Chronique du jour : ICI MIEUX QUE LA-BAS
Ben Ali, ex-président à vis, accomplit une omra par inadvertance !
Par Arezki Metref
arezkimetref@free.fr
Dimanche 10 : Mauvais élèves, ces parleurs !
Y’en a un là qui nous la refait, «chahut de gamins» ! Pire : délinquants ! Il nous la rejoue ce-sont-des-casseurs- pas-des-manifestants. Il nous l’interprète sur le mode de la criminalisation de la révolte. Il nous la retourne voyous. Y a de qui tenir !
Déjà en 1988, on se souvient de celui-là, tu vois, qui a transformé une révolte sociale en un «chahut de gamins». Te souviens-tu de cet autre qui a dit de Massinissa Guermah que c’était un délinquant ? Voilà maintenant que l’actuel ministre de l’Intérieur nous refait, à la note près, le même refrain archi-éculé. Ce ne sont pas des jeunes sans avenir et même sans présent qui, privés d’espaces d’expression, s’en prennent violemment aux biens publics et privés. Non, il n’y a rien de social ni de politique dans la révolte de ce mois de janvier. Il n’y a que des casseurs qui, pour assouvir l’un de leurs bas instincts de casseurs, s’adonnent à la déglingue générale du pays ! C’est tout, ne cherchez rien d’autre ! Affligeant ! Comme dirait le camarade général Giap, ce sont de «mauvais élèves», ces gens-là, ils ne tirent jamais de leçons de l’Histoire. «L’insurrection confine à l’esprit, l’émeute à l’estomac», Victor Hugo.
Lundi 11 : Le problème n’est pas le lait mais la vache !
Ça se calme plus ou moins chez nous, mais ça barde crescendo chez nos voisins de l’est. L’annonce de la baisse des prix des produits incriminés a tempéré chouïa les ardeurs colériques des jeunes. A part ça, tout est resté comme avant. Le président continue à se murer dans un silence sidéral, le Premier ministre joue les abonnés absents, les grouillements de clientèles qui d’habitude se portent volontaires pour en découdre avec ceux qui ne sont pas d’accord avec les maîtres, ont compris que l’ordre est donné du couchez-vous ! Chacun rejoint pénard sa tranchée où il attendra que l’explosion passe, après quoi ils vont ressortir bomber le torse dans les journaux et à l’Assemblée nationale. On a envie de leur dire : c’est maintenant qu’il faut sortir des trous ! Espérons que ça ne s’arrête pas à cette mesurette de baisse de prix. La révolte qui secoua le pays ces derniers temps n’est pas une émeute de la faim. Non ! C’est une protestation contre le pouvoir, sa façon inique et incompétente de gouverner, son autoritarisme manœuvrier, la gangrène de la corruption, la harga comme seule issue possible pour l’avenir de la jeunesse, le scellement à la baïonnette des champs politiques… Tu en veux encore ? T’as qu’à regarder autour de toi… Ce serait un sacré rendez-vous raté si cette révolte ne débouchait pas sur une quelconque incidence politique. On serait en-deçà d’Octobre 88 où, au moins, on a eu droit au multipartisme… Mais il est vrai que le train Algérie s’est fait pour spécialité et objectif de rouler en marche arrière. «La bouse de la vache est plus utile que les dogmes : on peut en faire de l’engrais» Mao Tsé-toung.
Mardi 11 : Président à vis !
Il manque vraiment pas d’air Ben Ali ! Hier encore, lui, son clan, ses clientèles bassinaient les Tunisiens qu’il était la providence et qu’après 2014, date de fin de son mandat en cours, il était impératif qu’il continue à gouverner. Il nous disait aussi, et cette fois avec l’aval des protecteurs occidentaux, que le pays était à niveau, que l’islamisme y était éradiqué… Bref, les Tunisiens devaient louer Dieu et Ben Ali pour leur avoir construit un paradis sur terre. Et voilà que, désespéré, un jeune s’immole par le feu, décrivant par son sacrifice la parabole d’un pays en trompe l’œil. Premières manifestations, premiers coups de feu en représailles… Autisme. Mépris. Puis embrasement généralisé. Comme tout bon dictateur, Ben Ali a fait fuir les siens à l’étranger. Air de déjà vu. Pour apaiser un peuple en colère d’être depuis 23 ans le dindon de la farce, Ben Ali croit encore qu’il suffit de quelques bons mots susurrés à l’oreille du peuple pour que la paix survienne. Trois interventions télévisées en quelques jours. Chacune a, comme il se doit, attisé la colère plutôt qu’elle ne l’a amoindrie. Il promet une baisse des produits de première nécessité ? C’est bien, mais ce n’est pas ce que souhaitent les Tunisiens. Il promet 300 000 emplois ? C’est bien, mais le mal est plus profond. Il s’engage à ne pas se représenter en 2014 ? C’est bien, mais c’est maintenant que les Tunisiens veulent son départ. La tête ne sait plus où donner d’elle-même. Que va-t-il advenir de Ben Ali ? T’inquiète, il a amassé un magot suffisant pour se mettre à l’abri de ces petites choses qui empoisonnent le quotidien des manifestants. «La vie m’a appris qu’il y a deux choses dont on peut très bien se passer : la présidence de la République et la prostate», Georges Clemenceau.
Mercredi 12 : Nouvel an nagh !
