Les éditions El-Maârifa ont eu l’excellente idée de rééditer le livre de Gilbert Meynier L’Algérie révélée. La guerre de 1914-1918 et le premier quart du XXe siècle. Il s’agit d’un travail considérable de près de 800 pages, déjà publié par la librairie Droz de Genève en 1981, et qui est une forme quelque peu allégée de la thèse que l’auteur avait soutenue à l’université de Nice le 9 juin 1979.
Dans ce volumineux ouvrage préfacé par Pierre Vidal-Naquet, Gilbert Meynier nous offre une lecture indispensable pour mieux connaître et comprendre l’histoire de l’Algérie. Il défend notamment l’idée que la Grande Guerre a accéléré l’évolution de l’Algérie musulmane vers sa prise de conscience nationale. Une prise de conscience esquissée dès avant 1914 et achevée pour l’essentiel en 1919. D’où le titre de ce grand livre d’histoire, et qui permet à l’auteur d’affirmer que l’Algérie sort de la guerre «révélée» à elle-même. Comme il le souligne dans sa conclusion générale, «c’est au cours du premier quart du XXe siècle qu’on peut observer à la fois, au niveau du pouvoir colonial, les hésitations et les crispations, et dans le peuple algérien, les ruptures et les replis qui structurent l’Algérie contemporaine» (P.738). Dans pareil contexte où la guerre mondiale révèle une Algérie nouvelle, «c’est un pouvoir colonial de plus en plus crispé sur ses attitudes réactionnaires qu’affronte le nouveau nationalisme algérien» (P.747). Parmi les signes de l’émergence progressive d’une conscience nationale de type moderne, il y a les réactions sur le terrain pendant cette période charnière. Des luttes et des solidarités nouvelles dont le point d’orgue est probablement l’insurrection du Sud constantinois de 1916-1917, résultat de la résistance à la conscription (les insoumis et les déserteurs sont très nombreux) et au recrutement des travailleurs algériens. Aussi, les résistances, l’insécurité et la répression se généralisent. Cela marque «une phase nouvelle de la lutte des hommes contre le système colonial» (P.598). Pour Gilbert Meynier, historien d’inspiration marxiste, le colonialisme est en effet un système d’exploitation et de domination. C’est pourquoi il analyse dans ce livre l’infrastructure économique du colonialisme français (un impérialisme minutieusement étudié dans le cas algérien), ainsi que les luttes et rapports de classes qui opposent deux sociétés différentes et antagoniques à tous points de vue. La domination coloniale, les déséquilibres économiques, l’économie algérienne dans la guerre sont longuement développées et détaillées dans les trois premières parties de l’ouvrage. Conjuguées à l’oppression coloniale, les traditions du peuple algérien prédisposaient celui-ci au sentiment national, la seule vraie réponse au colonialisme français. L’auteur n’omet pas, bien sûr, de rappeler que le nationalisme algérien se manifeste déjà avant 1914 dans la mouvement jeune algérien. Il y a aussi l’action des émigrés algériens en Suisse, à Berlin et à Constantinople pendant la Grande Guerre. Quant à l’Emir Khaled, petit-fils de l’Emir Abdelkader, il avait notamment adressé une pétition au président Wilson, en mai 1919, pour lui demander l’autodétermination de l’Algérie sous l’égide de la SDN (Société des Nations). Après la guerre, «dans les grandes lignes, pour le pouvoir colonial, rien n’a changé. En fait, tout a changé», souligne fort justement Gilbert Meynier dans sa brillante thèse.Son enquête très poussée (effectuée sur la base de travaux antérieurs d’historiens, d’archives, de sources en arabe et de témoignages de survivants) montre beaucoup d’autres signes de l’émergence progressive d’une conscience nationale de type moderne. Par exemple, le «refus scolaire» qui, après la guerre, allait céder la place à la revendication de l’école française. Ou encore, les soldats et travailleurs algériens (recrutés de force) qui allaient découvrir en France le monde moderne et ce que cela implique comme légitimes appropriations. Gilbert Meynier est un historien français né en 1942 à Lyon. Actuellement professeur émérite à l’université Nancy II depuis 2002, il a été moniteur d’alphabétisation en Algérie après l’indépendance puis coopérant à l’université de Constantine. Ce spécialiste de l’histoire de l’Algérie sous domination coloniale avait milité contre la guerre coloniale dès 1957, à l’âge de quinze ans.
Hocine T.
Gilbert Meynier, L’Algérie révélée, éditions El Maârifa, 2010, 793 pages
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http://www.lesoirdalgerie.com/articles/2011/02/14/article.php?sid=112849&cid=16
14 février 2011
LITTERATURE