C’est au détour d’un échange sur Facebook que l’on se trouve confronté aux points de vue, préoccupations et attentes des jeunes Algériens, en ces temps de bruit et de fureur qui secouent l’ensemble du Maghreb et semblent annoncer la fin
des dictatures. Au moins y trouvent-ils un espace d’échanges leur permettant, sur des questions aussi lourdes pour l’avenir de notre pays que le choix d’un Président de la République, d’exprimer leur point de vue.
Voici le texte sous la signature d’un pseudo «Ahmed Benbitour» qui, paru vers le 15 décembre, a déclenché plus de quarante commentaires de la part d’une dizaine d’internautes, certains étant plus prolixes que d’autres.
«La Hogra, la corruption, une bureaucratie pourrie doit disparaître et laisser la place à l’homme qu’il faut à la place qu’il faut, place à cette nouvelle génération des grandes écoles pour sortir l’Algérie de là où elle se trouve depuis l’indépendance, une révolution de l’intérieur. Si ce discours ne plaît pas à certains, qu’ils partent de notre pays. DEBOUT L’ALGERIE, les supporters de notre prochain Président, Ahmed. Par : Ahmed Benbitour»
Un communiqué et deux remarques
Une remarque d’abord en ce qui concerne la signature de ce genre de «communiqué». Comment peut-on se permettre, même si l’on est un fervent supporter d’Ahmed Benbitour, d’avoir l’outrecuidance de choisir comme pseudo le nom d’un homme en vie. A moins qu’il ne s’agisse du choix médiatique fait par le centre des CICC. Ce qui ne paraît pas être très heureux comme parti pris, tant les confusions, manipulations et équivoques vont tellement brouiller les messages que l’on ne saura plus qui parle, ou qui parle au nom de qui, et/ou à la place du principal concerné.
Deuxième remarque relative au contenu. Son auteur appelle à une «révolution de l’intérieur», qui n’est rien moins qu’élitiste, puisqu’elle s’adresse aux produits des «grandes écoles», en se servant d’un slogan de l’ère Chadli, déclassé et passé de mode, parce que bien peu appliqué avec la pertinence qu’aurait exigée l’intérêt du pays. Qu’il faille faire révolution en portant les jeunes diplômés au pouvoir et appliquer avec rigueur et justice le mot d’ordre de l’homme qu’il faut à la place qu’il faut, rien de plus normal. Et rien de plus naturel, afin que l’Université algérienne ne produise pas que chômeurs, exclus et déclassés, et ait l’utilité économique et sociale que tout le monde en attend.
Mais de là à adopter des attitudes sectaires, aux antipodes du programme rassembleur du futur candidat, c’est, d’une part, desservir celui que l’on veut porter au pouvoir et, de l’autre, créer une caste qui sera plus nocive que celles qui l’ont précédées. Voilà donc revenues au grand galop, les maladies infantiles qui ont miné la mouvance démocrate, dont celle de l’élitisme, fondé sur l’exclusivisme, le sectarisme et le rejet de tous ceux qui ne pensent pas comme nous, même s’ils sont tout aussi compétents que nous, si ce n’est plus. Cela me rappelle la période où certains partis se considéraient comme le nombril conceptuel et politique du pays ; mais ceci est une autre histoire que l’histoire a dépassée.
Le changement : un emploi, un logement, une famille !
Or la future phase historique qui s’annonce devrait définir les règles du «vivre ensemble», en tenant compte de l’évolution de la société algérienne et des besoins prioritaires de la masse de jeunes qui la compose : un emploi, un logement, une famille et un niveau de vie décent, pour que tout cela forme un ensemble cohérent et éloigne toute tentation de harga.
Heureusement que la majeure partie des commentaires sont loin d’être du même tonneau, sectaire et exclusiviste. Ils nous permettent de voir se dessiner quelques tendances quant à la nature du changement et au profil du futur président souhaité par les Algériennes et Algériens.
Les commentaires ont abordé, malgré l’espace réduit des échanges, quatre types de questions pertinentes : nature et visée du changement, le temps du changement, les forces nourricières du changement, et enfin, la question-clé du centre d’impulsion du changement.
