La Ligue arabe vient de demander au Conseil de sécurité d’intervenir pour imposer une zone d’exclusion aérienne en Libye.
Est ce un acte courageux de la Ligue arabe devenue enfin sensible aux aspirations d’un peuple arabe, ou bien un acte dans la continuité de la Ligue arabe, telle que nous l’avons toujours connue, depuis des décennies, c’est à dire silencieuse si ce n’est consentante devant les agressions contre les peuples arabes en Palestine, en Irak, au Liban et ailleurs, insensible à leurs souffrances, avalant elle et son Secrétaire général toutes les humiliations.
La réponse viendra tôt ou tard des faits. On saura alors si cet appel à l’ingérence étrangère, s’il est suivi d’effet, aura profité au peuple libyen, ou bien aggravé ses souffrances, rendu la situation en Libye encore plus compliquée, et porté atteinte à son indépendance.
Mais il est déjà permis de douter que la Ligue arabe actuelle, comme par miracle, ait soudain changé. Le remède risque, en effet, d’être pire que le mal. Aucune ingérence, aucune intervention armée étrangère n’a apporté du bien à un peuple arabe. L’expérience l’a montré, en Irak ou ailleurs. Lors des deux guerres contre l’Irak, dont la deuxième pour y «exporter la démocratie», les peuples arabes et du monde entier, ne s’étaient pas laissés tromper. Ils s’étaient retrouvés dans d’immenses manifestations contre l’agression américaine. Et ce sont d’ailleurs les mêmes Etats arabes, l’Arabie saoudite et les monarchies du Golfe, qui poussent actuellement le plus à l’intervention armée en Libye, qui s’étaient joints alors à cette agression.
Certains Etats occidentaux voudraient que l’Histoire se répète. Ils rêvent de mettre, à mort, devant nos yeux El Gueddafi, comme ils l’ont fait de Saddam Hussein. Comme le faisait l’empire romain pour dominer les peuples barbares.
LA DEMOCRATIE SOUS PROTECTORAT
Aujourd’hui, comment un démocrate arabe pourrait-il attendre un quelconque bien, par exemple du Président Sarkozy et de son conseiller Bernard Henry Levy, qui poussent farouchement à l’intervention militaire. Ces deux hommes ont une large responsabilité dans le développement de l’Islamophobie et l’Arabophobie en France. Ils se sont faits, dernièrement, de plus en plus les champions d’un ultranationalisme français qui rejoint et conforte celui du parti raciste français du «Front national», Comment un patriote arabe pourrait-il il se retrouver en pareille compagnie et y voir une solution pour la démocratie et la liberté en Libye.
Les vrais amis du peuple libyen sont ceux qui aideront les forces qui s’affrontent à trouver un compromis historique, pacifique. Là aurait du être le rôle de la Ligue arabe, et des Etats arabes de bonne volonté, celui de proposer leur médiation, comme l’a fait le président Chavez, et de trouver une solution qui conjugue intérêt national et aspirations démocratiques du peuple libyen. Toute autre solution serait désastreuse pour la démocratie:
- Celle d’une continuation du régime actuel, qui n’a pas de légitimité démocratique mais retrouverait une légitimité nationale en cas d’ingérence étrangère.
- Celle d’une solution «démocratique» sous protectorat occidental comme en Irak.
Il est intéressant de noter que ce sont les mêmes Etats, l’Arabie saoudite et les monarchies du Golfe, qui ont le plus pesé en faveur d’une intervention militaire en Libye, qui ont aussi décidé d’intervenir et de s’ingérer militairement dans le royaume de Bahreïn. Mais ils le font eux contre un mouvement populaire massif et pacifique alors qu’en Libye, la situation est bien moins claire, avec peu ou pas de manifestations de masse d’un côté comme de l’autre, et un conflit qui a été très vite armé de part et d’autre. Mais, à bien regarder, la contradiction n’est qu’apparente: la création d’un point de fixation des énergies arabes autour de la Libye, ainsi que la répression ou le refoulement du mouvement démocratique populaire à Bahreïn concourent, au fond, toutes deux à stopper la vague de la révolution démocratique arabe avant qu’elle n’atteigne les monarchies et la région du Golfe, là où les enjeux stratégiques sont les plus grands, au niveau des ressources en hydrocarbures et du système financier mondial.
En Libye, c’est d’ailleurs le drapeau de la monarchie libyenne qui a réapparu. On est donc devant un paradoxe: la révolution démocratique (au sens des révolutions démocratiques antiféodales d’Europe des 18 ème et 19 ème siècles) n’a pas en fait encore touché les monarchies arabes.
Politiquement, ces monarchies sont encore féodales par bien des aspects malgré la modernisation économique spectaculaire notamment de la région du Golfe. La contradiction entre cette nouvelle modernité et des structures politiques archaïques, et donc le besoin de démocratie, y sont d’autant plus ressentis. Elles ont été jusqu’à présent un des éléments essentiels du blocage de l’évolution du monde arabe et de sa vulnérabilité à la domination externe. Au siècle précédent, beaucoup de monarchies arabes, en Egypte, en Irak, en Syrie, avaient été renversées, pour laisser la place à des républiques. Puis la vague républicaine s’était arrêtée. Les monarchies survivantes ont peu à peu pris une grande influence sous la protection occidentale. Et au final, ce sont les républiques arabes qui sont devenues de plus en plus «monarchiques».
La vague démocratique actuelle serait elle une reprise du travail resté inachevé au siècle dernier. Sera-t-elle aussi une vague républicaine, en allant plus loin que la revendication de monarchies constitutionnelles. C’est en tout cas la grande crainte des monarchies arabes.
18 mars 2011
Contributions