Il est vieux, mais tout le passionne. Il vit la vie augré d’humeurs et de désirs, plus changeants les uns que les autres. Il est peu aisé de le suivre dans ses discussions, mais ne l’accusez pas de manquer de sincérité. Il passe de l’agitation la plus enflammée, quand ses rhumatismes le lui permettent,
à la déprime la plus noire, toujours à cause de ses articulations. Sa situation de retraité, il la vit avec beaucoup d’humour. Lorsqu’il reçoit son mandat, il pique un fou rire qui ne manque pas d’indisposer le facteur, qui grimpe pourtant trois étages de l’immeuble qui commence à ressembler à la mauvaise volonté des locataires, pour le lui remettre. Tout en se dilatant la rate, il ne s’empêche pas de se rappeler que lors des premiers jours de son mariage, sa mère, voulant tester la nouvelle venue, lui donna cinquante kilogrammes de semoule à rouler en couscous. Test, d’ailleurs, que Daouia a passé avec brio. «Maintenant, je suis sûre, lui dit sa mère El-Hadja, que c’est vraiment une femme d’intérieur, kima yabghi el-khater». Forte de cette mention, toute la famille sollicitait les services de Daouia, à toute occasion. Sa réputation dépassa les frontières des proches et cousins, le voisinage aussi s’y mit. Femme transformée en machine à rouler le couscous, souvent roulée, elle décida de se faire payer ses services. Depuis, sa maison est transformée en unité de production concurrente de la Sempac. La situation ne manquait pas d’irriter Otchimine parce que, toute l’année, la plus grande chambre de la maison était fermée, car servant au séchage du couscous. Situation qui était à l’origine de beaucoup de scènes de ménage. Daouia ne travaillait plus sur commande, elle développa et commença à planifier son activité. Deux mois avant le ramadhan, elle livrait ses premiers clients, elle préparait la saison des mariages, mais prioritaires étaient les familles touchées par un malheur. Refusant d’encaisser ses prestations, elle compatissait ainsi à leur douleur. Aujourd’hui, sans l’apport financier de Daouia, sa retraite aurait à peine suffi à payer ses anti-inflammatoires. Il lui arrive même de regretter d’avoir tout fait pour que ses filles finissent leur université, car elles sont au chômage. Elles auraient mieux fait de se spécialiser dans le tberkiche ou ftil berkoukesse… C’est plus fatigant, mais ça peut servir…
10 janvier 2011
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