoir par défaut du meilleur et avec la psychologie de la revanche ou du besoin de venger leurs sorts. On les retrouve dans tout le monde arabe, généralement trente ans après la décolonisation et dix ans après le dernier coup d’Etat. Perfides, envieux, colériques, aigris et vieux, ce sont donc les fils autoproclamés des Premiers Pères des nations, les enfants ratés des révolutions, et qui reviennent prendre la revanche sur le destin ou remplacer les illustres morts en tentant de leur ressembler : soit par la moustache, soit par le discours, soit par la promesse. C’est pourquoi il est si difficile de les arracher : ces dictateurs de la seconde génération n’ont pas de dignité et sont si peu honnêtes qu’on ne peut leur opposer le principe, mais seulement la force. C’est l’époque du dictateur utilitaire d’une famille d’hommes d’affaires, de castes, de « Services » et de consensus de la minorité gouvernante ou de fournisseurs étrangers. Le Dictateur n’est plus un Général ambitieux, tourmenté par un monologue sans fin et fort d’une armée sans horizons, mais un prête-nom électoral, le PDG d’une société anonyme regroupant des intérêts, des « Moukhabarates », des archives d’assassinats et quelques clans dont les noms sont les labels de gros contrats stratégiques sur ce que la nation vend ou achète. D’ailleurs, le Dictateur arabe n’est plus le gardien de la Révolution comme autrefois, mais le triste berger d’un puits de pétrole. Son heure se mesure à son débit et son destin est celui du robinet, mime malheureux et minuscule des anciennes rivières sans fins.
Tristes fins donc aujourd’hui pour ces seconds couteaux des décolonisations : ils sont pris entre la gloire d’autrefois, et qui n’est pas la leur, et l’infamie que leur réservent les colères collectives d’aujourd’hui. C’est l’histoire des Rois Voyous. Impossibles à arracher que par le sang, vindicatives divinités, envieuses raisons d’Etat. Et là où les dictateurs d’autrefois avaient de l’ambition pour eux-mêmes en passant par leur pays, ceux d’aujourd’hui ne peuvent rêver à autre chose qu’à leurs fils et à leurs descendances et passent leurs mandats à se défendre au lieu de conquérir. A tuer, mais le désordre de la panique. Une psychologie de la frustration est possible pour ces cadets terribles de la décolonisation et qui sont venus au Pouvoir par accidents et qui y restent par nostalgie et par meurtres et autres délires de la stagnation. C’est le cas commun dans presque tout le monde arabe : quand le dictateur n’est pas le fils raté de son père, il est l’ancien ministre, son maître, le pilote de son employeur, le Roi-gamin des temps modernes.
17 avril 2011
Contributions