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Contribution citoyenne au débat par Med Benelhadj

19 février 2011

Mohamed Benelhadj

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Le long chemin de la refondation
Une séquence politique inédite, annonciatrice d’un grand soir rien moins qu’aléatoire, donne l’occasion aux fantômes d’un passé pas si lointain de s’accorder toutes les audaces et toutes les projections, pour une représentation digne des grandes heures du théâtre de Boulevard. On devine Feydeau à l’ouvrage et quelques duègnes en chaperons.
Frayeur dans les palais


Revenus de leurs erratiques randonnées, s’étirant comme au sortir d’un long assoupissement, les bras en croix, de glorieux patriciens s’éveillent à l’alternative salvatrice. Enserrée dans la difficulté, voici la plèbe sommée de choisir ses nouveaux prophètes. Les alliances se nouent et se dénouent au gré des appréciations savantes ; chaque chefaillon égrenant son chapelet de médication pour une sortie de crise dont il espère évidemment les dividendes les plus larges et si possible les plus immédiats. L’heure est à l’urgence. Marions la carpe et le lapin et allons-y gaiement. La révolution ne peut attendre. Il y a le feu au lac.
L’arrière pensée se profile comme le nez au milieu de la figure : il faut se placer, vite, vite.
La révolution tunisienne est partie d’un incident d’une ordinaire banalité. Un jeune diplômé chômeur est victime d’une provocation policière. Par un geste désespéré et brutal, l’immolation, il met littéralement le feu aux poudres. Le pays s’embrase. En quelques semaines le système despotique chancelle puis s’écroule. Le caïd mafieux et sa suite se réfugient chez leurs pairs saoudiens.
Une société civile qui n’était docile qu’en apparence prit le train en marche, fit corps avec les jeunes des réseaux sociaux, qui n’étaient apolitiques qu’en apparence, pour charpenter et donner sens aux revendications brouillonnes qui montaient du pays profond. Un slogan simple comme bonjour mais d’une densité extraordinaire
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rassembla la nation, au-delà de toutes les différences sociales et de toutes les frontières psychologiques. « Ben Ali dégage ! ». Il dégagea.
Lancé à la face de son compère Egyptien par les foules du Caire, d’Alexandrie et d’ailleurs, le mot d’ordre de ralliement meurtrier fit céder les digues et les soutiens étrangers qui le bordaient, telle une forteresse inexpugnable. Les contorsions géostratégiques et les intérêts supérieurs d’Israël n’ont rien pu y faire ; Moubarak fut exfiltré, in extrémis, de son palais par ses généraux.
Au Soudan, où l’enturbanné local a sacrifié le tiers du territoire pour se maintenir au pouvoir, au Yémen, en Jordanie, au Koweït même et jusque dans le petit sultanat de Bahreïn, les trônes vacillent. Les valets patentés de l’ordre injuste sont pénétrés de frayeur. Donnée pour morte sous nos tristes tropiques, la liberté qui n’était qu’endormie, s’est redressée sur sa tombe et toise ses fossoyeurs d’un regard inquisiteur. Longtemps encore elle sera pour eux l’oeil d’Abel pour Caïn.
L’émeute à l’affût
Le peuple algérien dans sa composante la plus éclairée ne saurait demeurer à l’écart de tels bouleversements. La difficulté dans le cas d’espèce ne réside pas seulement dans la nécessaire distance entre l’évènement prévisible et la conscience de sa signification. La jacquerie, jamais éteinte, toujours recommencée, ignorée des sérails bien nés, s’autorise désormais des incursions au coeur des villes ; l’émeute taquine les lignes de front. Nul n’est à l’abri. Cette claire conscience du danger immédiat rend dérisoires les bousculades dans le microcosme et devrait inciter à la prudence ceux qui voudraient s’offrir une virginité à peu de frais. Tout comme elle devrait inciter les tenants du régime à moins d’arrogance dans leur rapport à la société.
Sans doute ni les uns ni les autres n’ont-ils la juste mesure du désastre qui s’annonce.
D’aucun, du haut de sa chaire lyonnaise, nous propose de décapiter simultanément les deux institutions les plus hautes de la république, la Présidence et les services de sécurité de l’armée. Qu’ils partent tous, nous dit-il, péremptoire. Rien moins que cela. On ne sait ni où,
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ni quand, ni comment, ni même pourquoi. Mais, se cachant derrière son petit doigt, l’auteur de cette proposition, suggère le nom d’un sauveur improbable. Un ancien secrétaire général du FLN de la décennie du reniement, acteur sans envergure de la rencontre politico-religieuse de Saint Egidio, répétiteur sans vocation du « Qui tue qui ? ». On devine le fumeux échafaudage du retour en grâce du très falot chef du gouvernement de l’époque ! La réforme à l’eau bénite qui s’est transformée en eau de boudin, vous vous souvenez ?
Pour des raisons mystérieuses, l’auteur de cette étrange proposition ne va pas au bout de sa logique. Omniprésent entre les lignes, Hocine Aït Ahmed n’est pas cité…Tout de même ! Le chef du FFS aurait, lui, quelque légitimité à préempter cette démarche. En tout état de cause ce serait tomber de Charybde en Scylla que d’emprunter une voie aussi incertaine. Nos penseurs seraient-ils donc à ce point en panne d’idées que l’un des leurs pût s’accommoder d’une telle incongruité.
Et encore s’agit-il là du haut du panier. Que dire de ces petits soldats de la vingt cinquième heure, sifflés par on ne sait qui, accourant tout ébouriffés devant micros et caméras pour offrir aux quolibets d’une jeunesse impitoyable les stupides saillies de leurs esprits mal équarris.
Certains, encore plus malins, déléguant en éclaireur le bout d’un orteil mais se gardant bien d’y mettre tout le pied, nous serinent la douce mélopée de ceux du dedans qui en savent plus que ceux du dehors pour en avoir croqué. Ceux-là hument l’air du temps et prudemment attendent l’heure de la curée.
Il y aurait matière à se gausser d’une si pathétique agitation.
Désenchantement et nihilisme
Le pouvoir algérien a rompu avec la société. Il s’en est détaché définitivement. Comme le chien qui se mord la queue, il tourne en rond autour de lui-même. Tout à proximité des tristes figurines qui l’incarnent, suintant l’ennui et le dégoût, des potentats d’un genre nouveau se sont impunément assuré des territoires de prédation et ont fini par complètement étouffer l’initiative citoyenne.
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Aveuglé par l’esprit de cour qui a envahi le pouvoir, le système, corrodé, en sus, par les semelles de plomb d’une bureaucratie proprement ahurissante, a disqualifié les paradigmes élémentaires qui fondent une nation.
