La crise financière mondiale dite des « subprimes » semble avoir pris au dépourvu les pouvoirs publics algériens au début de l’année 2009, dès qu’elle a provoqué la baisse soudaine de la demande mondiale d’hydrocarbures durant le deuxième semestre 2008.
Pourtant, les autorités n’ont pas cessé d’affirmer, au début de cette crise, que celle-ci nous a épargnés et n’aura aucun impact sur notre économie. Les arguments fournis ont voulu nous convaincre que, au moins pendant les trois prochaines années, notre économie sera à l’abri parce que la bonne gestion des finances publiques a anticipé ce type de scénario.
En effet, le FMI fait remarquer, avant la crise monétaire [rapport annuel 2007] qu’en fin de cycle les grands équilibres macro-économiques sont stables, la croissance hors hydrocarbures a été vigoureuse, l’inflation est restée faible et l’État a accumulé une épargne considérable dans le Fonds de régulation des recettes (FRR) pour financer un vaste programme d’investissement public tout en ramenant la dette extérieure à de très bas niveaux.
Brusquement, en 2009, face aux déséquilibres annoncés de la balance commerciale le Gouvernement promulgue dans l’urgence la loi de finances complémentaire (LFC) 2009. Elle avait pour but de faire face à la baisse significative des prix des hydrocarbures et à celle du cours du dollar, monnaie de paiement des exportations, qui représentent 98% de nos exportations et 50% des revenus du Trésor public. Le Gouvernement avait estimé qu’il fallait mettre rapidement et sans concertation préalable en place des garde-fous pour prévenir des dégâts à venir plus importants et surtout réduire le volume des importations.
Ainsi des mesures phares sont prises : instauration du crédit documentaire comme unique moyen de paiement des importations, suppression du crédit à la consommation et imposition à tout investisseur étranger de prendre un partenaire algérien à hauteur de 30% pour les importations destinées à la revente en l’état et 51% pour les autres secteurs économiques.
Des Fonds d’investissements sont prévus pour renforcer en priorité le secteur public et amorcer une politique de l’offre sur un modèle keynésien. Les entreprises du secteur public qui vont recevoir ces fonds devront devenir des «champions» pour affronter, y compris sur les marchés internationaux, les grandes entreprises multinationales. La LFC 2009 débloque également des dépenses pour les transferts sociaux afin de traiter le chômage et la pauvreté.
La stérilité des stratégies de gestion à court terme
Ces mesures chocs de la LFC 2009 qui ont traumatisé le secteur privé et les investisseurs étrangers ont reçu le nom de «patriotisme économique». On peut faire remarquer que ce programme est, tout d’abord, intenable sur le long terme et dépend entièrement du niveau des recettes des hydrocarbures. Ensuite, il est peu probable que les mesures dites de l’offre puissent avoir un impact quelconque sur la structure de l’économie réelle et pourraient au mieux provoquer «une croissance sans développement». Elles ne semblent pas, non plus, de nature à provoquer une offre spontanée sur un marché approvisionné à plus de 80% par l’importation. L’offre supplémentaire qui devrait venir du secteur privé est entravée par les mesures bureaucratiques d’accès au crédit et à l’indisponibilité du foncier. Celle du secteur public se heurterait obligatoirement aux rigidités structurelles des entreprises et au manque d’autonomie de leurs anticipations malgré les fonds qui seront mis à leur disposition. Par ailleurs, les gestionnaires du secteur public sont placés en permanence dans un statut précaire où l’acte banal de gestion peut leur faire courir un risque pénal très élevé qui les tétanise et les confine à l’immobilisme. Ce n’est certainement pas de ce côté-ci qu’il faut attendre le sursaut de l’offre.
La crise financière va mettre en lumière les vulnérabilités structurelles anciennes de l’Algérie qui est «une économie contrainte» dépendante entièrement du marché mondial aussi bien pour ses importations que pour ses exportations. L’embellie des prix des hydrocarbures sur le marché mondial pendant dix ans semble avoir fait oublier cette réalité. Cette crise, comme la chute des prix du pétrole en 1986, semble avoir donné les mêmes résultats que par le passé et susciter les mêmes angoisses et les réactions de défense brutales et intempestives des pouvoirs publics. On constate qu’en l’absence d’une véritable stratégie économique, les Lois de finances sont devenues une politique de gestion à court terme de l’économie et du commerce extérieur. Au fil du temps elles sont devenues des politiques dirigistes de gestion économique appelées à corriger certaines dérives ou à durcir les règles légales observées par les structures administratives (impôts, douanes, commerce ).
