Quoique l’on dise, les révolutions dans le monde arabe, celles en cours ou celles à venir, peuvent être résumées par une seule formule : des indépendances en cours de réfection. Au fond, quand on regarde de loin, à travers le récit de chaque peuple et l’angle de ses martyrs et de son courage inattendu, il s’agit d’un retour brutal, violent,
douloureux à l’an zéro, au moment du soupir, pour reprendre le calendrier par les cheveux et le pousser vers un autre sentier. Se libérer des libérateurs, a écrit le chroniqueur il y a quelques mois. Refaire la guerre et la mort et martyrs et le drapeau et l’histoire et le galon et la fleur saccagée et le cercueil et le cri et la femme et tout ce qui va avec en partant de l’accouchement et jusqu’au bond vers le nuage, mais à partir d’un autre chronomètre que celui qui a conduit aux routes mauvaises, aux trottoirs mal faits et aux élections volées avec des milliards emportés et des vies réduites en prison ou poussées à l’immolation. C’est cela. C’est la conclusion après presque un mois de réflexion pour trouver l’essence du geste et la signification ravie par le bruit des bombes ou des cris. C’est ce qui explique que chaque pays vit sa révolution différemment : l’Egypte a fait chuter Moubarak avec l’art et la manière dont elle a usé pour chasser les Anglais et le Roi Farouk. En Tunisie, Ben Ali a connu le même sort qu’il a concocté pour Bourguiba. En Libye, cela se fait dans la violence et le crime comme lorsqu’on a pendu Omar El Mokhtar. En Algérie ? Cela prend du temps. Comme pour la guerre de Libération et le colonialisme : sept ans inclus dans 132 ans. En vérité, il s’agit, pour les peuples arabes, de remonter le temps, même aux frais de la mort et de la blessure, de revenir vers ce moment inaugural qui a été réduit à un mensonge, de reprendre le compte des morts et des martyrs et de se lancer dans une meilleure guerre, peut-être la dernière avant la modernité et le droit de gambader sur la lune. L’écart du crime entre la dictature et la joie de l’indépendance est si criard qu’il a fini par provoquer la fracture et la reprise des révolutions. Les jeunes veulent reprendre le flambeau (Ô expression usée jusqu’aux allumettes !) pour parfaire ce que les aînés ont à moitié accompli : l’indépendance. Le chroniqueur l’a déjà écrit : les dictateurs se comportent, profondément, comme de vrais colons : semoule, charme, fausses élections, armes lourdes, massacres, chameaux loués par des brigands, recrutement de harkis et de supplétifs, offres de faux dialogues, statuts grimaçantes de la célébration et places publiques à renommer, ancêtres pendus et petits-fils sans soins dentaires. Et les peuples se souviennent d’avoir croisé ces gens-là avant la décolonisation. Ils se souviennent et reprennent la rue et les armes et l’espoir. C’est cela : une décolonisation. La bonne. Celle qui évite de commencer par un parti unique, un état-major, des leaders qui vont mal vieillir, des héros et des pères fondateurs. Rien, juste l’essentiel : le nu et le cri. Toute révolution est une remontée vers les commencements. Un réglage des horloges sur le rythme des premiers cœurs courageux.
8 mars 2011
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