Règne de la pacotille et du clinquant, multiplication d’effets d’annonces bidon à la mesure d’une étourdissante valse de pétrodollars pour une folie des grandeurs qui s’abîme dans un délire de fausse dévotion…Cependant qu’en une interminable saignée le pays perdait ses meilleurs fils. Méprisée et humiliée, la jeunesse n’a plus le choix qu’entre la harga ou la vengeance nihiliste. Les référents idéologiques auxquels s’accrochaient ses aînés dans les années quatre vingt ayant perdu de leur attrait du fait même, pour citer Claude Roy, « que l’islamisation, fortement relayée par le système, a paradoxalement dépolitisé l’islam. Quand tout est religieux, plus rien n’est religieux ».
Face à tous les désenchantements, le pouvoir, ni enraciné ni pérenne, pourrait être tenté, comme à l’accoutumée, par la diversion et la manipulation, techniques dont il a une maîtrise admirable (mais on eût aimé qu’il fût admiré pour la qualité de sa gouvernance). Sa fuite en avant dans des stratagèmes éculés, conduirait le pays à de nouvelles aventures dont on lui demandera, par pitié pour un peuple harassé, de nous en faire l’économie.
L’intenable statu quo
Chacun le pressent, le maintien du statu quo est intenable. En cela, les récentes tentatives d’ouvrir des brèches dans le mur du mépris par des protestas, sont louables. Il faut les soutenir ; elles ont l’immense mérite d’alerter l’opinion publique internationale et d’en faire rabattre aux maîtres du pays. Mais face à l’arrogance des clientèles du régime, l’improvisation née de l’impatience n’est pas une riposte appropriée. Les chemins de la refondation sont longs. Pour que les processus engageant le changement prennent sens, il leur faudrait procéder d’un ancrage singulier. Pour la raison que l’Algérie n’est ni l’Egypte, ni la Tunisie, les copiés-collés de circonstance ne font qu’embrouiller les visions et handicapent
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lourdement le nécessaire travail de clarification. Que le pouvoir s’appesantisse dans sa politique de Gribouille, n’autorise pas une partie de son opposition parlementaire à lui donner le change sur le même registre.
Face à la confusion ambiante, des propositions censées, empruntes de lucidité, mesurant sans doute l’écart entre le possible et le fantasmé (voir la lettre ouverte de A. Djaad au président Bouteflika, El Watan du mercredi 9 février 2011) ouvrent des pistes pour, à la fois, donner du temps au temps et éviter les chausse-trappes dont les enfants chéris du système se feront un plaisir de jalonner le périlleux chemin qui mène à une véritable alternative démocratique.
Faute de baliser les territoires de la contestation au plus près des attentes, d’en circonscrire les opportunités, d’en définir les modes opératoires, l’avant-garde qui compte organiser le changement, s’enlisera dans ses propres contradictions et se fera déposséder de ses prérogatives citoyennes par la jonction de tous les malins qui dévoieront son combat et lui voleront son espérance.
Le temps de la réflexion.
Le temps politique devrait être à la réflexion.
La contestation n’a pas le même objet selon qu’elle puise ses motivations depuis les favélas de Bouzaréa, les bistrots de Sidi Yahia, les villas d’El Biar ou les Towns Chips des Hauts Plateaux. Par ailleurs, le système prédateur fédère bien au-delà de ses bases constituées (faux résistants et leurs progénitures, ramassis de pique-assiettes agrippés à la manne publique, illégitimes appointés de parlements ubuesques, pullulement de sectes moyenâgeuses, partis politiques de laboratoires et multitudes lâches impatientes de becquée quotidienne). Et la hotte du Père Pétrole, d’où vint le mal, est encore riche d’alléchantes promesses. Il n’y a aucun ralliement à escompter du côté des mangeoires ! Quelques francs-tireurs en rupture de ban ne font pas masse.
Ceux qui « battent le pavé » place des martyrs feraient montre d’immaturité en préjugeant de leur capacité à rassembler. Le pôle démocratique demeure quasi groupusculaire. Plombé de surcroit par
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ses divisions et le manque cruel de cadres politiques expérimentés. Faire le tri entre ce qui peut d’ores et déjà être consenti par le pouvoir, sur quoi le système pourrait céder sans panique et des exigences hors de portée, attesterait d’une intelligence correcte du rapport de forces et commanderait de ne pas noyer la demande globale d’espaces d’expression dans le fouillis des revendications sectorielles ou des gémissements existentiels.
Un cahier des charges dépouillé, constitué de points d’appuis forts, peut raisonnablement faire consensus. En voici quelques uns :
- Dissolution de l’APN et de toutes les assemblées préfabriquées dont personne ne doute de leur inutilité. Celle, naturellement, de ce très juteux club de recyclés du système qui est le Sénat.
- Constitution d’un Gouvernement Provisoire de la République Algérienne, assurant la transition sous l’autorité de l’actuel Président de la république et la garantie de l’institution militaire. Formé de patriotes intègres et compétents n’ayant jamais occupé de poste politique officiel depuis l’indépendance, il aurait pour mission d’expédier les affaires courantes et de préparer les élections à une Assemblée Constituante Souveraine, seule habilitée à proposer au referendum populaire la Constitution de la 2ième République Algérienne, garantissant le pluralisme politique et culturel et toutes les libertés démocratiques.
- Toutes les lois de la république procèderont de la nouvelle constitution, consacrant les principes partagés des nations modernes pour la justice sociale et le développement.
- Des mesures d’apaisement pourraient, dans l’immédiat, faire tomber la tension et témoigner des bonnes dispositions du régime. L’annonce solennelle par le chef de l’Etat de son renoncement à un quatrième mandat et l’ouverture des médias publics à tous les opposants, seraient des signes probants.
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Citoyennes et citoyens de bonne volonté, désireux de s’inscrire dans cette perspective de transition pacifique, dans l’ordre et la paix civile, devraient se regrouper dans un cadre adéquat à une réflexion partagée. Cette démarche, qui n’exclut aucune autre en cours ou à venir, aura l’avantage de couper l’herbe sous les pieds des aventuriers de tous bords.
Mohamed Benelhadj
(Fellah, Sougueur, 18/02/2011)