Nature et visée du changement
Le changement a été appréhendé sous différents angles. Certains désirent que le changement soit radical, sans préciser toutefois comment une soudaine rupture avec le système existant pourrait intervenir subitement. D’autres, comme Noria, voient le changement comme un processus global devant intéresser toutes les sphères de l’activité du pays. Cette exigence de globalité révèle un besoin de cohérence et d’interdépendance sectorielle.
Enfin, la plupart des intervenants semblent accorder leur préférence à un changement progressif, ce qui paraît être en contradiction avec l’exigence de profonde rupture avec le système actuel. Non pas une révolution comme avancé par certains, mais un processus réformiste en constante évolution. Peut-être est-ce cela que l’on définit généralement comme le changement dans la continuité du système ?
Fazia écrit à ce sujet :
«Le problème des Algériens c’est la précipitation. On veut toujours récolter le même jour. Notre vue est courte, je le dis bien, personne n’est contre le changement, moi, personnellement, je suis optimiste mais travaillons et laissons à nos enfants la récolte.» On ne pouvait définir le développement durable plus simplement.
Pour ce qui est de la visée du changement, on retrouve la même distribution que pour la nature de celui-ci. Toutefois, il faut remarquer que la majeure partie des internautes est consciente qu’il ne peut y avoir de véritable changement qu’en rompant avec le système qui a prévalu jusqu’alors. Mais rares sont ceux qui précisent comment l’on passe du système actuel, dont personne ne veut plus, au nouveau système correspondant, en gros, à l’alternative démocratique, citoyenne et de justice sociale.
Mais Nawal, une internaute réaliste et pragmatique, va à l’essentiel en proclamant haut et fort :
«Commençons par changer nous-mêmes nos mentalités, notre régionalisme et devenons un peuple uni.»
Le changement ou le comment vivre ensemble, nous venons de le voir plus haut.
Le temps du changement
Là aussi, les avis peuvent être distribués en deux grandes catégories. Les partisans du changement immédiat, ici et maintenant ; et ceux du changement progressif articulant plusieurs étapes dont le profil demeure indistinct, pour ne pas dire inexistant. Cette interrogation sur le temps du changement nous ramène à la nature profonde de celui-ci : le changement par rupture violente, le changement par effraction des portes de l’histoire ou le changement pacifique par la mise en route d’un processus réformiste mûrement réfléchi et, à chaque fois, adapté aux circonstances et à l’évolution de la société algérienne et du monde.
Les forces du changement, la corruption et le reste
Le paragraphe déclencheur du débat en cerne les contours. Il s’agit bien justement de générations nouvelles, «produits des grandes écoles» ; laissant supposer que tous ceux, ayant pu accéder à une formation qualifiante, et, pour bon nombre d’entre eux à des responsabilités, n’ont pas impulsé le changement attendu depuis l’indépendance. En un mot, le produit des grandes écoles n’a pas attendu les années 2000 pour être opérant. Il faisait partie du système et le système s’en est servi comme il l’a toujours fait puisqu’il va jusqu’à programmer et préparer les futurs dirigeants du pays. Sid Ahmed Ghozali a bien vu les choses, puisque dans un excès de sincérité, un aveu de culpabilité aussi, ou de coquetterie langagière, il a parlé de «harkis» du système.
Le changement est bien un processus essentiellement politique se servant de courroies de transmission techniques ou scientifiques. La république des savants et des philosophes n’a existé que dans la grotte aux Idées de Platon. Par contre, celle des corrompus vient de perpétrer un crime contre la démocratie dans ce que l’on considère comme la plus grande démocratie du monde, les USA. La Cour suprême des Etats-Unis, le 21 janvier 2010, a pris une ahurissante décision en légitimant la corruption. Pour cela, elle se fonde sur le premier amendement de la Constitution qui défend la liberté d’expression. Voilà ce que légiférer et savoir rédiger veut dire :
«Au nom du droit sacré à la liberté d’expression, les entreprises privées américaines peuvent désormais corrompre sans limites leurs élus à la stricte condition que tout soit transparent.»