Elles sont généralement destinées à déjouer certaines fraudes, très souvent le fait d’une très petite minorité, par une généralisation de ces règles à toute l’économie alors que légalement elles ne devaient servir qu’à réguler les dépenses publiques (affectation des recettes et dépenses de l’Etat).
C’est pourquoi les dispositions draconiennes de la LFC 2009 ont été perçues comme un encadrement strict par l’Etat de certaines opérations commerciales et bancaires qui ne peuvent relever que de la libre appréciation des entreprises (instruments et techniques de paiement, maîtrise du risque de non-paiement, représentation juridique de l’entreprise, etc.) et même plus, comme un empiètement sur le droit de propriété.
Lorsque le secteur public freine le développement
Pourtant, les autorités politiques semblent avoir pris conscience dernièrement des limites de l’effet de la dépense publique sur le développement. Le Premier ministre, dans son discours devant le Sénat le 19 octobre 2010, a reconnu que la dépense publique récurrente est intenable sur le long terme et que l’Etat ne peut pas continuer à injecter 3000 à 4000 milliards de dinars chaque année dans le circuit économique. Déjà, au cours de l’été 2008, devant les cadres de la nation, le Président de la République a critiqué publiquement et en des termes sévères la politique économique suivie et notamment les privatisations en déclarant «nous nous sommes trompés et nous avons eu tout faux» sans apparemment provoquer un véritable sursaut pour changer de gouvernance économique.
Mais, en général, la classe politique reste attachée, malgré les multiples réformes économiques (mais aussi judiciaires, éducation formation, foncières ) presque toutes avortées, à l’investissement public, notamment dans l’industrie. Elle est aussi attachée à la croyance que tout développement doit venir de l’Etat et que le secteur privé est par essence parasitaire et qu’il est incapable de porter une politique de développement. Elle reste convaincue que la dépense publique dans la sphère économique entraîne ipso facto le développement sans jamais se préoccuper de son efficacité ou de sa rentabilité réelle.
Pourtant, il ne semble pas du tout opportun, en ce moment, de revenir au renforcement du secteur étatique car l’expérience passée a montré son inefficacité pas pour des raisons uniquement idéologiques mais simplement pour ne pas rééditer les travers d’organisation et de gouvernance tout à fait stériles qui se révéleront incapables de faire face à la mondialisation et risque de retarder le développement du pays. Le professeur Taieb Hafsi1 a montré dans une contribution survolant la jeune histoire économique du pays que ce retour relève «d’idées naïves et dangereuses».
Il faut rappeler que l’Etat algérien est un agent macroéconomique autonome qui pendant plus de quatre décennies a été capable d’assurer seul les équilibres globaux de toute la sphère économique. Il a pu le faire parce qu’il a toujours capté l’essentiel de la richesse de la nation, soit la rente pétrolière.
De plus, il contrôlait également toutes les productions essentielles de biens à travers les entreprises publiques. Il a aussi financé les investissements et les déficits par la rente pétrolière, la création monétaire et également par les emprunts sur les marchés internationaux. On a parlé à son sujet d’ «Etat démiurge» [De Villers]. Même s’il détient encore une capacité d’intervention financière importante, l’Etat algérien ne dispose plus, aujourd’hui, des moyens de stabiliser la conjoncture, c’est-à-dire de maintenir la demande globale. Malgré le retour au soutien direct et indirect des prix à la consommation assez conséquent (lait, pain, carburants, électricité, eau ), il ne peut plus assurer cette mission en raison, d’une part, du recul du secteur public dans la sphère de l’économie réelle et de la montée de la production du secteur privé traditionnel dont la valeur ajoutée dans la production intérieure brute hors hydrocarbures se situe aujourd’hui à environ 80%, et d’autre part, du poids de l’économie informelle.
Il y a au moins trois phénomènes concomitants qui ont disqualifié le secteur public comme vecteur de développement en Algérie : le refus de considérer que le but final de toute action économique est la création en premier lieu de richesses en mobilisant l’épargne réelle pour amorcer le développement, la «répression financière» et enfin le «Stop and Go» propre aux systèmes rentiers.
