Si l’opposition est inféconde, c’est la faute à tous les partis.
Si les partis sont figés et inertes, c’est la faute à l’absence de militants. Si les militants font défaut, est-ce la faute au peuple ?
L’Etat en effet peut arriver, à l’aide de stratagèmes, à modéliser à sa vision tout un peuple et l’astreindre à une obséquiosité qui dira son nom une fois : le verrou se brise aux éclats. L’histoire le prouve à plusieurs stations du parcours humanitaire. En fait, l’Etat, dans cette stratégie de domination intégrale, n’est qu’un moyen mis en service par un système au profit d’un régime. Donc, une véritable opposition, au sens typiquement algérien du terme, ne peut agir qu’à l’encontre de ce régime systémique et non contre l’Etat, y compris son élément exécutif gouvernemental. Le pauvre gouvernement n’est pour rien à vrai dire. Il se sait instrumentalisé mais fait dans le lot. Tous les ex-chefs de gouvernement successifs se sont alignés derrière le silence qui broyait, non à leur insu, l’opposition. Ils étaient les principaux artisans de l’abattage des espérances sociales et des libertés publiques. Le dernier en poste, voilà dix ans, était le censeur de l’expression par l’amendement des articles 144 du code pénal. Qu’ont-ils fait pour conforter et soutenir en fait et en droit la place de celle-ci lorsqu’ils étaient en charge des affaires publiques ? C’est une fois out le système qu’ils s’apercevraient qu’être dans une démarcation anti-régime est plus confortable comme position politique. Et encore, si ce n’est un silence radio qui les fait oublier, c’est avec prudence et beaucoup de doigté qu’ils émargent une pétition ou font des communiqués laconiques dénonçant tel ou tel abus d’autorité. Alors, ce sera comme en Tunisie. Si l’homme tombe, le régime, le système doit suivre. Chez nous, tout est itératif. Ca se répète à longueur de temps.
Fiasco ou début de réussite ? La marche qui n’a pas eu lieu à Alger, prônée par « une association à caractère politique », résume le genre d’opposition qui semble garnir les contours du pouvoir. Laissé seul face à un Etat, le RCD, malgré les couacs, non de l’Etat cette fois-ci mais bel et bien de ceux à qui il voulait ou voler le redémarrage d’une révolution ou le répandre partout.
En toute évidence, l’odeur du jasmin tunisien ne s’est point empêchée de venir titiller le déterminisme de toute notre opposition. Cette opposition n’est pas exclusivement représentée par un, deux ou plusieurs partis. Dans le parti, il est clair que l’opposition n’existe plus. Cependant, dans l’ultime désir et la profonde aspiration partisane, chaque parti voudrait faire sa délimitation. C’est comme un commerçant. La concurrence est rude et amère. Cette marche, dites-vous avortée, échouée, non intéressante, ne peut s’inscrire totalement dans une position d’opposition. Mais elle aura tout de même le mérite de tenter d’avoir eu lieu. Car, depuis l’ouverture politique, cette frange de la classe politique dite opposition est mise à l’écart, à l’exception lors d’un calendrier électoral. Elle voulait, souffrante, disséminée, torpillée, créer un regain de dignité perdu déjà à la naissance. Trop encombrée par l’accumulation d’échecs successifs, notre opposition ne tient pas à s’auto-révolutionner. Déclinant pour elle ce qu’elle exige du pouvoir, elle aussi a besoin d’une alternative. Soit un redéploiement au niveau de ses leaders. Toujours les mêmes, avec eux, et l’on recommence. Ne pensent-ils pas, ces sempiternels « dirigeants » opposants, qu’ils entraînent leur propre déchéance vers la décrépitude de leur formation ? Collés ainsi, vus et revus à chaque séquence de la vie politique nationale depuis 1988, ces chefs de partis sont usés à force d’avoir usé toutes les stratégies intrinsèques à leur personnalité. Néanmoins, ils auront certainement eu le mérite d’avoir quelque part fait avancer l’état des choses en notre terre. Ils auront aussi la vertu d’avoir fait de l’opposition et ainsi permis la crédibilité quoique contestée du jeu démocratique.
