On voudra bien d’emblée considérer l’alarmisme du titre de cette chronique comme toute autre chose qu’une clause de style. Jamais cette société n’a été regrettablement pessimiste sur son avenir, que depuis 2009, date du viol majeur de la loi fondamentale.
Auparavant contesté dans ses choix politiques par une timide opposition, le régime n’avait pourtant pas hésité à donner le mauvais coup de canif à la seule conquête qui valait la peine dans cette Constitution. L’abrogation de la règle de l’alternance lui ayant ouvert la voie à la perpétuité, l’on comprend de nos jours qu’il ne sache plus s’amender et moins encore agir et gouverner sous le contrôle de l’opinion du pays. Deux années se seront bientôt écoulées après l’illégale réélection et déjà l’Algérie doit faire face à une situation dramatique, point d’orgue d’une évolution logique d’un pouvoir ayant pris ses marques douze années plus tôt. C’est dire que le choix antidémocratique de passer outre la contrainte constitutionnelle en novembre 2008 n’était pas le fait du hasard mais était purement dicté par une sorte de tropisme devenu le modèle idéal : celui du Tunisien Ben Ali, pour ne citer que le plus proche d’entre les autocrates arabes. Au nom de la stabilité et la continuité, certains courtisans d’appareils avaient alors faussement amplifié le grand’œuvre d’un double mandat et ont poussé l’outrecuidance jusqu’à la mystification d’un «désir» du peuple reprenant ainsi, à la virgule près, le procédé mensonger qui a valu aux Tunisiens 20 années de pouvoir personnel. En ces moments graves que traverse le pays, qui est encore dupe de ces procédés ? Les voix qui s’élèvent, ici et là, aussi bien à partir de l’embryonnaire société civile que des îlots politiques sont déjà loin de la simple lutte pour des intérêts étroits. Globalement, elles s’inscrivent dans une respectable croisade morale contre l’effondrement de l’Etat livré à la rapine et dont les tenants n’hésitent pas à recourir aux interdits à la violence et à toutes sortes d’atteintes à la dignité de la personne humaine. C’est bien donc le système qui porte à bout de bras l’actuel régime qui est visé. Celui qui est l’inspirateur de l’asphyxie des partis politiques et le promoteur de l’autocensure. Celui-là même aussi qui a permis le grignotage plus ou moins subtil d’une liberté d’expression générale, dont le principe ne s’accommode pourtant pas d’exception, fût-ce celle qui concerne les islamistes. Cette bataille nécessaire dans laquelle commencent à s’impliquer des personnalités et des appareils doit d’abord mettre à la lumière le fascisme à l’algérienne qui caractérise le clan présidentiel. Autrement dit, c’est le moment crucial de rappeler qu’en matière de politique, il n’y a pas de hasard mais seulement des volontés cachées. En effet, qu’est-ce que ce régime et qui est ce pouvoir qui pratique avec délectation la sommation et l’insulte sous prétexte qu’en dehors de ses choix idéologiques, il ne peut y avoir de salut ? Comment peut-il n’être point effrayé par le processus qu’il a déclenché et qui s’illustre par les émeutes ? Interdire une seconde fois, jeudi soir, une marche pacifique dont les initiateurs sont des personnalités politiques, n’est-ce pas se désavouer lourdement lorsqu’il arrive que la rue vous prend à partie sans demander votre avis ? A tant faire qu’à prôner l’autorité brutale de la loi, il fallait avoir le courage d’aller jusqu’au bout. Or, la pusillanimité de la gouvernance qui l’incarne est là tout entière affichée dans les rues reconquises par le marché informel au lendemain des journées de contestation généralisée. Lâcher du lest par peur de la foule de jeunes chômeurs tout en envoyant des milices politiques pour casser de l’opposition n’est-il pas le trait distinctif des pouvoirs sombrant dans la paranoïa ? Sidi Saïd, ce syndicalomilicien qui convoque dans l’urgence une réunion de crise pour organiser «l’autodéfense » des outils de production, est précisément l’archétype. Loin de s’impliquer lorsque la rue grondait et détruisait, le voilà en mission commandée pour «anticiper» sur une manifestation strictement politique. Devenu par la force de la compromission un nervi du pouvoir, il n’eut pas le réflexe élémentaire de s’émouvoir à l’annonce de l’arbitraire dont vient d’être victime un syndicaliste libre du nom de Badaoui, dont il ne peut ignorer la grande probité dans le passé. Celle qui le fit connaître lors de l’affaire du journaliste Mohamed Benchicou et de son journal Le Matin, alors qu’il était SG du syndicat des douanes. Plaignons, plaignons cette pauvre union syndicale aveugle au point de ne plus pouvoir reconnaître les siens. Désormais membre de plein exercice dans le dernier carré des «souteneurs » du régime, aux côtés du parangon de la courtisanerie qu’est Belkhadem, Sidi Saïd vient de brader le dernier legs du syndicalisme de combat. Celui qu’il a reçu en héritage de feu Benhamouda un certain 27 janvier 1997. La trajectoire est consternante car elle ne disqualifie pas seulement un responsable, elle l’emporte également avec elle, ce pourquoi, les grandes espérances se sont nourries depuis Octobre 1988. Hélas, lorsqu’un militant syndical oublie les fondamentaux de sa «vocation» et se fourvoie dans la pratique politicienne, il ne peut que sombrer dans l’allégeance et les motions de soutien qui vont avec. Sauf qu’il ignore qu’un «pouvoir que l’on soutient est un pouvoir qui tombe». La boutade est de Talleyrand, qui eut toujours un temps d’avance sur les disgrâces.
B. H.
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http://www.lesoirdalgerie.com/articles/2011/01/22/article.php?sid=111650&cid=8
22 janvier 2011
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