1- La consommation improductive de capitaux
Comme nous l’avons montré par ailleurs2, l’investissement public dans le secteur productif n’a pas permis de créer un véritable tissu industriel ni susciter la croissance et encore moins le développement, en raison notamment d’une mauvaise allocation de capitaux. L’utilisation des richesses tirées des hydrocarbures a conduit en particulier à traiter la notion de rentabilité des investissements avec beaucoup de légèreté.
D’autre part, le système a été perverti par l’absence de contrôle réel sur l’utilisation des ressources rares consenties à l’investissement. Et de faire de la rentabilité financière des projets et de celle des entreprises une mesure de l’efficacité économique. Les entreprises rencontreront des contraintes fortes à tous les stades (main-d’oeuvre qualifiée, technologie, environnement adéquat ) sauf au niveau des ressources financières.
- D’abord, c’est une croissance économique fondée sur l’expansion des facteurs de production, et non sur l’accroissement de la production par unité de facteur de production qui a été mise en place. Les lois économiques enseignent que ce type de croissance est inévitablement soumis à la loi des rendements décroissants et que dans ce cas le ralentissement du stock de capital peut être très brutal.
Pour lutter à la fois contre l’effet des ces rendements décroissants et réaliser le développement du pays, l’Etat propose sans cesse de lancer des projets nouveaux et apporter de l’argent frais pour couvrir la demande (assurer les salaires, les transferts sociaux et soutenir les prix des produits de large consommation ). La dépense publique est utilisée «naïvement» comme un outil de transformation social et politique que l’Etat doit réaliser à n’importe quel coût.
- Ensuite, les crédits ainsi accordés au lieu d’être recyclés sont en permanence détruits. Aucun retour sur investissement n’en est attendu. Les crédits sont détruits au terme de la réalisation des investissements.
Ceux-ci ne seront pas davantage récupérés à la fin du prochain cycle. Une course perpétuelle d’extension des capacités ou de leur renouvellement se déclenche qui ne réglera pas le problème de l’offre mais engloutira de plus en plus de capitaux: l’investissement devient dans ces conditions une consommation improductive de capitaux (en devises fortes).
Mais, l’opération demeure indolore car elle n’est pas supportée directement par un prélèvement sur l’épargne interne (mais sur la rente, la création monétaire ou les emprunts extérieurs) et elle n’apparaîtra au grand jour que bien plus tard lorsque la rente fera défaut. Parce que ces financements se situent en dehors de la sphère réelle de production, l’ensemble de l’économie s’installe dès lors dans ce que l’on appelle «l’illusion monétaire» où tout lien entre l’»économie réelle» et la base du crédit est rompu. Ainsi, l’ensemble du secteur public vit donc en permanence une grave crise structurelle, soutenu à bout de bras par des découverts bancaires «revolving» que les pouvoirs publics continuent à corriger en proposant à intervalle régulier des restructurations financières de plus en plus onéreuses.
Depuis les années 1970, l’Etat a recours à l’assainissement financier qui consiste en l’effacement par le Trésor de toutes les dettes des entreprises publiques détenues par les banques pour relancer l’investissement. Les montants concernant cette restructuration financière ont été colossaux ces dernières années (sans compter ceux des années 1970-1980) : estimés à plus de 40 milliards de dollars entre 1991 et 2007 et plus de 5 milliards de dollars entre 2008-2009.
Le problème est que ces montants ne visent que le haut du bilan (découverts bancaires, frais d’exploitation ) et ne peuvent avoir aucun effet sur la santé financière de ces entreprises en proie à des problèmes structurels (management, environnement, marché, technologie ). Cette opération cyclique ne peut trouver aucune justification économique sérieuse sinon celle de préserver la paix sociale en continuant à distribuer la rente sans aucun effet sur la croissance.
- Enfin, l’Etat déverse sur le marché des sommes colossales uniquement destinées à des secteurs non productifs avec des délais de réalisation très courts. Et comme ces investissements dépassent de très loin les capacités d’absorption de l’économie locale, ils vont constituer un appel d’air à l’importation de biens et services à grande échelle. C’est donc un appel sans équivoque aux capacités des très grandes entreprises internationales qui est ainsi lancé. Mettre à niveau les infrastructures de base est sans conteste une nécessité après deux décennies de désinvestissement et de saccage. Mais un programme gigantesque d’infrastructures et de transferts sociaux ne peut pas remplacer un véritable programme économique capable de promouvoir la croissance et générant richesses pour la population et le pays et non destiné, même si ce n’était pas le but, aux multinationales.
