halliahmed@hotmail.com
Ala fin, il faudra bien se décider à se déclarer pour ou contre, sans nuance, décider à notre époque de manichéisme tranché et tranchant qu’il n’y a pas de nuance entre le blanc et le noir. Il faudra bien répondre à la question existentielle : les raisins sont-ils trop verts et incomestibles ou trop loin et inaccessibles ?
Tant qu’on n’aura pas la hauteur de vue nécessaire, ou l’escabeau mental qui permet physiquement de s’en passer, il sera de plus en plus difficile d’obtenir une réponse claire et sans équivoque. Mais il y a des questions à propos desquelles nous devrons nous déterminer sans retard, car le temps presse, et Stockholm ne peut pas attendre indéfiniment. Vous l’avez compris, il s’agit de notre position par rapport au prix Nobel, surtout celui tant convoité par les politiques, le Nobel de la paix. Tout Algérien, sensé ou en panne de jugeote, sait depuis longtemps que ce prix-là, en particulier, ne s’attribue pas seulement selon les mérites du récipiendaire. A moins de s’en remettre, comme les footballeurs cette année, à la clairvoyance d’un poulpe d’aquarium, il me paraît impossible de déterminer un nobélisable d’après des critères objectifs. Certes, le prix a un caractère éminemment politique, mais il est contingent aux équilibres politiques régionaux ou mondiaux. Souvenons-nous du tollé soulevé ici par l’attribution du prix ex aequo à Sadate et à Bégin, dans la foulée des accords de Camp-David. Pour nous, il n’y avait pas à choisir : Sadate était un traître et Bégin, le cruel ennemi qui l’avait poussé à la trahison. Les décideurs du moment, ou le vrai jury du Nobel de la paix, en avaient décidé ainsi. Ce qui prouvait à nos yeux, non encore décillés, que cette distinction obéissait aux choix du cartel américano-sioniste. Puis vint l’amnésie, l’oubli contagieux et opportun : puisque les mêmes qui nous avaient entraînés sur les bourbiers de la lutte anti-impérialiste s’étaient ravisés, pourquoi pas nous ? Il y a quelques années, et profitant de ce que Boumediène n’était plus là pour les tancer, quelques chauds partisans de Bouteflika se sont mis en tête de l’envoyer à Stockholm. Je soupçonne le candidat au voyage d’être à l’origine de l’initiative, mais soyons bon prince, accordons-lui le bénéfice du doute. Aussitôt lancée, on ne sait plus où et par qui, l’idée a soulevé une tempête d’enthousiasme dans les rangs des «pro» Bouteflika qui commençaient à être à court. Tous les pétitionnaires professionnels ou occasionnels se mobilisèrent pour redorer le blason national, qui faisait profil bas depuis des lunes. Cette fois-ci, c’en était fini de la saison de l’isolement et du repli sur soi, on allait la décrocher cette distinction, comme certains ont décroché l’astre des nuits. Dans l’opposition, ce fut un tollé, une levée de boucliers, «No pasaran !», s’insurgèrent des éditorialistes devant l’imminence du péril. Des contre-pétitions virent le jour, notamment sur la toile, appelant à ruiner définitivement les espoirs fous des aspirants au Nobel. Finalement, Bouteflika n’a pas été à Stockholm, et rien ne dit qu’il s’y rendra un jour pour ce motif précis, mais ses détracteurs et ses adversaires ont dû se résigner à cette cruelle vérité : s’il y a un Nobel de la durée et de la survie en milieu hostile, Bouteflika devrait en être l’heureux lauréat. Cependant, le vrai vainqueur dans cet affrontement, celui qui a tiré les marrons du feu, c’est l’institution du Nobel elle-même, enfin plébiscitée par tous les Algériens, par le biais du vote pour ou contre Bouteflika prix Nobel de la paix. Les membres du jury de Stockholm n’en demandaient pas tant, mais ils ont compté surtout sur la mentalité particulière des Algériens : si l’un des leurs fait mine de convoiter un jouet, ils se jettent tous sur lui pour l’empêcher de l’atteindre. Depuis cette bataille de Stockholm perdue par ses courtisans, mais gagnée au final par Bouteflika, avec un