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JÉRÔME FERRARI À L’EXPRESSION «Expier sa faute ne l’excuse pas»

5 février 2011

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JÉRÔME FERRARI À L’EXPRESSION
«Expier sa faute ne l’excuse pas»
05 Février 2011 – Page : 21

L’Expression: Est-ce votre séjour en Algérie (de 2003 à 2007) qui vous a poussé à faire cette oeuvre romanesque autour de la Guerre d’Algérie?
Jérôme Ferrari: Je pense que le sujet m’aurait intéressé de toute façon. Mais je n’aurais jamais pensé faire un sujet de roman si je n’avais pas vécu ici. Car il fallait que ce soit quelque chose que je puisse m’approprier, d’une manière ou d’une autre, et qu’il était possible car je connaissais Alger. Donc c’est sûr, que sans ce séjour, ce livre n’aurait pas existé.

En quoi le documentaire L’Ennemi intime vous a-t-il inspiré pour écrire ce livre?
Parce qu’il y a un entretien avec l’officier qui a arrêté Larbi Ben M’hidi et qui en parle avec beaucoup d’admiration. Je n’avais pas pensé que des sentiments comme cela étaient possibles. C’était un officier subalterne qui l’a arrêté du côté du Télemly, je crois, et qui est resté avec lui pendant au moins une dizaine de jours. Puis l’a remis à Aussares. Il en parlait avec beaucoup d’admiration dans ce film. Il y avait un côté psychologique qui m’avait énormément d’abord, touché puis intrigué, cette admiration qu’on peut porter à son ennemi. C’était ça le point de départ de mon livre. Il y a effectivement des similitudes avec L’Ennemi Intime car les faits historiques sont les mêmes mais je n’ai pas voulu faire quelque chose sur l’arrestation de Ben M’hidi ni sur l’officier qui l’a arrêté. Le reste, il a fallu que je l’invente et que je le détache du contexte historique.

Peut-on dire que vous tenez à expliquer ou comprendre l’immoral, autrement, la cruauté humaine (la torture) du fait que vous avez étudié la philosophie qui vous aurait poussé à questionner l’être humain entre être et vouloir?
Je n’ai pas l’impression que ce soient des questions purement philosophiques; ce sont des questions générales qui dépassent la philosophie. C’est vrai que le mécanisme de basculement m’intéressait. Il m’intéresse d’autant plus qu’il a été massif et pas seulement propre à un petit groupe de personnes. Très peu de gens ont refusé la torture. D’après moi, il n’y a rien ni dans le passé ni dans le code génétique de ces gens qui les prédestine à accepter ça (torturer). Il y a un basculement qu’il faut essayer de comprendre. Je n’aime pas les réflexions massives sur le bien contre le mal. Une des choses qui est claire, c’est que si le mal se faisait immédiatement apercevoir comme du mal, il y aurait moins de gens qui le feraient. Le problème est que le mal dans le monde ou du moins le douloureux, ce qui est néfaste, est toujours fait au nom du bien. C’est ça qui est intéressant à déceler. Pour revenir à la philosophie, non elle ne m’a pas influencé. En tant que telle, non. En plus, la philosophie morale ne m’intéresse pas. Dans le domaine de la philosophie, moi j’aime beaucoup la métaphysique. Je trouve que les romans sont mieux à même de parler des problèmes moraux. C’est plus efficace qu’un traité de philosophie. Ce sont des problèmes qui paraissent en grande partie insolubles en plus.

Le roman plutôt que la philo aborde la vie dans son aspect concret plutôt que théorique…
Voilà. C’est pourquoi je dis que le roman m’intéresse plus, et je ne pense pas qu’il soit fondé sur des réflexions philosophiques.

Rien n‘est tout à fait blanc ou noir. Tout est relatif. Etes vous d’accord avec cet adage et où se situe, d’après vous, la limite entre le bien et le mal?
Je ne suis pas d’accord avec cette phrase. Car c’est plus compliqué que ça. Je ne suis pas d’accord non plus avec l’idée naïve qu’il y a un monolithe tout blanc et un autre tout noir. Cela veut dire que tous les comportements humains peuvent avoir une explication. Ce n’est pas une excuse. Ils obéissent à un mécanisme qu’on peut comprendre mais cela n’excuse pas l’acte en lui-même. Dire ça n’est pas aboutir à une position relativiste. Je crois à la culpabilité des gens. Ce qui m’énerve, c’est de regarder les choses de son fauteuil avec distance et puis décerner des bons ou des mauvais points. C’est compliqué et c’est justement le domaine du roman. Ce dernier a quelque chose à dire que rien d’autre qu’un roman ne peut dire, ni la philosophie, ni l’histoire. Non, je ne suis pas relativiste. Je pense, par exemple, que la torture c’est mal évidemment mais une fois qu’on a dit ça, on n’a pas dit grand-chose, car cela ne permet pas de comprendre comment cela se fait dans des circonstances précises. La torture a été constamment utilisée. Elle l’a été et à mon avis, elle le sera encore. Je pense que quand les gens ont peur, ils sont prêts à accepter n’importe quoi. L’histoire nous l’a montré en Algérie et pas qu’en Algérie, il n’y a pas très longtemps. J’entends par là, aux USA. L’affaire des deux tours du World Trade Center démontre qu’énormément d’Américains ne trouvent pas cela scandaleux de détenir des gens contre leurs droits dans des prisons comme à Guantanamo en leur faisant subir des interrogatoires en dehors de tout cadre juridique. Quand les gens ont peur, ils ne condamnent pas la torture. On condamne la torture d’il y a 30 ou 40 ans, mais pas celle qui se commet en leur nom aujourd’hui. Ils ne la voient pas du tout de la même manière. C’est ça qui est intéressant. Et dangereux. Effrayant même.

