Quand on n’arrive même pas à gérer nos ordures ménagères…
le 01.11.10 | 03h00
La vérité est simple. Tout peuple de haute civilisation aspire à déguster des biens précieux que sont l’éducation, la santé, l’habitat, l’environnement propre et sain, la nourriture, la liberté et le respect de la personne humaine. Chaque peuple vaut ce qu’il est.
En 1884, un préfet, Eugène Poubelle, oblige les Parisiens à utiliser un récipient spécial pour déposer leurs ordures ménagères devant leurs portes afin qu’elles ne soient plus éparpillées dans la rue avant d’être ramassées par les services municipaux. Les Parisiens nomment ce récipient «Poubelle» ! Nos messieurs Poubelle doivent lire Jean-Claude Beaune avant de se regarder au miroir.
Une loi est établie pour être respectée. Une police a pour but de protéger la loi et défendre l’ordre. La loi n° 03-03 du 17 février 2003 relative aux zones d’expansion et aux sites touristiques et la loi n° 01-19 du 12 décembre 2001 relative à la gestion, au contrôle et à l’élimination des déchets existent. Elles regardent Messieurs Poubelle au miroir.
Le reflet du miroir est honteux. Le miroir met en relief les écrits de Jean-Claude Beaune : «La Casbah et d’autres médinas du temps de leur splendeur avaient jadis inauguré l’ère des jardins suspendus… Aujourd’hui, à Alger, on entre dans la période des ordures surélevées… On quitte La Casbah la tête pleine de souvenirs, les yeux pleins d’horreurs. C’est triste de voir des maisons prestigieuses céder la place à des dépotoirs». La lecture de Jean-Claude Beaune me donne réflexion.
Elle me serre le cœur comme un étau et me pousse à voyager librement dans mon imagination. L’élaboration d’une loi est une coutume et sa violation est une tradition banale. La tristesse des faits m’oblige à accepter la saleté comme une réalité et mon éducation la refuse en tant que culture.
Je ne suis ni ministre de l’Education habilité à préfacer des rapports éducatifs de type poubelle pour l’Unesco, ni un élu communal peu capable de gérer les ordures, sans poubelles, entassées dans les coins de rues de sa localité.
Je continue… Je ne suis ni ministre de l’Environnent dont la fonction permet d’embellir de roses, de lilas ou même de jasmins les allées de nos villes, ni ministre de la Santé vêtu d’un tablier blanc en mesure de dénoncer le danger des odeurs des ordures. Une négation de plus néglige la culture dans un espace de ruines romaines. Un espace de guinguettes et de mélodies où les ordures se cultivent.
Je suis tout simplement un éducateur apolitique qui aime lire les avant-propos et interpréter les résultats après action. La Vérité est mon objectif. J’ai un savoir qui me permet de dire : les ordures ménagères sont une richesse si elles sont bien exploitées. J’enseigne les procédés et je crois en leur efficacité. Les incinérateurs utilisent les ordures comme énergie et donnent des calories capables de dessaler l’eau de mer et les eaux saumâtres. La chaleur des déchets peut éclairer les lieux sombres de nos rues et réchauffer les lieux publics. Nous pouvons construire des usines de production de fuel fabriqué à base des déchets. Les ordures ménagères, une fois recyclées, ont la particularité de pourrir rapidement.
En jargon académique on les appelle déchets organiques biodégradables. Elles sont utilisées dans l’agriculture en Afrique du Sud pour leur grande capacité à amender le sol. Après transformation, les ordures ménagères deviennent compost. Ce compost amende le sol, améliore nos plantes et participe à la protection de notre environnement. Les ordures qui s’entassent dans nos rues sont mieux que les engrais chimiques. A titre d’exemple, je cite la France et l’Angleterre. En France, l’usine de méthanisation de Varennes-Jarcy (Essonne), mise en service en 2003, produit à la fois de l’électricité – de quoi alimenter une ville de 5000 habitants – et du compost. Les Anglais couvrent 15% de leurs besoins en électricité, de l’énergie obtenue par biodégradation de leurs ordures ménagères.
