Un pays, c’est une terre plus un mythe. C’est-à-dire un rêve national plus des chaussures. Le chroniqueur a passé la nuit à zapper sur les TV égyptienne et tunisienne. Le constat est douloureux : ces pays vivent peut-être la peur, le désordre, le cafouillage des naissances et les anarchies, mais ils ont un point en commun : ils rêvent. Les gens, dedans, ont renoué avec les chansons patriotiques non toxiques, avec l’hymne, la liberté de dire et de crier, l’enthousiasme et le bousculement
devant la porte du lendemain. C’est toute la différence avec nous : en Algérie, la peur du chaos a créé la soumission au quotidien. C’est un choix. Un proverbe algérien explique bien que «la fortune du peureux est maigre» mais cela ne semble pas déranger la majorité. A la fin, tous en sont conscients : l’avenir a un prix. On peut le payer maintenant et voir ses enfants vivre libres et mieux, ou ne rien faire, et voir ses propres enfants vivre la même vie plate et sécurisée que soi. Face à la Révolution possible, les Algériens réagissent avec la consternante lucidité du salarié chez un patron privé et tout le monde sait que les contrebandiers sont plus amusants et que les salariés sont des fréquentations ennuyeuses. Sur l’échelle des dissolutions et des maturités, on est loin de l’esprit de 54, de 62 et d’octobre 88 : l’étincelle a fini dans la flamme du feu au foyer.
Bien sûr, il s’agit de ne pas juger : il y a des peuples qui, comme la Suisse, sous le IIIème Reich ont su garder les sous et la neutralité. Mais cela reste un peu tiède, peu sucré, sans saveur mais sans risque. C’est l’angle dur du monde désenchanté. Et c’est cela qui fait le brillant et le risque de pays nouveaux comme la Tunisie et l’Egypte : la possibilité de ré-enchanter le monde et d’y mêler la naïveté du révolutionnaire et l’entreprise de la nouvelle époque.
C’est la distance réduite qui se creuse, au bout de chaque décolonisation, entre le Héros et le Secrétaire Général des traditions parti unique libérateur, régime en acte solitaire. C’est ce qui fait que, deux mois après la victoire de l’Egypte sur l’Ex-Egypte chassée honteusement comme une plaie, le chroniqueur se remet à regarder les TV de ce pays : on y voit des gens qui parlent, des «Services » qui tombent, des ministres qui sont jugés, des syndicats enfin représentatifs, des journalistes qui osent, des manifestants tentés par le désordre, des menteurs qui se repentent, des analyses, des banderoles, de belles photos de gens qui marchent sur la Lune et l’espoir. L’espoir, ce furieux animal que l’on fabrique avec le cœur et le compte à rebours entre soi et le paradis. Bien loin de l’Algérie dont l’unique acte et de s’être opposée à la zone d’exclusion aérienne au-dessus de la Libye où Kadhafi tue les siens avec des bombes. Oh misère des vieillissements mauvais !
15 mars 2011
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