C’est grâce à une prestation oppositionnelle piteuse, mal partie, fragmentée et non crédible que le régime compte encore longtemps perdurer. La seule issue qui demeure utile et indispensable, c’est de la repenser. L’imaginer à nouveau. Tous les partis risquent la déliquescence injectée volontairement par le système. Une pilule d’inertie et de somnolence. Une opposition viable, rentable et prospère se devrait d’être loin des alliances de conjoncture ou des coalitions temporaires et précaires. L’on aurait vu des chefs de partis traités comme des hauts fonctionnaires. Des partis traités comme des institutions étatiques. L’opposition est-elle en fait au sein ou en marge du pouvoir ? Est-elle toujours cette minorité qui aspire à la conquête du pouvoir ou bien cette majorité qui s’oppose à un système ?
Le dysfonctionnement de l’Etat, sa mauvaise représentativité, la mal vie, l’angoisse et l’amertume de tous les jours ont réussi à en faire, discours enthousiasmant du candidat lauréat aidant, des partisans entêtés de l’anti-pouvoir. Même les élus locaux, toutes tendances confondues, se sont confinés dans l’acte d’amadouer le pouvoir plutôt que de le secouer.
Si l’on parle du renouveau qui doit booster la rive opposée au pouvoir, si l’on parle avec pertinence qu’il est vitalement nécessaire de repenser la classe politique, l’on s’interroge également : depuis quand Saïd Sadi, Aït Ahmed, Louisa Hanoune, que l’on respecte énormément, et les autres nouvellement débarqués dirigent-ils sans partage leurs partis respectifs ? Qu’ils s’investissent davantage dans ce qu’ils prônent comme leitmotiv à la succession et au renouvellement des instances ! La démocratie commence à sa porte pour s’étendre aux autres. Le reste du monde algérien finit bien par se lasser de ce personnel arrivé aux frontières de la stérilité. L’infécondité oppositionnelle.
Néanmoins, faudrait-il le dire et le redire, ils auront, tous ces chefs de parti, le mérite national d’avoir, chacun à sa façon, contribué à la naissance du capital politique qui a pu, à un certain moment de la traversée macabre, dire non en face d’un pouvoir pressé d’en finir avec les libertés publiques. Ils auront la reconnaissance citoyenne d’avoir eu un jour à connaître les affres de la prison, l’oppression et la mise en garde permanente. Mais ? Oui mais ils sont déplorables de n’avoir pas su emprunter les chemins qui auraient sans doute concrétisé l’aboutissent final de leurs aspirations. Ils se seraient contentés d’user tout juste des voies légales qu’ils savaient tout à fait inégales. L’appel n’est pas d’aller vers l’aventurisme ou de rentrer dans la clandestinité, encore moins d’agir dans l’illégalité. Mais comment faire en sorte que tout change ? Braver les tabous et affronter la mauvaise légalité. Ils sont tous représentés au parlement. Là où la loi, dans toute sa solennelle légalité, est censée se faire.
Au risque d’une répétition, il est un exemple édifiant d’un député UMP, vu à la télé à l’assemblée, répondant à son contradicteur socialiste qui lui demandait de voir la démocratie et d’écouter la rue (3 millions de Français ont marché pour dénoncer la loi sur la retraite d’Eric Woerth), qui a répondu : « Mais mon cher collègue, c’est ici que s’exerce la démocratie et non dans la rue !». Tout y est dit. L’exemple est peut être inapplicable chez nous. La parole des députés français est traitée d’une façon égale à travers toutes les chaînes de télévision. Ce n’est pas la nature de chaîne qui fait de la politique, mais c’est surtout l’invité. L’on conçoit bien que nos députés sériés d’opposition n’ont pu imaginer une sortie médiatique qui allait leur permettre de défier la loi du silence qui les plombe. Ils parlent, mais on ne les entend pas. Pour le bonheur de tous, le satellite, le Youtube, le Facebook deviennent des bouées de sauvetage. L’on a su la diatribe de députés RCD, Aït Hamouda, ou celle plus calée de Foudhil Boumala, au nom de l’intelligentsia. L’espoir subsiste à écouter de telles voix faisant de la discordance non pas une contrariété mais tout simplement une divergence d’opinions. Hautement respectable pour affirmer que l’opposition n’a jamais été ni n’est l’affaire d’une personne, mais de tout un ensemble de personnes. L’individu est insignifiant devant la masse. Cependant, le combat individuel, pérenne et continuel fera le combat collectif d’ensemble. Même à la longue. Les 23 ans de Ben Ali ont permis à leur fin la sortie d’un peuple du tunnel de l’obscurité oppressante. Dans la réalité du terrain, les partis sont tellement divisés que le peuple ne croit plus en leur salut. Il se dit, à sa propre manière, que ces « associations à caractère politique » ne sont en fait que des appareils destinés, car créés par le pouvoir, à lui donner un semblant de crédibilité. Autrement dit, ce couple maudit souffre d’une frigidité chronique. Si l’opposition est inféconde, le pouvoir est stérile. Les conjoints ennemis n’ont de ce fait que des grossesses indésirables. La progéniture à son tour souffre amèrement du désaccord unissant pourtant en parfaite harmonie des parents pour le pire et le meilleur.