Nos ordures ménagères sont de meilleure qualité, mais l’ignorance évite le naturel et encourage l’importation du synthétique toxique, facile à écouler dans un marché de consommation peu contrôlé. L’industrie de transformation des ordures ménagères est un moyen efficace dans la création d’emplois durables. La technologie transforme la mauvaise odeur des ordures en énergie qui se vend en dollars parfumés.
Soyons conscients ! L’énergie et l’argent débordent de nous poubelles. Les gestionnaires de nos affaires doivent encourager l’investissement dans ce domaine. Le savoir-faire existe dans nos universités, l’argent s’entasse et stagne dans nos banques, mais la volonté de bien faire fait défaut. Chez nous, comme chez les autres, les analyses palpables sont plus utiles que les grandes synthèses philosophiques inutiles.
Les exigences de la raison pratique doivent l’emporter sur les séductions du bavardage politique plat et pompeux. Regardons le réel et faisons notre bilan. C’est en rétablissant les vérités que nous verrons en plus clair la Vérité. La conformité de ce que vous dites et ce que vous pensez avec la réalité quotidienne du peuple ne vous permet pas d’être un politicien démagogue. Cette conformité vous donne la carte de politicien démocrate à part entière. Votre nationalisme, votre courage, votre sincérité et surtout votre honnêteté vous permettent de faire un constat juste et loyal. Un constat loin des contraintes politiques de parti ou même des influences de clans.
En éducation, l’éducateur pédagogue de métier croit en sa mission et fait de bonnes choses avec une tête librement pensante et consciemment responsable. Il souhaite voir la Vérité autrement faite que le portrait actuel. Il se bat pour le bien-être de ses semblables. En politique, le démagogue de métier ne croit jamais en sa mission et ne voit jamais les choses dans le réel. Il planifie les rêves et plane dans ses illusions. Il utilise une malice tangente à la fausseté pour brouiller des idées tangibles qui brillent dans les têtes pensantes et conscientes. Il s’en fout du bien-être de ses concitoyens. Pour le dire en plus clair, je rapporte les idées d’un Algérien libre de toute contrainte politique de clan, un Algérien réaliste, souple de pensée et tolérant de nature.
«Le vrai éducateur est humain par sa tête pensante et rationnelle. Le démagogue est un animal pourvu d’une langue pendante et fourchue. Une langue qui barbote dans tous les pots saucés». C’est le clouage durable au siège de responsable politique qui pousse souvent les humains à exercer le métier de démagogue. Malheureusement, certains cadres, au niveau national comme au niveau local, ne se gênent plus d’employer cet outil pour rester poireauter en poste bidon, comme un fumier canadien jusqu’à la dégradation totale.
Dans un café maure, un habile orateur raconte à ses copains son histoire avec les ordures.
Ecoutez ! «J’ai suivi attentivement les paroles du chef de l’Etat et j ai très bien entendu ses paroles : ‘‘54% des déchets ménagers et assimilés seront traités en 2014 ; en plus, tous les efforts qui ont été engagés au titre de l’aménagement du territoire visent l’amélioration du cadre de vie et le bien-être du citoyen’’. Je remercie Dieu ! Je suis libre dans mon pays. Je suis libre de dire tout haut ce que je pense des ordures qui s’entassent hors de la poubelle. Chez nos voisins, qui ne sont pas plus propres que nous, on ne peut même pas chuchoter ordures ‘‘hors-la-loi’’ de la vie quotidienne. Je suis un citoyen docile et discipliné. Un citoyen qui ramène ponctuellement son sac poubelle, tous les matins, pour le déposer dans la montagne poubelle qui pue les roses et les lilas, non loin de la descente qui nous pousse vers la placette de Bir Mourad Rais.