Dans ce contexte, l’envolée de la monnaie de crédit, sans contrepartie réelle, devient inévitable et finira par gangrener tout le système économique.
On peut parler «d’intoxication financière» sans compter le «syndrome hollandais». Ainsi, les fuites du système financier vont se déverser sur la sphère de l’économie informelle qui capte aujourd’hui selon certaines analyses plus de 40% de la valeur ajoutée et 2/3 de la masse fiduciaire en circulation.
2- La répression financière et l’illusion monétaire
De ce fait, la relance de l’investissement réellement productif s’est heurtée et se heurte toujours en premier lieu à la «répression financière».
«La répression financière» interdirait aux efforts consentis pour le développement de donner toute leur mesure. McKinnon3 considère les structures monétaires et financières comme le facteur déterminant dans le processus de développement. Une économie est considérée comme financièrement réprimée, «si on est en présence de la coexistence de deux secteurs dont l’un est informel et l’autre est formel».
Le succès de toute stratégie de développement reposerait fondamentalement, selon cette approche, nécessairement sur la mobilisation de l’épargne intérieure par l’adoption d’une politique réaliste de taux d’intérêt et une intermédiation financière efficace (Banques et institutions financières performantes et immergées dans le système financier international). Pour éviter la «répression financière» et par conséquent mettre fin au secteur informel, il faudrait une stratégie qui repose sur le développement de l’intermédiation financière dont l’objectif est la stimulation de l’épargne au service de l’investissement. Les taux d’intérêt doivent être toujours à un niveau réel positif pour pouvoir accroître simultanément le taux d’épargne et le taux d’investissement, ce qui va stimuler la croissance sous l’effet de la hausse du revenu induit.
Lorsque l’on applique ce type de diagnostic à l’économie algérienne on se retrouve au cœur du problème de la relance économique. Le handicap principal de la politique économique actuelle est justement la très mauvaise performance du système financier et l’existence d’un important secteur informel qui décourage les investissements.
L’état désolant de la Bourse d’Alger avec seulement deux entreprises non cotées régulièrement, l’oisiveté des surliquidités des banques publiques, le manque récurrent de liquidités auprès des bureaux de poste ou l’état lamentable des billets de banque et le nombre impressionnant de marchés informels en sont la meilleure illustration.
La sclérose du système financier a été bien analysée par une contribution récente de F. Nemouchi4 qui montre que la diffusion de la rente par le biais de la dépense publique entre en contradiction frontale avec les objectifs de stabilité monétaire recherchés par la Banque centrale. Les fuites monétaires représentent 25,7% de la masse monétaire au sens large en 2009 et la modernisation des instruments de paiement n’a pas eu, non plus, d’impact sur la monnaie sous forme de billets par rapport à la masse monétaire globale (M2) puisque celle-ci est restée stable de 2000 à 2009 autour de 24%. Par contre la circulation fiduciaire a augmenté plus vite atteignant 276% entre 2000 et 2009 (124% seulement en Tunisie et 134 % au Maroc pour la période).
Alors que la masse monétaire a augmenté de 16,3% en 2008, elle va brusquement chuter à 3,21% en 2009. Ces fluctuations brutales empêchent à la Banque d’Algérie de stabiliser la masse monétaire au niveau recherché autour de 13% pour 2009. Cette situation d’instabilité ne permet pas à la Banque centrale de lutter contre l’inflation (autour de 6%) et de stabiliser le taux de change au moyen des recettes monétaristes classiques. Ne pouvant réprimer la masse monétaire, il ne reste plus à la Banque centrale qu’un seul levier : celui d’agir sur le crédit interne en limitant les crédits à l’économie. C’est ainsi que se justifient amplement l’interdiction du crédit à la consommation pour les particuliers et les règles drastiques dictées aux banques primaires pour limiter l’accès des entreprises au financement des investissements. Seuls les investissements de faible valeur dits « productifs » d’accompagnement des programmes sociaux à taux bonifiés y échappent (ANSEJ, CNAC, ANGEM, FNDRA ). Cette politique est en contradiction totale avec les besoins des banques de faire fructifier leur surliquidité oisive qui ont été de l’ordre de 2249 milliards de dinars en 2009. La Banque centrale va donc reprendre cet excès de liquidité pour 1100 milliards de dinars en 2009, comme placement des excédents des banques primaires dépassant leurs réserves légales.
