« Après le pain, l’éducation est le premier besoin d’un peuple » (Danton)
La première année d’université, une jonction qui engage l’avenir des étudiants et par conséquent celui d’une nation, permet aux enseignants d’apprécier chaque cuvée de Baccalauréat, et d’évaluer les connaissances requises, censées être acquises
antérieurement par tout bachelier. En essayant de ne pas trop déborder sur la thématique suggérée par le titre de cette contribution, ce texte tente de dresser un premier constat sur l’enseignement des sciences dites exactes, durant les premiers mois de cette année universitaire. L’université a donc accueilli les meilleurs lycéens, peut-être les plus chanceux. Rappelons que le taux de réussite, annoncé pour le baccalauréat de juin 2010 était de 61,23% toutes filières confondues, et de 69,64% pour celle des mathématiques.
Ces chiffres rapportés par la presse, sont indisponibles dans leurs détails, au niveau du site du ministère de l’Education nationale, un portail loin d’être réactualisé, quand son accès est possible, ce qui n’est pas souvent le cas. Quand on pense que de petites entreprises privées, algériennes et siégeant en Algérie, disposent d’un site attrayant et mis à jour, il est pour le moins curieux que le ministère de l’Education nationale qui se taille la part du lion dans le budget de l’Etat, ne puisse pas offrir des informations actuelles et riches, à travers l’Internet, pour être proche de millions de lycéens, de parents d’élèves, d’éducateurs et de chercheurs. Une communication tristement défaillante.
Bref, ces chiffres semblaient rassurants, puisque le taux de réussite au Bac 2010 a non seulement subi un bond appréciable, mais constitue un record jamais égalé depuis 1962. Les enseignants à l’université ne pouvaient donc que se réjouir lors de la proclamation des résultats en juillet 2010, s’ils ignoraient que les sujets étaient abordables et que le volume des chapitres à réviser était mutilé d’un tiers. Que peut-on dire alors sur nos bacheliers de l’an 2010 ? Il est peut être tôt de se prononcer définitivement, mais il est certain que nous ne constatons pas une différence sensible, encore moins un bond, entre les étudiants de cette année et ceux qui les précédèrent. Ne demeure-t-il pas alors problématique, ce saut ex abrupto des taux du bachot ?
Quant aux bacheliers scientifiques, ils ont donc suivi au moins douze années d’études dans les cycles de l’Education nationale, donc douze années de mathématiques, de sciences et de technologie, les matières par excellence dit-on, du raisonnement, de la logique, de la cohérence et de l’argumentation. Ces élèves ont également et simultanément suivi, pendant au moins une dizaine d’années, des cours de langue française, appelée langue étrangère, mais qui ne l’est cependant pas, puisqu’elle estampille largement notre environnement. Alors qu’a-t-on observé au cours de cette première année d’université ? Tout enseignant doué d’un atome de probité vous dira que, comme à chaque rentrée, dans la majorité des cas, nos étudiants ne savent s’exprimer ni en français, ni en arabe. Il vous dira que nos étudiants ne maîtrisent pas l’expression écrite en français, langue d’enseignement des sciences depuis l’instauration du LMD; ce système qui accorde une importance majeure à l’apprentissage des langues étrangères. Précisons que le français tout comme l’anglais sont encore enseignés en sciences. Pourtant, certains disent ne pas comprendre l’enseignement scientifique dispensé en français. Il faut souligner que tous les collègues s’évertuent à fournir des explications en arabe et en français, et cela ralentit le volume d’acquisition des connaissances, sans aider l’étudiant à savoir reproduire celles-ci lors d’évaluations écrites. Précisons que les deux langues utilisées par les enseignants ne sont ni subtiles, ni savantes, mais bien basiques. Pourvu que le message puisse passer. Arriver.