C’est là l’essentiel de cet incroyable arrêt rendu par le Chief Justice John G.Roberts Jr, nommé à vie, à l’âge de 49 ans, en 2005, par G.W Bush. Et Edouard Tétreau, auteur du livre d’où je tire cette information, de conclure :
«Faut-il donc se résigner à voir dans l’Amérique une puissance bientôt totalement corrompue, aux mains des intérêts privés les plus argentés ? Le prochain président des Etats-Unis sera-t-il un président Goldman Sachs ou JP Morgan .Google ou Microsoft Boeing ou Lockheed ? Exxon Mobil ou Texaco ? Et pourquoi se limiter aux entreprises américaines ? Lorsque Gazprom, la People Bank of China, tel conglomérat industriel israélien ou fonds souverain moyen-oriental auront racheté un de leurs pairs américains, pourquoi n’auraient-ils pas, eux non plus, le droit de se payer le Président des Etats-Unis d’Amérique ? Messieurs Poutine, Jintao, Netannyahou, faites vos jeux.» In Edouard Tétreau-«20.000 milliards de dollars», éd. Grasset, p.149.
Le changement l’incantation et l’opposition
En lisant et en relisant ces informations, je comprends encore mieux ces campagnes auto justificatrices lancées par les lobbyistes de Bush pour valider l’invasion de deux pays souverains et ces envolées grandiloquentes et ridicules glorifiant la liberté, la justice et la démocratie. Lors que les choses sont simples, la guerre, parce que la survie du Grand Capital l’exigeait, ni plus ni moins.
Et, après ce salutaire détour, loin d’être une digression, puisqu’il nous ramène au cœur de notre sujet, les Algériens, comme bien d’autres espèces d’ailleurs, donnent l’impression de faire de la politique de manière incantatoire. Soit en nous éloignant du réel par le biais de l’incantation, soit en le voilant ou en le déformant, croyant le rendre ductile, malléable et corvéable sous l’effet de nos incantations. Mais nous n’abordons pas le réel en tant que tel en confrontant nos idées et nos projets aux limites imposées par le réel. Tout se passe, dans nos cerveaux, comme si nos idées allaient d’emblée dominer le monde et s’y imposer. Comme si toute opposition allait se ranger à nos côtés par le simple fait que nous estimons nos idées plus justes que celles des autres. Dans le réel, l’opposition et les résistances existent. Même si, momentanément, elles vous donnent l’impression d’avoir capitulé, elles attendent leur heure, elles reculent pour mieux vous investir et vous lapider.
Le changement, notre changement, n’est ni du goût ni des intérêts de tous. Vous n’entrez pas en politique comme on entre dans un univers aseptisé, d’où toutes les forces hostiles au changement auront été éliminées. Vision simpliste du réel, tout le monde en conviendra et que l’on ne s’engage à mener une bataille aussi complexe, rude et éprouvante que celle du changement, avec la morgue et la suffisance affichées par l’auteur du paragraphe débattu.
Par ailleurs, que la compétence et le mérite soient au fondement d’un sain changement, nul ne peut raisonnablement le contester. Mieux, il faut l’encourager à persévérer dans cette voie.
Tout en sachant que, tôt ou tard, l’on sera confronté au réel de plus en plus contraignant, et, pour aller vite, au contenu de l’arrêt de la Cour suprême des USA et à ses inévitables conséquences.
Pour s’en convaincre, qui a décidé du sort des élections en Côte d’Ivoire ? Qui a décidé, bien avant même l’ouverture du scrutin, que ce serait Ouattara, le mari de Viviane et non pas Gbagbo le résistant au pouvoir français qui présiderait aux destinées du pays ? Sarkozy et sa clique européenne, gardiens du Temple Capital ! Cela n’est-il pas arrivé en Algérie et ne risque-t-il pas de se reproduire chez nous. Les centres ont toujours besoin de périphéries dociles pour s’installer et se reproduire.
