Que fait-on quand le pays est dans l’impasse? On adopte une nouvelle constitution. Une solution pour ne pas s’ennuyer.
Coïncidence ? Au lendemain de la tournée effectuée fin février par le sous-secrétaire d’état américain William Burns dans le monde arabe, avec des escales remarquées à Alger et Rabat, l’Algérie et le Maroc ont tous deux fait savoir leur intention d’amender la constitution. Mais si le Maroc l’a fait de manière franche, par la voie de la personne la plus officielle qui soit, le Roi Mohamed VI lui-même, l’Algérie a choisi des méthodes si archaïques que personne, en dehors de quelques cercles initiés, ne sait s’il faut vraiment prendre cette initiative au sérieux.
Au Maroc, Mohamed VI a fait un discours clair, affirmant sa volonté d’aller vers un régime parlementaire plus prononcé, pour donner plus de pouvoir au parlement et, à travers lui, au gouvernement. Le fera-t-il réellement, pour aller à un régime parlementaire classique, et glisser progressivement vers une monarchie constitutionnelle ? De sérieux doutes planent encore à ce sujet, et l’opposition marocaine l’a fait savoir.
Mais d’ores et déjà, des changements significatifs sont relevés. Avec la manière dont le Roi du Maroc s’est exprimé : un discours bref, concis, d’une très grande sobriété, traçant un cap politique très clair. «Aucun dirigeant arabe ne fait un discours de six minutes», a relevé un homme politique algérien. «Aucun dirigeant ne s’exprime avec une telle précision et une telle clarté». Et même si certains courants politiques marocains estiment que le Mohamed VI intervient trop tard, et que la réforme doit aller plus vite et plus loin, le souverain marocain a fait preuve d’une certaine habileté en essayant de reprendre la main, au moins pour garder l’initiative et rester maître du jeu.
En Algérie, par contre, c’est le flou le plus total. Deux personnes se sont exprimées sur la révision de la constitution, les chefs de deux partis de l’alliance présidentielle, Abdelaziz Belkhadem et Bouguerra Soltani. Les deux hommes sont au gouvernement depuis plus de dix ans. Ils ont déjà participé à deux amendements de la constitution sous Abdelaziz Bouteflika. Et ils veulent en faire un troisième. Parce qu’ils s’ennuient, mais aussi parce qu’ils sont des pros du droit constitutionnel : M. Belkhadem a déjà participé à l’élaboration de deux autres constitutions sous Chadli Bendjedid, et Soltani a participé la préparation de la constitution adoptée sous M Liamine Zeroual !
Mais au fait, changer la constitution, pour quoi faire ? Elargir les libertés ? Mettre en place un système politique plus adapté aux réalités du pays et au monde moderne ? Personne ne soupçonne Bouguerra Soltani d’avoir de telles pensées. Il s’agit, en fait, de régler une situation que subit le pays depuis plusieurs années, depuis que le président Abdelaziz Bouteflika est tombé malade. Celui-ci est physiquement diminué, alors que le pays fait face à une situation difficile, avec une contestation sociale très large, sur fond d’un tsunami démocratique qui déferle sur le monde arabe.
Dans une telle conjoncture, le pays a visiblement besoin d’un pouvoir dynamique, capable d’anticiper, d’aller vite, de prendre l’initiative pour imposer un changement au lieu de le subir. A défaut, le pays a besoin d’un pouvoir capable de réagir rapidement, de répondre sans délai à une situation qui évolue à un rythme accéléré.
C’est dans ce contexte qu’une vieille recette est proposée : introduire le poste de vice-président dans la constitution. Cela permet de régler deux problèmes à la fois : créer un centre de décision capable de suppléer les difficultés physiques dont souffre le chef de l’Etat, et régler la question de la succession, car le vice-président sera naturellement appelé à devenir président à la fin du mandat de M. Bouteflika.
Quitte à égrener quelques lapalissades, ceci impose des évidences qu’on a tendance à oublier. En premier lieu, que le pouvoir veut régler ses problèmes, pas ceux de l’Algérie. Que MM. Belkhadem et Soltani font partie des cercles du pouvoir, et leurs intérêts sont aujourd’hui étroitement imbriqués dans ceux du pouvoir. Ils sont donc mandatés pour vendre une solution qui permet de régler temporairement des problèmes du pouvoir, qui sont les leurs.
Les Etats-Unis, qui poussent eux aussi à un changement, veulent anticiper une situation qui peut devenir dangereuse pour eux. Washington pense en effet que les régimes arabes en place, même alliés, constituent désormais une menace, car ils cristallisent la contestation et le radicalisme. Il faut donc les remplacer par d’autres, plus efficaces et plus conciliants.
La société algérienne, quant à elle, a d’autres aspirations. Elle veut du pain, mais aussi de la liberté, de l’efficacité économique et du progrès social. Ses aspirations, souvent mal formulées, s’expriment parfois de manière violente. Peuvent-elles être conciliées avec celles du pouvoir ?
Quand M. Abdelhamid Mehri propose un débat pour aller à un changement qui ne laisse personne sur le bord de la route, il prône une solution raisonnable, qui tienne compte des intérêts de chacun, ou du plus grand nombre. Si une telle solution n’est pas mise en place, à l’initiative ou avec l’accord du pouvoir, d’autres arbitrages l’imposeront, tôt ou tard. L’arbitrage de la rue. Ou des Etats-Unis.
18 mars 2011
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