Cette placette est intelligemment embellie par la statue d’une femme algérienne portant sa cruche d’eau sur l’ épaule. Une statue très élégante, elle me rappelle mes origines et marque notre civilisation. Faute de paroles, cette statue laisse couler une eau douce de sa cruche pour figurer les larmes qui expriment sa tristesse face à un environnement de laisser-faire malsain. C’est dans cette montagne d’ordures que j’ai découvert un document de l’Unesco parlant des réformes du système éducatif de mon pays. C’est devant cette montagne de pourriture que je rencontre quelques respectueux responsables. Ils accompagnent leurs ordures en voiture vers cette montagne. Comme un cartable d’écolier, le sac poubelle matinal, transporté dans une voiture «dernier cri», est désormais un signe d’éducation et de savoir-vivre.
Devant cette montagne nommée Sainte-Pourrie, on s’attroupe et discutaille. On se salue et on se dit «sabah el khair ya oudjouh el khair». On converse, un laps de temps, ordures de la vie quotidienne. On parle du pain, des augmentations de salaire. On parle même des objets encore utiles mais exposés dans nos ordures. On salue la petite statue et on s’excuse devant elle de notre laisser-aller. On chuchote de peur qu’elle nous entende, «nos ordures sont un indice de niveau de vie de chaque quartier. Nos ordures dévoilent le niveau d’éducation des gens qui habitent le même quartier». La préface de ce document classé dans les ordures, un document inexistant dans les rayons des bibliothèques nos universités, commence comme suit :
«Aujourd’hui, le plus léger retard sur l’évolution des savoirs scientifiques approfondit le fossé qu’une histoire tumultueuse a creusé entre nous et le monde dit développé et, dans le nouvel ordre mondial qui se construit, aggrave la menace de disqualification qui pèse sur les générations à venir…
L’Algérie ayant résolu d’opérer sur son système éducatif la réforme profonde qu’il requérait, a opté pour l’approche dite par les compétences. Outre de mettre en œuvre un programme rénové, actualisé, alliant savoir, savoir-faire et savoir-être, il était impératif d’inscrire les modifications qui allaient être opérées sur un registre attrayant pour l’apprenant, rationnel et efficient pour le formateur».
Le contenu de ce document bien préfacé et mal déposé permet à l’artiste libre, maître du chef-d’œuvre, de graver en lettres dorées sur la cruche : La femme élégante statue vous dit «Les élus font souvent des rêves un peu bizarres et oublient l’éducation réelle. A leur tour, dans leur rêve éveillé, les électeurs regardent bizarrement leurs poubelles qui fument le jasmin et critiquent ouvertement l’éducation de leurs représentants mal choisis par leurs partis».
Il termine son discours méthodiquement par cette phrase : «C’est le devoir des élus de dire à haute voix : ‘‘la santé et la saleté se rencontrent aux intersections de nos rues’’. Cet Algérien est conscient de la situation et nous enseigne une morale. Le fait qu’un nouveau monde est en train de se construire, nos élus doivent être conscients de notre valeur propre, dans cet espace dit monde de l’évaluation de soi-même.
Je connais l’Est et je peux bien parler de l’Ouest. Le Sud est ma demeure, le Nord était, pour un moment, mon transit. C’est entre ces bornes mal placées ou artificiellement imposées que les civilisations se cognent et les sciences et technologies se recherchent des origines. C’est dans cet espace borné où les ordures et éducation se gèrent et se discutent.
La vérité est simple. Tout peuple de haute civilisation aspire à déguster des biens précieux que sont l’éducation, la santé, l’habitat, l’environnement propre et sain, la nourriture, la liberté et le respect de la personne humaine. Chaque peuple vaut ce qu’il est. Chaque citoyen est image de la valeur du peuple auquel il appartient, comme chaque poubelle est l’écho de son éducation et même de son niveau de vie.
Il n’existe pas de peuple prédestiné pour éviter de dire un peuple choisi et être taxé d’antisémite. Il existe seulement des peuples disciplinés et déterminés à vivre tête haute dans ce monde qui se construit.
Je dis souvent à mes étudiants que la qualité d’un homme politique se mesure au degré d’influence de son génie et de ses innovations dans l’éducation de son peuple. De la même manière, la qualité de l’éducation se confirme dans l’état des toilettes et des ordures au sein de nos écoles et universités. Nous parlons aussi de la force d’une gouvernance éducatrice d’une nation.
