YASMINA KHADRA
«L’Algérie n’est pas une histoire, mais une émotion»
R.C - Lundi 10 Janvier 2011 – Page : 21
L’auteur de L’Attentat |
Le romancier Yasmina Khadra a affirmé à Paris que l’Algérie «n’est pas une histoire, mais une émotion» et qu’«il faut y aller pour la sentir et la vivre» a-t-il affirmé. «J’essaie, pour ma part, à travers ces rencontres, de vulgariser le mythe africain et d’orienter l’attention des gens sur l’Algérie. Mais personne ne connaît ce pays qui demeure une énigme aux yeux de nombreux pays», a-t-il dit, dans un entretien à l’APS, en marge d’une rencontre qui l’a réuni vendredi soir à un groupe d’étudiants de l’université de San Diego en voyage d’étude en France.
«Il faut impérativement que notre pays s’ouvre à travers des initiatives heureuses et qu’il apprenne à s’émerveiller et à émerveiller les autres», a-t-il dit. «Nous devons essayer par tous les moyens de rendre ce pays fréquentable et prouver qu’il recèle un monde très intéressant et une mentalité et une culture qui pourraient servir à enrichir la culture des autres», a-t-il ajouté, regrettant que l’Afrique du Nord ne se limite pour les Américains et les Occidentaux qu’à des pays voisins, alors que «l’Algérie est pourtant un pays beaucoup plus attractif et plus intéressant de tout point de vue».
Il a déploré, par ailleurs, que ces pays ne voient l’Algérie que comme «un puit de pétrole», soulignant que «les étrangers viennent avec l’idée d’investir, de conquérir des espaces vitaux et ne voient pas très bien toute la magie qui entoure ces puits». «J’ai dit aux étudiants américains que j’ai rencontrés aujourd’hui que l’Algérie est un pays qui ne se raconte pas et qu’aucun écrivain n’a réussi à donner le 1/5e de ce qui mérite d’être écrit véritablement sur ce pays comme attraction», a affirmé cet écrivain.
«Je leur ai également dit que pour eux, le monde s’arrête à leurs frontières et que c’est à eux d’aller à la rencontre de ces espaces qui leur paraissent fantasmagoriques et qui ne sont le reflet que de ce qu’ils sont véritablement».
«Les Américains, les Mexicains ou les Africains sont d’abord des êtres humains. Et la magie de ce florilège, c’est justement les différences», a souligné le romancier. De son point de vue, l’ignorance n’est pas le fait d’être inculte, «c’est le fait de méconnaître. C’est par la méconnaissance que tous les repères et tous les prismes deviennent défaillants, car si on fantasme sur quelqu’un, si on le craint un peu, il devient à nos yeux le plus grand des monstres».
«C’est pourquoi, s’il faut faire quelque chose, c’est au niveau de l’Etat que les choses devraient se déclencher», a-t-il poursuivi, estimant que notre drame est que «nous manquons d’ambition et d’audace». «Nous n’avons rien à cacher, aucun peuple n’est parfait, il ne faut pas que nos imperfections deviennent des espèces de réticences derrière lesquelles on va se retrancher», a ajouté Yasmina Khadra pour qui «il faut prouver que nous sommes aussi capables d’étonner, de surprendre agréablement. C’est une question de vaillance citoyenne».
Sur l’hypothèse que ces visites organisées par des pays étrangers puissent changer l’image que l’on se fait de l’Algérie, il a souligné qu’il y a de fortes chances qu’elles puissent les changer à condition que ce type d’initiatives puissent se multiplier, estimant que si ces étudiants sont revenus, c’est qu’ils ont trouvé quelque chose à prendre et que le discours qu’ils ont entendu a donné des fruits.
Par contre, a-t-il ajouté, l’intellectuel aujourd’hui n’est plus qu’une image, pas une idée, une pensée, l’inventivité et l’extralucidité, soulignant que maintenant «nous sommes épatés plus par ce que nous voyons que par ce qui nous interpelle intellectuellement».
A propos des débats sur l’immigration, l’intégration et l’identité, Yasmina Khadra pense que l’intégration doit être «naturelle» et «se plier aux obligations du pays hôte», ajoutant que «ceci ne doit pas nous empêcher d’être ce que nous sommes».
En Europe, a-t-il souligné, «on ne demande pas aux immigrés de s’intégrer, mais de se désintégrer et d’oublier leur culture et leur religion. Et lorsque les choses vont mal et qu’on ne trouve pas de solutions, on charge un coupable qui n’est que l’immigré, c’est ce qui se passe en Europe confrontée à une mondialisation qui lui échappe».
10 janvier 2011
LITTERATURE