La démocratie, par ailleurs, ne peut se pratiquer sans l’apport de ces conglomérats. Qu’ils soient de l’alliance présidentielle ou ceux repris dans une case d’opposition, les partis sont une nécessité sociale. Il y a ceux qui se confondent, sans crainte aucune, à l’Etat. Il y a ceux qui crient à la marginalisation. Les Tunisiens, dans leur cri généralisé, tentent d’obtenir la séparation de l’Etat, non pas de la religion, mais des partis. Leur RCD était ce qu’était le FLN avant 1988. L’est-il toujours ? Et puis, sur un autre chapitre, l’on a le droit de nous dire que l’opposition n’est naturellement pas une spécificité nationale. Elle ne peut se faire qu’à Alger. Son champ d’intervention excellerait à se mouvoir dans une dimension locale. Prenant l’exemple au plan communal. Celle-ci (opposition communale) n’est mise en apparence que par des motions de retrait de confiance. Point final. Toutes nos communes se trouvent ainsi gérées par de l’intuitu-personae. Le maire est toujours un proche du pouvoir. Il est là juste pour pavoiser les rues, enlever les sachets noirs, refaire les lampes mais point de rôle politique. Il dépose ce rôle dès son investiture. Il redevient une liaison d’écoute et d’application du wali du coin. Car ce dernier, considéré comme premier rempart de la forteresse du pouvoir, agit aussi au nom de l’Etat dans la fortification du régime qui l’a mis en place. Quelle opposition lui fait-on ? Par qui devrait-elle se faire ? Par le président de l’APW ? Que fait ce président d’APW qui se contente, en dehors de la salle des délibérations automatiques, de s’asseoir côte à côte avec le wali et de donner par cette assise calme et tranquille toute la légitimité populaire qu’il est censé incarner ? Tracté par le wali, il le poursuit pour l’utilité du décor. Unité d’accueil et de protocole, rare où il se trouve en porte-à-faux avec le wali. C’est à lui en fait que revient l’obligation de transmettre la doléance populaire et la voix des boulevards et des rues. C’est à lui qu’échoit le devoir de mener la finance publique là où le sou ne doit pas être dépensé dans la construction d’une mosquée de 30 hectares. Un Taj Mahal.
Enfin, même le déclic du RCD dans sa double facette d’échec et de réussite n’a pu faire prendre conscience à cette classe d’opposition. La marche du 8, ou de je ne sais quelle date, à laquelle ont appelé plusieurs entités corporatistes, semble dès à présent vouée à une placidité. Le désaccord qui la mine, le défaut d’adhésion qu’elle symbolise, le FFS qui l’éloigne de ses priorités politiques, font qu’elle serait diversement appréciée. Mais tout de même, cette agitation fait survivre au moins la façade démocratique du pays, en attendant la grande marche à prôner par un seul parti. Le peuple. Là, un autre discours aura lieu. Peut-être y verrons-nous rejaillir la compétence à la brocante, la jeunesse aux momies et le sourire à la morosité. Tant dans la sphère du pouvoir que dans celle de l’opposition.
28 janvier 2011
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