Tout enseignant vous dira aussi que beaucoup d’entre ces étudiants ne savent pas écrire ou ont une écriture illisible. Et il faut tout écrire au tableau, autrement c’est le carnage. Une perte de temps supplémentaire. Que faire ? Précisons que l’université d’Oran en particulier, accueille des étudiants d’Afrique ; ceux de l’an dernier qui vivaient dans les mêmes conditions que leurs camarades algériens, et résidaient en cité universitaire, ont tous acquis leur première année. Mieux, l’auteur de ce papier vous dira que les étudiants africains anglophones ne comprenant presque rien au français en début d’année, mais qui étaient assidus, motivés, sérieux, ont décroché haut la main leurs examens. Que faut-il en conclure ? Est-ce bien la langue d’enseignement qui pose problème ? Nos étudiants ne savent pas chercher un mot dans un dictionnaire ou un lexique, pour la simple raison qu’ils ignorent la succession des lettres alphabétiques, que celles-ci soient arabes ou latines. Nous l’avons déjà dit : Pour aller « chercher la science jusqu’en Chine » il faut connaitre le chinois. Dans ce sens, selon l’encyclopédie wikipédia, il existe au moins deux langues officielles, dans près d’une centaine de pays, soit dans la majorité des Etats de la planète. Pour l’illustration, chez des cousins, l’arabe, langue de l’ennemi et l’hébreu constituent deux langues officielles, alors que l’anglais et le russe y sont largement utilisés, pour une population qui n’a pas encore atteint 8 millions d’habitants. Avec ses 50 millions d’âmes, le pays de Nelson Mandela comprend quant à lui, après les dispositions constitutionnelles de 1996, onze langues officielles et d’autres qui ne le sont pas.
Pour revenir à nos bacheliers, tout enseignant vous dira l’insuffisance des connaissances scientifiques acquises par l’étudiant, au cours de ses années antérieures, au vu du contenu apparemment étoffé des programmes officiels du ministère de l’Education nationale. Cette carence se manifeste, dans l’ignorance des notions de base censées être parfaitement assimilées au lycée. L’enseignant vous dira que nos étudiants ne savent pas analyser, synthétiser, argumenter. Il vous dira aussi qu’ils ne savent pas compter, puisqu’ils ne connaissent pas toutes les tables de multiplication. Heureusement que la calculatrice nécessaire pour des calculs complexes (valeurs tabulées logarithmiques ou trigonométriques) est autorisée, même durant les examens. L’enseignant vous dira aussi que le travail personnel à l’aide d’ouvrages et la recherche documentaire sont inconnus chez la majorité de nos bacheliers. Pire, des étudiants des années supérieures se limitent au copier-coller et appellent cela un travail personnel. L’enseignant vous dira l’absence de réaction de la majorité des étudiants durant un cours. L’inertie. La passivité. Il vous dira le désintérêt de l’étudiant pour les études, son comportement indiscipliné. Et l’indiscipline, thème déjà abordé (1) a déjà engendré des manifestations violentes qui s’intègrent dans la violence sociale ambiante. Il faudrait donc rappeler (1) que l’indiscipline, cette attitude réfractaire des apprenants, est un signal que nous pouvons considérer comme positif, s’il interpelle les pouvoirs publics, les intellectuels, les chercheurs, la famille éducative et la société dans son ensemble, pour d’inéluctables changements. Cela s’avère être une exigence, d’autant plus que la jeunesse n’est pas responsable de la situation dans laquelle elle se trouve engoncée. Ouvrons une autre parenthèse : dans certains sites universitaires, tel le pôle de Belgaid inauguré cette année, qui subtilise ou détruit les interrupteurs, les lampes, les chaises, les robinets, les douchettes ? Des lieux flambant neufs sont devenus sales et leur délabrement pointe déjà. Toute la communauté universitaire, ainsi pénalisée, ne peut ni se laver les mains, ni utiliser les toilettes.
