Un : Epoque de splendeurs, époque de misères : voir des hommes haïs, méprisés, détestés par le peuple mais les voir s’accrocher, se tordre comme des vicieux, tergiverser et évoquer, pour rester, la Constitution, l’ordre public, l’amour de la patrie et le sens du devoir. Autant de principes qu’ils ont violés et piétinés, eux et leurs fils, frères, épouses ou serfs galonnés. D’où vient que les dictateurs arabes s’accrochent avec autant de misères et d’indignité au Pouvoir ? Un homme peut-il avoir si peu de sens de fierté au point de résister au fameux « dégage » sans se sentir concerné ?
A regarder le cas de Moubarak, on se dit qu’on s’est peut-être tous trompés : il ne s’agit plus de géostratégie, de militaires, de calculs ou de politique mais d’une chose basique et très simple : ce qu’un ami a appelé le facteur psychologique. C’en est devenu une affaire personnelle entre ce dictateur et son peuple. Une dispute de palier, une affaire d’entêtement et pas d’Etat. Un homme qui parle du pays comme de sa biographie, du peuple comme d’un personnage secondaire dans sa propre épopée et qui a vécu son mandat éternel comme une désignation céleste, ne peut pas accepter de dialoguer avec ses serviteurs. Il ne part pas car c’est le peuple qui doit partir généralement. Il ne plie pas car on ne plie pas devant un employé. Il ne se sent pas concerné car le vrai peuple est un chiffre pas un cri.
Il ne peut pas entendre car, mis à part les applaudissements, tout le reste est froissements d’automne et silence d’obéissance. Il ne peut pas concevoir quelqu’un d’autre que lui-même, car le pays entier n’est que son reflet souriant. Deux : Chez nous, le régime a « enlevé » le S12. Il a mis en sursis le retrait de permis, les expulsions de logements, les verdicts de justice, les matchs et les rencontres, les rafles illégales et les insultes, les refus d’audience, le mépris et la parade de la force ou celle des molles incompétences. Un jour, on va « enlever » les sens interdits, les dos d’âne, la priorité puisque déjà on a mis en sursis l’obligation de la solidarité fiscale et la TVA. Le Régime est prêt à tout, payer, acheter et frapper pour rester. Pour combien de temps ? Le temps bref de l’impossible. Car la situation est impossible. Le régime n’a pas autant de logements et d’emplois fictifs qu’il le dit. Il ne peut pas. La vérité est que le régime attend lui-même sa propre fin comme seule possibilité de soulagement. Lorsqu’on discute avec les plus hauts cadres du gouvernement, on reste surpris par leur conviction « non publique » que ce régime est impossible à vivre, qu’il va finir, qu’il est mauvais et qu’il est incompétent. Et contrairement à ce que l’on croit, le Pouvoir du peuple est moins flou que le Pouvoir lui-même: là, on ne sait pas qui veut quoi et précisément qui décide et qui a une idée précise sur son propre avenir. Le Pouvoir ne sait plus répondre que par deux formules aussi vieilles que le Mal et le Diable : envoyer de l’argent ou envoyer les policiers. Frapper ou acheter. Corrompre ou soumettre. C’est généralement le langage d’un homme coincé et qui sait que personne ne l’aime et qui ne fait confiance à personne et qui a fait trop de mal pour espérer le pardon et qui est encerclé par tous ou presque.
13 février 2011
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