Il ne faut pas croire que le secteur privé a manqué d’ambition ou de projets capables d’absorber cette masse monétaire. Durant la période allant de 2002 à fin 2008, un total de 51 456 projets d’une valeur de 5 799 milliards de dinars a été enregistré par l’ANDI (Agence publique d’orientation des investissements). Ces projets, devant créer plus de 843.000 postes d’emploi, provenaient principalement d’investisseurs nationaux pour 72% d’entre eux. Il semble que moins de 10% de ces projets ont été réalisés ou sont en cours de réalisation. Les autres projets n’ont pas pu voir le jour souvent faute de financement adéquat et d’assiette foncière ou d’autres barrières bureaucratiques.
Par exemple, actuellement, sans intervention politique appuyée (en dehors de tout cas de corruption) pour des projets rentables, structurants et inscrits dans les priorités du Gouvernement, il est très difficile d’obtenir un financement ou un terrain d’assiette pour un investissement privé d’envergure. Il reste encore assez difficile pour une PME d’obtenir un crédit d’exploitation ou une ligne de financement pour ses importations. L’opinion la plus répandue dans la sphère des agents de l’Etat gérant l’économie (administration, banque, douane, impôt ) est que l’argent public doit aller au secteur public et que le secteur privé doit se financer à 100% à partir de sa propre épargne. Dans le cas contraire ils estiment que ce privé n’a pas sa place dans le secteur économique puisque il est incapable d’apporter le capital nécessaire. Il considère que si son projet sera réalisé au moyen des prêts bancaires, il va forcément devenir « un riche arrogant et un fraudeur parasitaire ». Cette idéologie « socialisante » post-indépendance reste encore assez répandue.
Il faut également rappeler que les taux d’intérêt sont négatifs depuis ces dernières années afin, semble-t-il, d’encourager l’investissement. Pourtant, le taux d’investissement brut est resté relativement stable sur la période. Le cours du dinar participe également à la fuite du système au moyen d’un mode de fixing administratif opaque préféré à un réel marché interbancaire de la devise. Le dinar est décroché du cours parallèle qui, lui, semble mieux refléter les performances réelles de l’économie locale (30% au dessus du fixing en moyenne actuellement, le FMI recommande en général de le garder à 10% du taux officiel).
Enfin, les déficits du budget de l’Etat sont très importants et sont financés exclusivement par monétisation à partir du Fonds de régulation des recettes pétrolières ce qui accroît encore plus les désordres monétaires. Ce Fonds (FRR) devait au départ servir à neutraliser la rente pétrolière pour éviter qu’elle ne pollue l’économie réelle et servir exclusivement à réduire l’effet des chocs pétroliers à venir. En réalité, il va servir au Gouvernement de cagnotte pour faire face aux dépenses imprévues et à financer le déficit du secteur public.
3- Le Stop and Go
Un autre phénomène est lié aux syndromes précédents, le «Stop and Go ». Il est l’une des caractéristiques les plus significatives des systèmes rentiers. Il se manifeste pendant les périodes fastes par une augmentation significative des importations en fonction des rentrées et ces mêmes importations sont immédiatement réprimées dès qu’arrive une baisse drastique et brutale des recettes. Ce « Stop and Go » va à chaque fois effacer les gains de développement ou de croissance de la période précédente. D’ailleurs, nous pouvons constater que suite à l’amélioration du niveau des recettes pétrolières les importations sont passées d’une moyenne de 10 milliards de dollars par an en 2002, à près de 40 milliards de dollars en 2009 et pour les importations de services qui était très modestes auparavant l’Algérie a déboursé plus de 11 milliards de dollars en 2009.
Entre autre résultat, aujourd’hui, l’économie algérienne après 40 ans de « développement », est en train de décrocher par rapport aux économies sœurs des pays du Maghreb (Maroc, Tunisie) dont la valeur ajoutée du secteur industriel dépasse les 15% du PIB alors que celle de l’Algérie qui était à 18% dans les années 1980 a régressé à moins de 5% en 2009 et sa structure se rapproche un peu plus des économies voisines pauvres du Sahel.
Finalement, deux plans plus tard tous les indicateurs économiques et sociaux sont en berne.
L’Algérie a perdu des points en matière d’index de compétitivité. Avec un score de 3,7 l’Algérie (99e) est derrière la Libye (91e), le Maroc (73e), la Tunisie (36e).
