par Kamel Daoud
Deux histoires. Celle d’un jeune Algérien du village natal du chroniqueur, connu par ses deux gros cartables de documents qu’il promène depuis 03 ans pour créer une petite entreprise laitière et un élevage de vaches.
Le jeune homme avait tout fait, essayé et entrepris : photocopies, légalisations, documents, factures, actes, etc. Son parcours dure depuis o3 ans et jusqu’au dernier moment, face à un cadre des services de l’agriculture qui lui répondra : «Je ne peux pas croire qu’un jeune avec ta coiffure (une queue de cheval) puisse élever des vaches». Trois ans à parcourir la distance entre ce que dit Bouteflika et ce qui se passe dans la terre nationale. La seconde, vue à la télé : une mère de Sidi Bouzid, le village tunisien qui renversa Benali. Elle raconte comment elle avait été reçue par le dictateur après l’assassinat de son fils. Le dictateur qui lui montra qu’elle ne pouvait pas se plaindre de la misère puisqu’elle possédait, selon les rapports, 15 vaches. La vieille femme ne possédant, en vérité, que 05 poules pondeuses, mais l’effet boule de neige ascendant du mensonge, de maire au commissaire au wali, l’avait présentée comme une riche rentière.
Ces deux histoires montrent au moins une chose : la démocratie n’est pas un luxe, une revendication de troublions ou une «menace». C’est le seul moyen de surveiller la dépense publique, de mettre fin à l’excès et de faire coïncider la responsabilité avec le Pouvoir. Avant-hier, Bouteflika et son système ont annoncé d’importantes mesures pour les jeunes. Logements, emplois, crédits, etc. Il faut saluer le geste mais sourire de son avenir. Bouteflika voudra bien faire, par nécessité ou par conviction, il ne le peut plus. La gouvernance algérienne n’a plus de ressources humaines suffisantes et honnêtes pour accomplir la révolution douce. On peut annoncer le paradis en «haut», au bas de l’échelle n’en arrivera à la bouche que la brindille. Les mesures de Bouteflika sont bonnes mais elles ne peuvent pas passer du geste à l’acte avec l’actuelle équipe de ministres, l’armée des walis et la bureaucratie. La corruption en mangera la moitié. Le reste sera dilapidé par l’Administration, la bureaucratie, le népotisme. La raison ? Rien ne «surveille» la dépense publique. Les Algériens ne se sentent pas impliqués ni responsabilisés. La décennie 2000-2010 a vidé le pays de la vraie société civile, d’un corps d’élus valables, de syndicats reconnus, d’une presse forte. On a tué la représentativité au point où le Pouvoir est aujourd’hui coincé dans un dramatique monologue. Les villes et villages algériens sont vidés des forces de propositions, les APC et APW ne valent presque rien, les ministres sont connus soit par leur mépris, soit par leurs incompétences criardes, soit par cette hypocrisie qui leur fait scolariser leurs cadets à Londres et donner aux aînés des bureaux d’études fictifs et des expertises au biberon du baril.
Bouteflika pourrait vouloir éviter au pays un drame, il semble ne pas comprendre : les Algériens ne demandent pas une mangeoire mais un pays. Un chiffre ne rêve pas et les Algériens veulent un rêve, un destin, une utopie. Oum Dourmane l’a prouvé : le rêve est plus fort que la statistique. Les Algériens ne demandent pas la démocratie dans le cadre d’un complot international ou d’une opposition malhonnête. Non : ils veulent la démocratie pour rêver, surveiller les 40 voleurs, parler librement, voyager dans leur terre, être fiers, se sentir pleins du consentement des ancêtres et de l’amour des descendants. Les Algériens ne veulent pas détruire ce pays mais le sauver de ceux qui le détruisent en douce. Les nouvelles mesures sont bonnes mais c’est encore l’histoire de la vache racontée plus haut. Des walis élus, des polices au service du citoyen et pas contre lui, des journaux dignes, des télés libres, des rêves pour tous et des élections sans fraudes, ouvertes aux jeunes, réellement et pas par folklore, etc. Voilà ce que veut l’Algérie. Donner plus d’argent ne convoque pas les plus honnêtes mais les plus rapaces. Le pays n’est pas pauvre : il est triste. Les Algériens veulent le travail, le logement mais aussi une définition du bonheur qui ne ressemble pas à un colis alimentaire. Au Soudan nu, ils ont été heureux avec un casse-croûte et un ballon.
25 février 2011
Contributions