Comment arracher de la terre un dictateur et lui arracher le pays qu’il a entre les mâchoires ? On vient de découvrir, en effet, que le cas de la Tunisie et la fuite comique de Benali est une bande dessinée comparé à ce qui se passe en Egypte. Là, le dictateur local est prêt à pire : tuer, diviser un peuple pour le plonger dans la guerre civile puis intervenir comme arbitre,
lâcher les chiens et les délinquants, faire durer la confrontation pour épuiser les manifestants, mentir, réformer un gouvernement en changeant les Hadj Moussa etc. Tout a été fait et essayé en Egypte par Moubarak contre son peuple. Tout : des F16, aux manips médiatiques.
Le but : garder le pays, «son pays» le pays de ses deux fils et de sa femme à lui. Le manger seul et selon ce qu’il veut. C’est vous dire qu’une dictature a de grosses racines parfois, beaucoup de moyens et la conviction intime que le pays est une propriété et que les manifestants sont des indus occupants qui veulent s’approprier la maison. Entendre Moubarak, avant-hier, dire qu’il n’a jamais voulu le Pouvoir ni la Présidence et qu’il ne voulait pas se présenter aux prochaines présidentielles, est un viol cosmique par les mots et le mensonge. Ces simples phrases résument le peu d’estime qu’ont les dictateurs de leur bétail, au point de raconter, en discours officiel, que c’est la terre qui leur colle aux jambes et qui les supplie de la féconder avec leurs visions éclairées. Absurde, inconcevable, incroyable. Dans quel monde vivent ces gens là, du Maroc à l’Irak ? Comment osent-ils nous voler en nous disant que c’est à nous alors que c’est dans leurs poches ? Comment des gens qui ont leur argent et les châteaux en Europe, des doubles nationalités dans les tiroirs, des milices au bout du doigt et des milliards entre les dents, osent-ils venir nous dire qu’ils ont sacrifié leur vie pour le pays et qu’ils ne sont là que pour nous servir et sur notre demande ? Quelle est cette époque où le seul moyen de changer de Président dans un pays «arabe», c’est de passer par un million de manifestants, des centaines de morts et des milliards en pertes économiques ? D’où nous viennent ces monstres qu’on ne peut arracher qu’en s’arrachant une partie de la peau ? Dire «non» ou écrire «dégage» ne suffisent plus apparemment.
La résistance chez les dictatures s’organise : eux aussi sont coincés entre le palais et l’avion. Eux aussi ont pris leçon sur la Tunisie et les «Pères de la nation» ne veulent pas finir pourchassés, manquer de kérosène dans les cieux et se faire vider les comptes bancaires par leurs ex-amis occidentaux. Ce qu’ils veulent, c’est ce que veut Moubarak : se donner le temps de sécuriser sa retraite et ses enfants, bien placer les 55 milliards de dollars de sa fortune et brûler le pays avant de partir pour bien se venger. Le club des 40 voleurs va jouer tous ses atouts ces mois-ci. Le collectif des peuples aussi. Pas de marches, pas de levée d’état d’urgence, pas de démocratie et pas de changement. C’est la réponse qui vient de tomber en dernière minute en Algérie privatisée et épousée de force. Pauvre pays où les Algériens ne peuvent pas marcher chez eux mais seulement sur les eaux ou en dormant !
3 février 2011
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