Une fête, ça se fête : les harraga algériens ont compris depuis des années que les fêtes nationales sont un moment où la nation n’existe pas, rentre chez elle, baisse le drapeau et la garde. C’est-à-dire ses frontières et ses gardes-côtes. Les candidats attendent souvent donc les jours fériés, les fêtes, les élections pour enjamber la mer.
Ce fut le cas pour le 1er de l’Hégire tout récent : 101 harraga arrêtés et présentés au procureur à Oran. La raison ? Ils ont tenté de partir. Est-ce un crime ? C’est selon. Selon un ami qui a tenté l’analyse bête et évidente du cas, si un harrag est pris dans les eaux internationales, il ne concerne plus l’Algérie qui n’a plus le droit de le poursuivre dans ces eaux ni de le ramener de force : là, il s’agit de kidnapping en eaux internationales. Maintenant, si le harrag est pris par les gardes-côtes dans les eaux nationales, cela veut dire qu’il n’a pas quitté encore l’Algérie et qu’il n’est coupable de rien puisqu’il est chez lui, sur ses eaux, dans le périmètre de la mère et du drapeau. Cela n’empêche : les harrag sont coupables d’avoir essayé là où les dirigeants révolutionnaires et nationalistes ne sont pas inculpés pour n’avoir rien fait ou si peu, ou de si tristement. 101 en un seul coup, ce n’est pas une tentative d’immigration clandestine mais une superproduction, un débarquement, une réédition manuelle de Tarek Ibn Ziyad (nom donné d’ailleurs à un bateau et à une frontière pour insister sur l’Histoire), une traversée à la Colomb. Jamais la barque n’a côtoyé d’aussi près le statut de boat-people. Sauf à Mostaganem, il y a quelques mois avec le chiffre de 196 voyageurs, le lendemain de la fête de l’Aïd. Faut-il rappeler les raisons ? Même pas ou juste un peu : le pays est triste et ne s’amuse pas. Il n’y a rien, et partout, et c’est tout. Bien sûr, les candidats expliqueront qu’il s’agit «d’emploi et de débouchés» mais il ne faut pas les croire presque : la bande-son algérienne est socialiste et les gens parlent la langue officielle du pouvoir : celle de l’alimentation et de la jérémiade. Sauf que tous savent qu’ils ne s’amusent pas à cause du pouvoir et d’eux-mêmes. Les Algériens qui partent sont coupables du chantier national de la prison nationale : tout le monde ou presque n’aime pas le rire, les belles robes des femmes, les corps, la guitare, la fête et la vie et la randonnée, et la montagne et les fleurs qui vous prennent la main. Beaucoup ou presque tous parlent de mort, de Dieu comme terminus, de la vie qui ne doit pas être vécue mais enjambée, de la mosquée comme antibiotique et de la Religion comme téléphérique entre la naissance et la mort, sans toucher les sols et les terres et les tentations.
Laissons donc tomber cette piste et revenons aux chiffres : le 1er muharram, an de l’Hégire 1432 et le chiffre 101. Pour le premier, on est dans la pure symbolique : le 1er de l’Hégire est le premier du jour de l’année musulmane. C’est un calendrier de partance, d’exil, de départ. C’est le sens de l’Hégire et les 101 dalmatiens l’ont compris ou pas, pressentis ou pas, mais utilisé : les jours fériés en Algérie sont propices. 1er jour d’un nouvel an, d’une nouvelle vie. Pourquoi pas ? Le second chiffre est tout aussi symbolique : 101. C’est une totalité close et recommencée pour parler comme les alchimistes ou les 1001 nuits. Avec 100, on clôt un cycle. Avec le 1, on le recommence. Le monde est binaire et les monothéistes le répètent. Les jeux de sens sont troublants. C’est tout ce qu’on peut faire à propos de ce sujet qui a usé de tous nos verbes. Il n’y a rien à dire de plus sur la Harga. L’avenir ne sera que chiffres et additions.
13 décembre 2010
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