Il n’a pas perdu la boule et encore moins le nord. Il a tout simplement oublié», tente d’expliquer le père à son épouse qui fusille de remontrances son garnement ayant omis d’acheter le tiers (1/3) de la commission.
«Et dire que l’épicerie est à un coin de rue !», insiste-t-elle. «C’est une maladie nouvelle venue se greffer aux maux ancrés et aux fléaux enracinés», explique le paternel, lui-même sujet à cette défaillance de la mémoire, une panne réparable, pense-t-il, car il n’eut jamais de faille durant son cursus scolaire depuis les années 50, un peu d’omissions en fin de carrière professionnelle, mais carrément des oublis à l’amorce du 3è âge. Mais le phénomène a tendance à se généraliser et l’aberrance existe chez les jeunes scolaires. « Même si ce mal s’expliquerait chez l’adulte, la gravité réside chez nos enfants qui n’arrivent pas à retenir une traître commission dans leurs courses domestiques ou une banale leçon de la veille, alors que de notre temps, on partait tôt à l’école coranique apprendre la Soura du jour et continuer l’apprentissage aussitôt sur les bancs de l’établissement scolaire à l’heure sonnante», se lamente le père. Il fouille sa mémoire et feuillette les pages du passé pour comprendre «ce phénomène ayant apaisé l’avidité intellectuelle surtout et aiguisé l’appétit», affirme-t-il. «Serait-ce le mode alimentaire ou la qualité des aliments ?», se demande-t-il. «Et pourquoi cette nonchalance qui s’apparente à la paresse?», questionne-t-il. Son voisin et ami ne peut le secourir. Hélé, ce dernier recherchait un document caché quelque part, par ses soins, et oublié. «Je n’arrive plus à retrouver la précédente facture de l’ADE pour motiver ma réclamation», se plaint-il, «et j’ai pourtant la ferme souvenance de l’avoir fourrée dans mes papiers», gémit-il. Cette faille risque de s’approfondir et s’étendre ou se démultiplier, ayant déjà conquis une base vulnérable. «Et, paradoxalement, certains vieux se remémorent encore moult souvenirs d’antan et des pans d’une histoire tumultueuse depuis les miséreuses années 40 et les bons de rationnement (aâm el-boune), jusqu’aux affres de l’hydre terroriste en passant par le joug colonial et le leurre de l’ère socialiste», notera le père à la face de sa femme ayant égaré son alliance dans le fouillis d’une armoire datant du siècle dernier, quand, en son bon milieu, ils avaient décidé de s’unir pour le meilleur et contre le pire. Hélas, ils durent constater, reclus et déçus, que le mal empire et espèrent que les pouvoirs publics s’intéressent à cette pathologie sociale qui risque d’ankyloser la volonté.
4 janvier 2011
Contributions