Le Forum mondial relève entre autres : le peu d’intensité de la concurrence locale (113e), l’absence d’un marché financier dynamique et moderne (132e), le manque d’efficience du marché du travail (132e), la capacité de l’innovation (133e)5. On peut toujours remettre en cause les critères de classement des divers organismes internationaux, ils restent tout de même dans l’absolu un élément de comparaison assez crédible.
Les réformes sans cesse remises aux calendes grecques
On peut ainsi s’apercevoir que nous sommes en train de vivre une véritable crise de gouvernance économique et que les décisions économiques aussi radicales que celles de La LFC 2009 apparaissent le plus souvent que comme du bricolage ou au mieux des décisions hâtives et émotionnelles. Les mesures prises n’ont aucun rapport avec les problèmes économique du pays. Ce n’est pas l’activité des citoyens, des entreprises ou même celle des « fraudeurs » qui sont la cause principale des désordres mais ce sont les contradictions de la politique économique erratique de l’Etat qui en sont en grande partie la source. Se recroqueviller sur soi ne va pas nous sauver des effets de la mondialisation et ne fera pas de notre économie un compétiteur solide et « autocentré » ni faire sortir miraculeusement à partir de sociétés moribondes des « champions ».
On peut en effet constater que les recettes du FMI, si elles ont eu des effets réels rapides concernant les grands équilibres macro-économiques, au prix de grandes privations, elles ont eu par contre peu d’effets au niveau des privatisations et de la relance de l’investissement car les réformes structurelles qui devaient suivre ont été abandonnées.
Les privatisations
Concernant les privatisations du secteur public, imposées en réalité dans le cadre des mesures libérales du plan d’ajustement structurel du FMI, la volonté politique a manqué dès lors que les recettes de l’Etat ont permis de s’en passer en mettant des fonds importants à la disposition des entreprises publiques structurellement déficitaires. Le « flou artistique » de la politique économique, qui dès lors va naviguer entre libéralisme et étatisme avec souvent peu de rigueur et de réalisme dans sa conduite, rend l’horizon économique illisible pour l’ensemble des opérateurs et surtout pour les IDE (Investissements directs étrangers). Malgré de nombreuses campagnes de promotion lancées dans le monde et en Europe en particulier, cette politique n’aura pas permis de convaincre les repreneurs internationaux de l’attractivité du pays. Les velléités de privatisation sont apparues comme des gesticulations politiques suivies de nombreuses hésitations malgré les convictions affichées et le poids politique de M. Temmar, ministre alors en charge du dossier. Le poids et le rôle du syndicat UGTA a été également déterminant pour geler ce dossier et revenir à la situation ante, sans pour cela entraîner une remise en cause officielle du processus.
Il semble que dans le monde où nous vivons la privatisation (peut-être partielle) est inéluctable et la retarder est contre-productif. Pourquoi l’Etat se priverait-il de la Bourse pour conduire l’ensemble des entreprises publiques viables vers la privatisation ? C’est en réalité une des formules des plus valables pour créer un véritable marché financier. C’est le moyen le plus sûr, le plus efficace et le plus transparent pour réussir la privatisation. Comment les autres partenaires pourraient faire confiance à la Bourse d’Alger si son principal animateur et fondateur l’Etat s’en éloigne ?
Ouverture ou insertion dans l’économie mondiale ?
On a estimé que l’ouverture a été un échec. Mais quelle ouverture avons-nous pratiquée ?
L’Etat a conduit une politique libérale en usant des instruments de régulation de l’économie dirigée. On a eu évidemment le mariage de la carpe et du lapin. De plus, avoir basé toute sa stratégie sur les IDE, dès le début des années 2000, s’est révélé une grave illusion. Aucun pays au monde n’a été développé par des étrangers. Egalement, ouvrir son marché, sans en mesurer les conséquences, conduit à la catastrophe. Quels gains pouvait attendre une « économie contrainte » qui importe environ 80% de ses besoins et n’exporte que des matières premières d’un traité de libre-échange ? En dehors de quelques hypothétiques retombées politiques cet échange est un marché de dupes sauf si on dispose d’un plan de développement cohérent anticipant sur l’avenir. Par exemple, faire de l’Algérie une plate-forme pour l’exportation de produits des pays émergents qui n’ont pas accès directement aux marchés européens et arabes, sécuriser les exportations de gaz, fédérer les pays maghrébins dans un marché unique
Par ailleurs, un marché informel des devises toléré par l’Etat ne peut servir qu’à des importations illégales et aux fuites des capitaux. On a, également, attendu des banques internationales installées en Algérie qu’elles dynamisent notre marché financier mais la Banque centrale, au lieu de s’inspirer de leur expérience, va leur imposer la même gouvernance obsolète que celle des banques publiques sous prétexte d’application de règles prudentielles. Nous nous retrouvons avec des clones de banques publiques qui en plus pompent nos devises.