À propos de Artisan de l'ombre

Natif de Sougueur ex Trézel ,du département de Tiaret Algérie Il a suivi ses études dans la même ville et devint instit par contrainte .C’est en voyant des candides dans des classes trop exiguës que sa vocation est née en se vouant pleinement à cette noble fonction corps et âme . Très reconnaissant à ceux qui ont contribué à son épanouissement et qui ne cessera jamais de remémorer :ses parents ,Chikhaoui Fatima Zohra Belasgaa Lakhdar,Benmokhtar Aomar ,Ait Said Yahia ,Ait Mouloud Mouloud ,Ait Rached Larbi ,Mokhtari Aoued Bouasba Djilali … Créa blog sur blog afin de s’échapper à un monde qui désormais ne lui appartient pas où il ne se retrouve guère . Il retrouva vite sa passion dans son monde en miniature apportant tout son savoir pour en faire profiter ses prochains. Tenace ,il continuera à honorer ses amis ,sa ville et toutes les personnes qui ont agi positivement sur lui

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2 Réponses à “Contribution citoyenne au débat par Med Benelhadj”

  1. bensoukhal karim Dit :

    C’est tout à fait logique « qui sème le mensonge,récolte la révolte! ».
    nous sommes dans l’expectative:voici venir le temps de l’éclatement des catégories, de la négation face à l’absurdité du politique,du clientélisme et du mandarinat.
    la surenchère politique mène à l’aveuglement et provoque une révolte tsunamienne incontrolable qui finira par décapiter les tetes pansantes et non pensantes.
    nous pronons tous pour un débat clair,honnete et transparent pour honorer notre peuple meurtri et lui rendre son droit confisqué.

  2. aec Dit :

    LUTTE CONTRE L’HIPPOPHAGIE

    NON ! UN CHEVAL CA NE SE MANGE PAS !

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    Amitiés.

    AEC.

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