CDI(1) à la présidence, qui doit avoir largement compensé le ratage du Nobel, on a eu du pire et du mieux. En 2009, le jury a attribué la distinction suprême au président américain fraîchement élu, Barack Obama, se fondant sur ses intentions. Dès son entrée en fonction, Obama avait, en effet, proclamé son intention de mettre fin au conflit du Proche-Orient. Il s’engageait, en somme, à réaliser les promesses que ses prédécesseurs, de Nixon à Bush, n’avaient jamais pu ou su tenir. Cet engagement, réaffirmé solennellement par le discours du Caire, lui avait valu ce chèque en blanc délivré à Stockholm, avec la bénédiction d’une communauté internationale subjuguée. Pour Obama, ce n’était pas mieux qu’un CDD(2) à la Maison Blanche, mais c’était un encouragement certain à persévérer au Proche-Orient. Sans compter qu’avec le montant du prix, en dollars, Madame la présidente pouvait se payer quelques modèles de robes chez les grands couturiers. Un an après, Obama renonce à imposer le gel de la colonisation à Israël et torpille un processus de paix, déjà à la dérive. Rien n’est perdu puisque Barack Obama pourra briguer un nouveau mandat sans crainte d’échouer. Il s’agira ensuite d’assurer la victoire du candidat démocrate à sa succession, en donnant de nouveaux gages, s’il en reste encore en Palestine. Une fois qu’il aura quitté la Maison Blanche, Obama pourra se consacrer pleinement à établir la paix au Proche-Orient. Comme le font depuis tous les dirigeants américains, démocrates ou républicains, une fois qu’ils ne sont plus au pouvoir et qu’ils n’ont plus les moyens d’imposer quoi que ce soit. Voilà pour le pire. Léger mieux, en cette année 2010, puisque c’est un dissident chinois, Liu Xiaobo, qui a reçu le prix Nobel de la paix. Qu’il y ait dans ce choix des arrière- pensées politiques ne fait pas l’ombre d’un doute, et il ne faut pas non plus se faire d’illusion sur la réelle contribution d’un dissident aux progrès de la paix dans le monde. Il s’agit seulement ici d’y voir un hommage et une reconnaissance de l’humanité à l’égard d’un homme qui s’est élevé contre un système dictatorial. Le Nobel de la paix est donc méritoire, ne serait-ce que par sa contribution à mettre en lumière et à récompenser le combat d’un citoyen, de quelque pays que ce soit, pour la démocratie. Mais ce qui me sidère dans toute cette polémique autour de la cérémonie de Stockholm, c’est d’apprendre par les médias que l’Algérie n’a pas daigné prendre part. On justifie même le boycott en m’expliquant comme à un lecteur taré, que le Nobel n’est pas attribué selon des critères objectifs. Comment, Messieurs, hier encore vous faisiez des pieds et des mains, vous vous confondiez en salamalecs et en bénédictions, pour ramener le précieux trophée à Alger. Et, aujourd’hui, vous venez nous dire que ce que vous adoriez hier est bon à jeter au bûcher. Mais qui donnera du crédit à vos propos et qui pourra croire un seul instant que si vous aviez une seule petite chance d’obtenir un Nobel pour votre maître, vous ne vous précipiteriez pas en jappant de joie vers Stockholm ?
A. H.
(1) Contrat à durée indéterminée en vertu duquel vous ne pouvez être renvoyé qu’à la suite d’un abandon de poste ou d’une faute grave. Ce qui met son détenteur à l’abri d’un licenciement quelconque, étant entendu que l’abandon de poste est pure hypothèse et que la faute grave reçoit l’absolution sitôt reconnue.
(2) Contrat à durée déterminée, en l’occurrence un mandat de cinq ans renouvelable une seule fois. La Constitution américaine, à l’instar de celle d’autres pays, interdit au président de cumuler plus de deux mandats. C’est un garde-fou contre les démons et la démence du pouvoir. La Constitution algérienne avait, jadis, un tel garde-fou, mais la Constitution ce n’est pas le Coran, a dit Belkhadem.
Source de cet article :
http://www.lesoirdalgerie.com/articles/2010/12/13/article.php?sid=109879&cid=8
13 décembre 2010
Contributions