Profil du président du Changement
Voyons donc maintenant comment nos internautes voient leur futur Président. Pris dans leur ensemble, les commentaires dessinent avec une certaine pertinence le profil idéal de leur candidat. C’est ainsi qu’est esquissée une grille de critères susceptibles, demain, de guider le choix des futurs supporters ou électeurs.
En tout premier lieu, le critère de l’authenticité. «Être fils de l’Algérie», particulièrement de son histoire et de sa culture profonde ; laissant supposer que certains candidats pourraient ne pas y répondre, dans le fond, même si les formes pourraient y être. Légitimité du sang.
Puis, vient le critère de la légitimité politique, impliquant l’existence d’une base sociale large et représentative qui porterait le candidat vers la magistrature suprême. Un parti ou une «Alliance» de partis. De ce point de vue, des reproches à peine voilés ont été faits à Ahmed Benbitour dont la candidature ne serait portée par aucun parti politique ; tout en laissant supposer que la nébuleuse des CICC semblerait en constituer l’ossature.
Dans le même état d’esprit, il lui est retenu de ne pas vivre au contact du terrain, l’enracinement social étant considéré comme un indicateur de taille. Quelles classes sociales et quels intérêts de classe le futur candidat se propose-t-il de défendre ? Pour importantes que soient ces questions, elles ne prennent densité que par rapport à la vision stratégique et politique du candidat, en matière de développement économique, social et culturel du pays. Puis, sur cette base, quel programme va-t-il proposer ? Ce sur quoi, Ahmed Benbitour a avancé un projet global de changement pacifique, qu’il a décliné en quelques défis majeurs au niveau de l’Etat et de la gouvernance, du développement économique et social et de la refondation du système éducatif. Remarque à ce sujet : beaucoup d’intervenants, en réclamant des idées ou des projets, ne semblent pas avoir pris ou pu prendre connaissance des propositions du futur candidat.
Benbouzid a raison, vingt après le début de son règne mieux vaut tard que jamais , de prendre conscience que les jeunes Algériens ne lisent pas. Et donc, de faire de la lecture une matière à part entière. D’où la nécessité de mieux refonder le système éducatif algérien qui prend eau de toutes parts.
Corruption, démocratie et transition
Le critère de l’intégrité a pris une bonne place dans l’échelle des indicateurs de choix, en cette époque où l’on parle d’extension de la corruption, où WikiLeaks fait ses révélations sensationnelles, et où pour la énième fois, les gouvernants jurent leurs grands dieux qu’ils vont prendre LES mesures qui s’imposent, et construire des observatoires, avec de grandes lunettes pour y voir bien plus clair, au sein d’un marigot où chacun et tout le monde applique la formule consacrée «henini wen’ hanik». Toutefois, paradoxe des paradoxes, certains internautes considèrent qu’il ne suffit pas d’avoir «les mains propres», mais qu’il est plus important d’avoir des idées. Peut-être faudrait-il préciser «des idées propres», pour un programme propre ! Enfin, c’est la faute à la lecture !
Enfin, et ce n’est pas le moindre des critères : le choix démocratique. C’est la clé du changement pour presque tous les intervenants. A leurs yeux, il ne peut y avoir de changement authentique sans l’organisation d’élections «propres» et sous surveillance crédible. Nul ne peut prétendre à la magistrature suprême s’il venait à être désigné, sous quelque forme que ce soit.
A.D. donne un point de vue, on ne peut plus clair à ce sujet, lorsqu’il écrit :
«Pour les élections, qui sont le seul passage vers la légitimité, la stabilité et le décollage socio-économique, il y a une façon de les utiliser pour se débarrasser du pouvoir, c’est le candidat unique du peuple qui installe une période de transition de 18 mois, à l’issue de laquelle des élections libres et honnêtes donneront le premier vrai président de l’Algérie moderne.»
Cela ouvre le débat sur la fameuse période de transition et les différentes formes qu’elle pourrait revêtir, selon les intérêts des uns et des autres. Mais, quelle que soit la donne, sont-ce vraiment les intérêts du peuple ? Cela fera l’objet d’un prochain et incontournable débat. Nous y reviendrons un autre jour.
7 janvier 2011
Contributions