Pour revenir aux bacheliers, l’enseignant peut aussi vous dire les retards en cours de certains étudiants, la ponctualité étant inconnue, les absences fréquentes, si on exclue les éléments « fantômes », ceux inscrits sur les listes, mais jamais aperçus. L’enseignant peut également vous dire l’extrême largesse des procédures d’évaluation de l’étudiant dans le système LMD. Un exemple ? Un étudiant peut accéder en deuxième année, puis en troisième, sans avoir obtenu toutes ses unités d’enseignement de première année. Et il peut ne pas avoir acquis une unité fondamentale, c’est-à-dire le contenu d’un enseignement indispensable pour la compréhension de la suite des cours. La compensation se fait entre plusieurs matières ; elle est annuelle et puis semestrielle. Quand l’étudiant endetté termine son cursus de licence, il revient voir son enseignant de première année, ce bourreau, celui qui a « bloqué » la délivrance de son diplôme et son avenir, pour exiger sous forme molletonnée ou solliciter en quémandeur, la résolution de son problème. Mais pourquoi cette compensation permise de long en large ? Ne demeure-t-il pas alors expéditif et caritatif ce dispositif évaluatif ? Par ailleurs, en revenant sur des notions censées être assimilées antérieurement, les enseignants s’évertuent beaucoup plus à combler des lacunes qu’à progresser dans les programmes arrêtés ; une progression malmenée, car amputée de connaissances requises dans la suite du cursus. Par une réaction en chaine, cette amputation se répercute inéluctablement sur les enseignements des années qui vont suivre. Un bachot tronqué, une première année de fac tronquée, un cursus tronqué ! Cependant, il n’y a aucune raison pour que les étudiants actuels aient des capacités inférieures à ceux des trois premières décennies de l’Algérie indépendante, car nous percevons en eux des aptitudes enfouies et inexploitées. Donc, la comparaison est faite, non pas par rapport à un pays voisin, cousin ou lointain, mais entre différentes générations d’un même pays, le nôtre qui aujourd’hui bénéficie de conditions financières favorables. Que faire ? Mais que peut faire un enseignant quand l’étudiant a déjà subi une formation à la « Pavlov » qui lui a fait développer et consolider des habitudes et des reflexes ? Alors l’enseignant vous dira que si le bachelier ne possède pas les capacités de communication, d’analyse et de synthèse requises, s’il est mal préparé aux tâches de recherche documentaire, si la pensée critique est absente, s’il n’a pas été amené à se triturer les méninges et s’il est convaincu que le bachotage, la mémorisation et « un peu de copiage » sont à la base de l’acquisition des connaissances en mathématiques ou en sciences physiques, c’est que ça cloche quelque part. Et qu’il y a beaucoup de choses à revoir. De la première année du cycle primaire jusqu’à la terminale. L’enseignant vous dira, vous dira, et vous le redira ..
La cuvée du Bac 2010 laisse donc un arrière-goût d’âcreté. Une éducation et une formation approximatives, tâtonnantes, mutilées, mutilantes. Soldées. Tant de temps perdu, d’énergies dissipées, de ressources gâchées, de déperditions. D’élans brisés. De plus, être enseignant n’est pas une finalité ; c’est une activité, à notre sens, où on transmet et où l’on doit apprendre tout autant, sinon davantage. Mais qui ignore tout cela ? A notre humble avis, un enseignement de qualité exige des préalables. Il s’agit notamment, de revoir dans tous les cycles, du primaire à l’enseignement supérieur, sans omettre la formation professionnelle, les conditions de recrutement des enseignants. Il s’agit également, de revaloriser socialement et professionnellement le métier d’enseignant, d’approfondir les réformes, de lancer une politique de formation continue (pour les formateurs bien entendu), d’encourager la recherche multidisciplinaire en didactique et de procéder à un système d’évaluation. Du primaire à l’enseignement supérieur. Concernant les politiques, les procédures, les démarches à emprunter, il ne s’agit ni d’inventer, ni d’imiter, mais d’adapter. Le cas échéant, on formatera encore les ciboulots; on obtiendra encore et ainsi de parfaits zombies, pas des citoyens.
1- Rachid Brahmi in Le Quotidien d’Oran du jeudi 06 janvier 2011 : De l’indiscipline dans le système éducatif.
28 janvier 2011
Contributions