Par Boubakeur Hamidechi
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Alors que commentaires et analyses se sont multipliés, le pouvoir a choisi, lui, de ne pas s’exprimer sur l’origine exacte des émeutes. Muré dans un silence tactique, le chef de l’Etat a donc choisi d’ignorer publiquement les turbulences du pays.
Or, si sa démarche est d’abord embarrassante pour le cercle de ses fidèles, par ailleurs, elle ne lui épargne guère la volée de bois vert venue de toutes les oppositions. En effet, à travers une telle posture ne jette-t-il pas un voile dangereux sur sa propre autorité de président de la République ? En feignant de mettre de la distance entre son magistère et les pulsions de la société ne commet-il pas la plus grossière des erreurs ? Car quels que soient les contextes, un dirigeant élu, fût-il le plus éminent, est en devoir de gouverner et d’assumer ou alors il ne lui reste qu’à partir. L’axiome est valable ici également, même si la religion algérienne du pouvoir possède ses spécificités. Dans un pays en proie à tous les démons de l’effondrement, il n’y a plus de place aux coquetteries des ego quand bien même de véritables désaccords existent entre les sphères influentes. Loin d’être stupide, l’opinion générale a fait, bien avant le feu roulant de la violence, le constat de son «désintérêt» croissant pour la gestion et le contrôle de l’action publique. Quelles qu’en soient les raisons avancées (son grand âge et sa maladie notamment) les longues éclipses du chef d’Etat portent préjudice à toute l’architecture institutionnelle. C’est ce que vit et subit, depuis sa réélection en 2009, l’Algérie. Dire que l’attitude actuelle de Bouteflika préfigure une vacance anticipée relève sûrement de la fiction à moins que d’autres évènements interviennent et que le rapport de force interne entre les institutions constitutives de l’Etat s’aggrave. Autrement dit, pour quel motif et dans quel timing un mandat peut-il être abrégé sans le recours évidemment au putsch ? Puis comment une transition démocratique pourrat-elle se substituer à l’ancien régime afin de jeter les bases d’une seconde république ? Dans l’état actuel des choses, ces trois préalables sont impossibles à réunir. A partir d’un parlement majoritairement peuplé de clercs aux ordres, il est inimaginable de parvenir à une solennelle défiance des deux tiers des deux chambres réunies. Quant à la sollicitation de l’armée, synonyme diabolique de renversement brutal, qui y songerait sans être accusé (à tort d’ailleurs) de fasciste et autres imprécations d’idéalistes ? Dès lors que les deux premiers termes de l’équation s’avèrent mal posés, il ne reste que le long combat pour transition démocratique qui soit réaliste. Mais après 2014 seulement ! La récente proposition du leader du RCD appelant à une marche pacifique ce mardi à Alger semble a priori s’inscrire dans cette perspective. Sauf que quelque part, le double pari dont il s’agit pourrait bien ne pas profiter à la cause qu’il vise à promouvoir. La fin de non-recevoir, du moins attendue, apposée par le ministre de l’Intérieur à la demande suscitera à coup sûr les foudres du RCD dont l’initiative aurait pu, le cas échéant, constituer une sorte de trampoline au discours futur d’El Mouradia. Expliquons-nous. Destinée à casser, à la fois, le blocus imposé aux manifestations politiques et en même temps traduire en projet explicite les non-dits du ras-le-bol social, rien n’est moins sûr que les dividendes escomptés soient au rendez-vous. Cela veut dire que les probabilités de détournement d’une telle action existent. Comment ? Bien qu’on le dise affaibli par les fuites à l’origine des révélations sur la corruption de son clan, ensuite profondément déçu par la médiocrité des commis qu’il a nommés aux manettes des affaires publiques, Bouteflika est pourtant en mesure de récupérer à son profit ce défi, à double détente, qui lui est lancé. En effet, peut-on imaginer, par hypothèse, qu’il donne l’ordre d’autoriser cette marche et qu’il en décrypte les doléances pour en faire la substance d’une réponse à la nation ? Qu’en sortira-t-il ? Probablement un changement d’orientation quitte à ce qu’il la nommera, pour ne pas battre sa coulpe, «la nouvelle nécessité». Mais encore ! Il se donnera alors les arguments pour toiletter de fond en comble le gouvernement en recrutant le nouveau personnel dans d’autres pépinières que celles de «l’Alliance» ! Ne craignant pas les conversions puis les reconversions, s’étonnera-t-on alors qu’il reprenne la main dans les affaires de l’Etat après d’éclatantes répudiations qu’il imputera aux fourvoiements des disgraciés ? Redevenu maître du jeu, il rebattra les cartes du pouvoir avec la dextérité d’un croupier de casino, faisant ainsi oublier qu’il porte la part la plus déterminante de la clochardisation sociale. Ainsi, celle qui se donne pour nom «opposition» aura, paradoxalement, fourni l’élan vivifiant à un président à bout de souffle. Mais alors que faire ? S’inquiétera-t-on. Rien d’autre que de pousser dans leurs derniers retranchements ces dirigeants en entretenant une sorte de désobéissance civile larvée. Dans une société où le «futur n’a pas d’avenir», pour reprendre la superbe formule d’un auteur de libelles, comment agir autrement que ne l’ont fait ces cohortes de jeunes devenus indistinctement tous voyous dans les propos d’un ministre de l’Intérieur irresponsable. Face au gangstérisme d’un pouvoir méprisant, il n’y a plus dorénavant que ces milliers de voyous qui hantent son confort. Désormais, ce sont plusieurs millions d’Algériens qui revendiquent cet agréable qualificatif ! C’est que, voyez-vous, cette tourbe sociale ne sait pas ce qu’elle veut mais sait ce qu’elle ne veut plus : Vous ! Dans la langue châtiée des politiciens cela se dit : l’im-po-pu-la-ri-té.
B. H.
Source de cet article :
http://www.lesoirdalgerie.com/articles/2011/01/15/article.php?sid=111315&cid=8
15 janvier 2011
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