Cela dépend de l’angle où l’on se positionne.
Exactement. Ce n’est pas le fait que les choses soient bien ou mal. C’est le fait qu’on ait une perspective sur elles qui fait qu’elles deviennent bien ou mal. Bien sûr qu’aujourd’hui, tout le monde est d’accord pour dire que la torture pendant la Guerre d’Algérie c’est un truc immonde. Mais quand les gens sont dans des situations similaires, ils ne voient pas les choses de la même manière. L’exemple des Américains m’a beaucoup frappé. Les gens ont peur que cela recommence et ils sont prêts à accepter tout pour que cela ne se reproduise pas, y compris l’inacceptable. Jusqu’à nier leurs propres valeurs.

En quoi votre séjour en Algérie a changé votre conception de la vie et bouleversé votre écriture?
Je ne sais absolument pas. J’ai vécu ici. Je n’ai pas fait des choses extraordinaires et rien vécu de particulièrement spectaculaire qui mérite d’être raconté et en même temps ça a décalé ma perspective. Une fois qu’une perspective est décalée c’est comme si le monde était devenu plus grand. C’est vrai que professionnellement et humainement c’était des années très importantes pour moi que j’ai adoré vivre, qui ont élargi mon horizon pour toujours.

Je ne sais pas si vous avez lu le livre de Boualam Sansal Le Village de l’Allemand. Si votre père avait commis des atrocités à l’instar de vos personnages, vous sentiriez- vous coupable des fautes commises par lui? Autrement, la question est: devrions-nous porter le fardeau des crimes de nos parents comme un héritage?
Non je ne l’ai pas lu. J’en ai entendu parler. Il faut absolument que je le lise. Il paraît que c’est vraiment bien. Cela dépend comment on pose la question. D’un point de vue juridique, cela paraït absurde. Mais du point de vue moral, même si ce n’est pas vrai, c’est comme cela que ça se passe. On n’est pas né de la terre comme des plantes qui ont la faculté de s’autogénérer. On a un passé et d’un point de vue moral et psychologique c’est normal qu’on en porte le poids.. Je ne crois pas, d’un point de vue juridique et même moral, à la responsabilité collective ou qui se transmet de père en fils mais d’un point de vue intime, évidemment que cela peut se vivre comme ça.

Que vous a apporté ce livre, et arrive-t-on à s’en défaire facilement quand on se met dans la peau d’un tortionnaire?
Pas de choses agréables car cela n’a pas été facile de l’écrire, il y a notamment toute une partie du livre qui est écrite à la première personne du singulier. C’est un personnage qui justifie la torture en quelque sorte et ses propres actes, qui n’est pas dans une sorte de repentence mais dans quelque chose d’assumé. Parler au nom de cette personne-là m’a demandé beaucoup d’efforts, en faisant appel à des choses pas très agréables. Effectivement, il faut habiter son personnage. C’est un exercice un peu schizophrénique, mais on s’en sort toujours.

O. HIND

À propos de Artisan de l'ombre

Natif de Sougueur ex Trézel ,du département de Tiaret Algérie Il a suivi ses études dans la même ville et devint instit par contrainte .C’est en voyant des candides dans des classes trop exiguës que sa vocation est née en se vouant pleinement à cette noble fonction corps et âme . Très reconnaissant à ceux qui ont contribué à son épanouissement et qui ne cessera jamais de remémorer :ses parents ,Chikhaoui Fatima Zohra Belasgaa Lakhdar,Benmokhtar Aomar ,Ait Said Yahia ,Ait Mouloud Mouloud ,Ait Rached Larbi ,Mokhtari Aoued Bouasba Djilali … Créa blog sur blog afin de s’échapper à un monde qui désormais ne lui appartient pas où il ne se retrouve guère . Il retrouva vite sa passion dans son monde en miniature apportant tout son savoir pour en faire profiter ses prochains. Tenace ,il continuera à honorer ses amis ,sa ville et toutes les personnes qui ont agi positivement sur lui

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