Une force mystérieuse qui mesure le niveau de conscience absolue atteint dans les processus d’accumulation des savoirs et des valeurs humaines. Cette force de conscience est le nerf de vie dont toute nation doit se prévaloir pour préserver une survie dans un monde de plus en plus inégalitaire et en changement vertigineux pour ne pas dire en transformation éclair.
Mais quand l’éducation devient politique de vitrine, la politique de coups de poing et d’insultes devient sans faute la méthodologie du négociant élu, sans bagages et sans savoir, qui n’arrive même pas de gérer nos ordures journalières.
Dans cette situation alarmante, le comptoir de ce négociant symbolise l’éducation et la Sainte-Pourrie devient une référence de sa culture. Hélas, les ordures dessinent l’éduction et le sommeil est une école où ronfle la culture.
Malheureusement, dans cette école, le rêve d’un avenir brillant, d’une démocratie exemplaire, d’un projet de société moderne, d’une éducation adéquate avec la technologie et la gouvernance rationnelle de sages est impossible. Même si ce rêve était possible, il ne serait jamais interprété ou même exposé dans la vitrine politique des deux chambres parlementaires dans mon cher pays. Dans un territoire de commerce de miracles politiques, les soi-disant braves, honnêtes et conscients se retirent. Ils se détachent de la réalité quotidienne comme des lilas fanées et desséchées par le sirocco des ordures. Ils jouent aux muets et rêvent sur les ruines d’un royaume idéal.
Conscients ou inconscient de leur rêve, ils pleurent les restes d’une éducation européenne et vivent l’imaginaire dans une culture de Misérables de Victor Hugo. Ils mémorisent la vie dans un royaume détruit et dépassé dans un monde trop rapide et moderne. Ils acceptent les lamentations devant la Sainte-Pourrie et exaltent les arômes, les parfums et les odeurs émanant de ses temples. Ils fuient leurs responsabilités et meurent en incapables. En contraste, les démagogues prospèrent dans un marché bâti sur le même territoire. Ils ignorent l’éducation et la morale et entassent les ordures en montagnes. Leurs maquignons ferment les yeux et se bouchent le nez devant la Sainte-Pourrie. C’est un marché conclu dans une vie lamentable. Les ordures s’entassent et les lamentations durent.
En science des rêves, voir l’avenir autrement sans ordures et odeurs, c’est vouloir changer la vitrine du présent. Mais quand nous vivons passivement avec les ordures, notre environnement devient sans doute une ordure complexe dans le temps. Notre société civile se transforme en bétail d’esclave obéissant aux plaisirs du ventre. Un bétail inconscient qui fait pleuvoir ses ordures des étables et des écuries étagées.
En conclusion, comme dans un espace vectoriel, l’éducation d’un peuple a deux composantes : une composante positive évidente et une composante négative cachée.La composante éducative positive évidente représente le fait d’être libre de dire, sans aucune contrainte physique ou morale, ce que vous pensez d’une situation politique, économique ou sociale de votre pays. Cela représente ce que vous, toutes choses prises en compte, êtes capable ou incapable de formuler des solutions aux problèmes qui se posent à la société.
En revanche, la composante éducative négative cachée se caractérise par le «j’m’en foutisme», le laisser-aller, le «ce n’est pas mon problème», l’égoïsme, de «après moi le déluge». Elle chante à longueur de journée les idées des rois fainéants aux culottes à l’ envers. La composante positive veut le bien-être et la paix des citoyens. La composante négative est responsable de nos ordures et de tous les maux sociaux dans notre pays.
Un peuple qui perd la composante positive éducative et vit uniquement dans la composante négative cachée perd sa souveraineté et égare sa qualité de peuple libre. La souveraineté du peuple et sa liberté sont des qualités complémentaires. Nos pères et nos mères ont donné leurs vies pour que nous vivions sous la liberté et la dignité sur une terre sainte et noble. Nous n’avons pas le droit de perdre ces qualités.
Dr Omar Chaâlal
© El Watan
3 janvier 2011
Omar Chaalal