La relance de l’investissement
Il serait probablement temps de mettre fin à l’insertion passive par les hydrocarbures (le slogan de l’après-pétrole n’a de sens que si nous nous affranchissons d’une manière ou d’une autre de la rente comme moteur de la croissance) en se fixant comme objectif :
- mettre en place avec pragmatisme et sans tergiversation les règles d’une véritable économie de marché.
- Faire des hydrocarbures des matières premières à faire valoriser d’abord sur place et envisager la fin des exportations de ce produit dans le moyen terme en valorisant sur place chaque goutte de pétrole et chaque mètre cube de gaz. Sachant que la pétrochimie reste un secteur porteur et rentable, il n’y aurait certainement pas trop de difficulté à réussir ce pari. Il conviendrait de faire de même pour l’ensemble des gisements miniers et pour les ressources agricoles à valoriser (alfa, dattes, olives, agrumes, vignoble ).
- Il faudrait probablement créer des noyaux durs sous forme de pépinières (incubateurs ) à partir des universités et de la recherche pour ne pas décrocher sur les créneaux porteurs d’avenir (nouveaux matériaux, énergies nouvelles, NTIC ).
- Il serait également judicieux de doter les administrations techniques en charge des infrastructures et de grands projets de véritables expertises et multiplier les « think tank » pour donner au pays les anticipations nécessaires sur toutes les questions de son avenir et mettre à niveau les ressources humaines.
- Concernant l’industrie, il semble qu’il soit contre-productif de chercher à courir derrière la fiction des « stratégies industrielles » rêvées. Qui connaît la « stratégie industrielle » officielle de la Chine, des Etats-Unis ou de l’Union européenne ? Le capital ira vers les marchés et les projets les plus rentables quel que soit la branche et il est difficile de prévoir à moyen terme et encore moins à long terme sa destination. Des pays industrialisés plus richement dotés que nous et disposant de solides expériences mobilisant leurs Gouvernements et leurs opinions publiques ont échoué au jeu des « filières stratégiques » et il suffit de se rappeler « le flop » du plan sidérurgique ou le plan calcul français qui n’ont pu doter la France d’une industrie dans ces domaines, ni seulement les garder. Il est toujours bon de rappeler que le développement ne s’achète pas et ne se décrète pas et ne réussit que s’il est porté par des capitaux et des hommes se mouvant en toute liberté. L’Etat devra veiller à la transparence et à la sincérité des transactions.
La seule stratégie valable est celle de mettre à la disposition de tous les investisseurs sans discrimination (nationaux et étrangers, publics et privés) ou de créneaux les meilleures conditions et les facilitations leur permettant de réaliser des projets bancables. On peut imaginer pour des raisons de rattrapage que l’Etat accorde des bonifications d’intérêt ou des baisses d’impôts pour des projets particuliers en petit nombre ou pour des catégories de citoyens (handicapés, femmes ) ou des régions, sans pour cela léser les autres investisseurs ou les évincer.
Il nous faut travailler sur le fameux climat des affaires et rendre notre pays attractif pour ses enfants, sa diaspora et accessoirement pour les IDE. Les étrangers ne viendront que s’ils sont mis en confiance par les investisseurs locaux et que ces derniers sont satisfaits de leurs conditions économiques.
Notes
1-Taieb Hafsi – Socialisme et étatisme : des idées naïves et dangereuses – Site : TSA -Algérie du 8 et 9-04-2010.
2- M.Hadjseyd « L’industrie algérienne : crise et tentative d’ajustement » L’Harmattan, Paris 1996.
3- R.I. McKinnon «Money and capital in economic development» The Brookings Institution, Washington D.C, 1973.
4- F. Nemouchi « La rente et l’instabilité monétaire », Le Quotidien d’Oran du 9-12-2010.
5- Rapport Forum économique de Davos « La compétitivité -2009 ».
*Docteur. Economiste-consultant
30 décembre 2010
Contributions