hamidechiboubakeur@yahoo.fr
En lançant un appel à la dépénalisation du délit de presse, un comité national (CNLP), d’ailleurs essentiellement composé de journalistes, a-t- il succombé à une sorte de corporatisme au moment où le combat global porte sur le respect des libertés publiques en général parmi lesquelles celle de la presse est comprise ?
Pour notre part, nous ne le croyons pas même si, dans la proximité du mouvement qui se met laborieusement en place, l’on peut penser différemment. Car au-delà de toute la subjectivité selon laquelle est abordée la question du contenu de nos journaux, il y a impérativement leur indépendance, en permanence menacée, qui à elle seule explique et justifie cette initiative, «corporatiste» pour certains. En effet, d’année en année, le constat se fait continuellement depuis 2001, date de la promulgation des fameux articles 144 et 144 bis, sans que l’on parvienne à infléchir le caractère liberticide des pratiques du pouvoir politique. Car enfin nul n’ignore que ce ne sont pas les tribunaux qui distinguent en toute indépendance ce qui est délictueux dans les écrits des journaux de ce qui relève du libre exercice de la critique. Or, c’est ce harcèlement par le biais de lois infâmes qui doit cesser afin de montrer la nature réelle du régime et démontrer, par voie de conséquence, que l’alibi du droit ne fait pas de lui un meilleur régime que ceux qui sévissent ailleurs d’une manière brutale. Le temps est peut-être venu de mettre fin aux avanies subies par la presse depuis tant d’années. Or, cet objectif est-il simplement réalisable à travers les canaux de l’ensemble de la société ou bien exige-t- il une mobilisation spécifique dans la mesure où le palais et ses dépendances ont décrété très tôt qu’elle était «l’ennemi intime» auquel ils réservèrent les méthodes les plus répressives ? Sans aucun doute les journalistes pétitionnaires ont plus d’une raison d’engager le fer immédiatement. Celui qui doit permettre de débusquer les mises en scène de l’appareil d’Etat qui ne renonce toujours pas à recourir aux procès même si de nos jours il espace l’enrôlement des juges. Le processus de culpabilisation des journalistes, qui lui a notamment servi par le passé, a laissé des traces dans les rédactions. Par une sorte de croisade inquisitoire qui soupçonnait dans chaque écrit critique un crime de lèse-majesté il parvint à éroder la pugnacité de ces journaux surgis dans le foulée d’Octobre 88. La vindicte inaugurale (1999) du président en personne (tayabate el hammam) donnera le la à la future instrumentation de la justice. Obsédé par sa liberté de ton et son relatif affranchissement du briefing officiel, Bouteflika en fera son abcès de fixation dès son élection. Depuis, il usera de tout ce qui lui semblait possible pour la déconsidérer faute de pouvoir la ruiner dans sa totalité. Au diktat sur la publicité institutionnelle, ses ministres en appelleront aux imprimeries d’Etat pour qu’ils soient tatillons sur la solvabilité de certains titres et pas avec d’autres. Enfin, le point d’orgue de sa chasse sera atteint à travers l’incarcération et les amendes en cascades ordonnées après des simulacres de procès. Evoluant d’un mode opération à un autre, son pouvoir finit par n’avoir comme moyen de coercition que la judiciarisation de l’exercice journalistique. La crainte qu’une trop grande liberté d’expression lui fût préjudiciable le poussa à cet extrémisme qu’il ne manquera pas d’ailleurs d’administrer à certains militants de partis politiques réfractaires. Après une dizaine d’années d’une pareille galère, comment donc ne pas donner acte à cette profession du droit de singulariser ses revendications tout en étant solidaire de toutes les autres ? Les libertés étant indissociables, chacune d’elles est pourtant en légitimité d’agir pour les siennes sans que l’on y voie derrière la démarche un quelconque travail fractionnel. C’est au nom de ce combat multiforme que les journalistes parlent justement de cette abrogation. En effet, que valent à eux seuls la liberté de réunion politique ou le droit collectif d’exprimer son désaccord en l’absence de relais de la communication et la diffusion des doléances ? Autrement dit, les libertés publiques n’existent qu’avec une presse libre de toute contrainte pénale sinon elles ne dépasseraient pas le seuil des cercles des initiés. Au stade actuel des enjeux et d’un possible changement de régime, la presse et son devenir constituent une carte maîtresse dans une perspective démocratique. Elle exige d’être défendue en priorité. Elle qui a besoin moins d’avenir politique pour peser que d’un cadre juridique dépénalisé saura, par elle-même, éviter les ostracismes idéologiques. A ce moment-là, nul ne pourra s’aventurer à exiger que l’ensemble des journaux écrivent avec la même encre. Pour l’instant, cette presse n’en est pas là. Elle se bat toujours contre une insupportable férule juridique et ne comprend pas que l’on puisse toujours marchander autour de ce préalable jusqu’à lui préconiser la «patience». «Attendre», lui dit-on en guise de lucide sagesse quand il faut justement bousculer l’ordre des choses.
B. H.
Source de cet article :
http://www.lesoirdalgerie.com/articles/2011/03/05/article.php?sid=113756&cid=8
5 mars 2011
Contributions