Veillée de Yennayer ! Scoop : nous sommes en 2961 ! Jamais les autres ne nous rattraperont. Pas ceux qui chevauchent le calendrier grégorien, et encore moins l’hégirien… Il est réconfortant que l’on revienne à la célébration de ce nouvel an antéislamique. Ça fait partie d’un héritage qui remonte au temps où l’un des nôtres, Chanchaq 1er, était pharaon d’Egypte. Comme quoi être de notre terre mène à tout, à condition d’en sortir. Quand on voit, par exemple, comment les Chinois fêtent leur nouvel an où qu’ils soient dans le monde, on se dit qu’on a encore du chemin à faire. Mais, ne boudons pas notre plaisir, on se réveille à Yennayer, c’est déjà pas si mal. Peut-être que nous devrions remercier les Egyptiens qui, nous ayant rappelé que nous n’étions pas des Arabes lors de la guerre autour d’un match de foot, nous ont poussés à revenir à nos fondamentaux. «Ce que vous avez hérité de vos ancêtres, il faut le mériter par vous-mêmes, autrement ce ne sera jamais à vous, Goethe.
Jeudi 13 : Sacrifiés ! Revu
Les sacrifiés, le film de Okacha Touita. Réalisé en 1982, il relate l’histoire d’un émigré qui débarque au début de la guerre d’indépendance dans un bidonville de Nanterre. Pris en main par le FLN, il se trouve mêlé à la lutte intestine contre le MNA. Il participe aussi, tout en les désapprouvant, aux représailles du FLN à l’encontre des timorés, des contrevenants aux lois sur l’alcool… Il finira par perdre la tête, un peu comme l’Algérie… Il convient de rappeler que ce film a été réalisé 28 ans au moins avant Hors la loide Rachid Bouchareb, à une époque où, côté algérien, contrevenir à l’héroïsation du combat était presque un acte de trahison. Le film n’a pas vieilli. Revu aujourd’hui à la lumière des déchirements intra-algériens, il a quelque chose de lucidement prophétique. «Fanatique-Héros qui, pour le triomphe de ses préjugés, est prêt à faire le sacrifice de votre vie», Albert Brie.
Vendredi 14 : Le fuyard !
Incroyable ! Il s’est débiné fissa ! Comme un rôdeur, Ben Ali s’est tiré en catimini ! Qui aurait imaginé que son règne de fer se termine aussi piteusement ? Car, franchement, hein, c’est pas piteux ça, de fuir son peuple soumis à la trique et à la paupérisation cependant qu’on conviait sa famille à un festin perpétuel sur les deniers publics ? Camarades maghrébins, pas besoin d’attendre, dans vos guérites, que les pilleurs viennent de l’extérieur. Ils sont déjà là, parmi nous ! L’histoire de Ben Ali est aussi tragique que tragiquement banale. Ce type, il y a 23 ans, déposait Bourguiba par un «coup d’Etat» chirurgical, car il estimait que le père de la Tunisie moderne, tout père qu’il était, devait quitter le pouvoir. Il s’était engagé, le putschiste médical, à rendre le sceptre, le temps d’une brève transition. Tu parles, un quart de siècle plus tard, il en était encore à briguer le énième mandat après avoir transformé la Tunisie en un Etat policier où même pour respirer, il faut que les flics laissent faire. Avec ça, sa belle-famille, insatiable, se mit à mastiquer tout ce qui bouge. Le festin dure depuis lors ! L’empire créé à partir des biens publics donne le vertige. Pour y parvenir, il fallait gouverner d’acier et ça, Ben Ali savait y faire. On n’entendait pas une mouche voler, surtout dans les communications téléphoniques. Répression tous azimuts contre les militants des droits de l’homme et de la liberté d’expression. Brutal, le régime Ben Ali n’hésita pas à utiliser tous les moyens répressifs pour faire taire les protestataires : emprisonnement, bastonnades, surveillance, mise sur écoute du téléphone, retrait de passeport, intimidations, etc. Sur l’autre face, la propagande présentait une Tunisie clean et prospère, adoubée et soutenue par l’Occident, où il fait bon vivre… Puis, ça pète. Et voilà que l’édifice, que certains même chez nous en Algérie donnaient en exemple, se met à se fissurer. Très vite, en quelques jours, les manifestants dégorgent une colère accumulée depuis plus de deux décennies contre celui qui n’est, au fond, qu’un tyran et même pas franc du collier. Aux premiers jours de la révolte, il essaye de garder la main en précisant, par exemple, qu’il avait été trompé par son entourage. Ouais, ils disent tous ça… Ensuite, il prend la poudre d’escampette. Paris ne voulant pas de lui, il se tourne, en bon musulman, vers La Mecque. Pitoyable, là aussi ! L’ennui, c’est que des gens comme lui ne vont jamais rendre de compte à personne ! Ils vont couler certainement des jours heureux, en feuilletant l’album de photos du palais. Ils ont peut-être même laissé traîner, en quelques endroits sensibles, des fidèles… Qui sait ? Les Tunisiens, qui ont arraché cette victoire aux prix de lourds sacrifices, vont alors s’apercevoir, comme nous autres jadis, qu’ils ont bossé pour du beurre. On ne sait encore à qui va profiter la fuite de Ben Ali. Si ça se trouve, on en prend d’autres et on recommence à l’identique ! Mais soyons optimistes… «La force et la faiblesse des dictateurs est d’avoir fait un pacte avec le désespoir des peuples», Georges Bernanos.
A. M.
Source de cet article :
http://www.lesoirdalgerie.com/articles/2011/01/16/article.php?sid=111367&cid=8
16 janvier 2011
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