«Quand les talons claquent, l’esprit se vide». Lyautey
Al’époque de l’Union soviétique, la presse du partiunique et celle du gouvernement imputaient le moindre accident de la route, le plus léger séisme et un banal vol de bijoux, à «la main de l’étranger», à «l’impérialisme revanchard» et au «colonialisme nostalgique» dont les complots ourdis se fracassent devant l’unité du parti et la vigilance des
travailleuses et travailleurs et à leur tête la direction politique et la centrale syndicale; fers de lance de la révolution socialiste et guides éclairés de la voie du progrès, devant les ennemis de la patrie. Et si l’utopie égalitaire (le socialisme) a fonctionné durant des décennies, a grandement contribué à la défaite du nazisme, ils ont tout autant précipité leur défaite finale, accéléré la mise en place de l’hégémonie du marché par l’étouffement des libertés et le pouvoir de castes militaires, idéologiques et bureaucratiques. Après l’effondrement du mur de Berlin, de nombreux pays d’Amérique Latine ont «nettoyé» leur histoire, balayé les dictatures à vie, instauré de véritables démocraties qui ont rapidement gagné leurs galons de puissances économiques. Le Brésil s’offre même une femme dans le statut de présidente, là où de vieilles nations pataugent dans la parité. Malgré la chute, l’une après l’autre, des fragiles oligarchies socialistes, de nombreux régimes arabes et africains s’accrochent, avec véhémence et d’énormes dégâts, au système du parti unique, sous un pluralisme de vaudeville, à l’unicité syndicale, médiatique, à un parlement qui vote comme un seul homme, à la science indépassable du leader bien-aimé, par son administration, et à la sagesse quasi divine des «élus»au gouvernement, par «plus musulmans», plus démagos, plus archaïques
Après les émeutes du début de l’année durant lesquelles il y a eu des morts, des dégradations fort coûteuses, les rites et rituels du parti unique ont été, de façon pathétique, dans la précipitation et la reculade, à toute vitesse, actionnés comme si le mur de Berlin, le B.P et le CC avaient encore une quelconque pertinence. Les effets premiers des émeutes ont été déclinés à la hâte par la majorité qui gouverne pour parer à l’urgence, calmer provisoirement les esprits et faire croire qu’elle a l’initiative. Les réponses n’ont été ni politiques, ni économiques, mais plutôt religieuses, morales, paternalistes, dirigées vers «la main» ou plutôt la «télévision» de l’étranger, mettant en valeur la sagesse de ceux qui ont «protégé, les édifices publics, tout en prônant le dialogue, l’expression pacifique dans un système plus verrouillé que jamais où un film de fiction sur Abane Ramdane a été la première victime, avant les émeutes de 2011. Le reste est à venir.
La première et lourde réponse donnée aux émeutes est juste technique, bureaucratique, en forme de dérobade qui fait différer aux calendes berbères, des éléments basiques dans les métiers du commerce. Le registre de commerce, le fameux paiement par chèque et l’obligation d’être en règle avec le fisc sont désormais considérés, par le gouvernement, comme des erreurs commises par lui puisqu’ils sont annulés. Mais comme, logiquement, ces trois motifs ne concernent ni les jeunes chômeurs ni les étudiants, ni les vendeurs à la sauvette et encore moins les millions de pères de famille qui sont restés cloîtrés à la maison, les réponses sont adressées à d’autres destinataires. Les véritables maîtres de l’import import, les barons qui managent le commerce intérieur (grossistes et détaillants), les réseaux mixtes (privés, trafiquants, cadres supérieurs dans les administrations) qui blanchissent toutes les monnaies qui comptent, les détourneurs du foncier et les magiciens du crédit documentaire ont eu gain de cause. Sur tous les fronts.
L’Etat en reculant, légalise l’informel, lui donne tous les pouvoirs sur le pouvoir d’achat de toutes les catégories sociales et formalise le non droit et le sachet bourré de billets en piteux état.
Et comme les mêmes causes provoquent les mêmes effets, d’autres émeutes, décès et saccages seront programmés à l’avenir. On y apportera des solutions techniques éphémères, des sermons prononcés par un clergé sans charisme ni compétence, des concessions structurelles, à l’informel et à l’intégrisme avec des reculs démocratiques. Ces derniers, on ne veut surtout ni l’admettre et encore moins le reconnaître pour avancer, sont le moteur essentiel et la première vitamine pour «la casse», la mort et les blessés. Quelles sont les différences fondamentales entre un régime démocratique qui rencontre des difficultés économiques et financières et un autre autoritaire, fermé, qui navigue à vue et qui concède du pouvoir à l’islamisme, à l’informel et aux clans qui tripotent joyeusement dans des caisses bourrées de pétrodollars ? Le premier, à travers le Parlement, des médias, des syndicats libres, des ONG, des associations, des élites et des universités autonomes, une opposition qui s’exprime partout et tout le temps, trouve les liants, les espaces de médiation, de négociation sans rien perdre de sa légitimité ni de ses missions régaliennes pour dépasser les crises. Il apporte des réponses et des solutions politiques. Le deuxième pare au plus pressé. Il coupe l’Internet, s’attaque aux lointains satellites de communication, charge Al Djazira qui se moque du «concave des pleureuses», s’étonne des conseils reçus par les résidents étrangers, fait sonner des imams sur une chaîne unique, surclassée depuis des lustres, et souhaite, par le maintien de l’état d’urgence, un dialogue «civilisé», des «manifestations pacifiques et un parlement ouvert qui reflète la société. Les syndicats autonomes, les praticiens de la santé qui ont goûté le gourdin démocratique et les non jeûneurs apprécieront les appels des bienfaits de la civilisation. Les mots d’ordre sont inchangés: «Coupez l’Internet ! Censurez les scenarii non validés par l’imam et l’ancien moudjahid ! « Ne payez pas l’impôt et baissez les prix !
Les commerces n’ont pas besoin de registres» etc. La semaine prochaine, on passera aux préparatifs du scrutin de 2014, on va enterrer, une bonne fois, le paiement par chèque, on fera semblant de protester contre la politique française des visas, tout en faisant des propositions qu’elles ne pourront refuser, aux élites nationales basées en Europe, au Canada, aux USA, en Espagne Quant aux élites qui travaillent ici, coupez leur l’Internet» !
28 janvier 2011
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