«Une conscience sans scandale est une conscience aliénée». Bataille
Contrairement à ce que l’on pourrait penser, et contrairement à ce que disent des sociologues, des chercheurs, des opposants et surtout «les ennemis de l’extérieur» et ceux de l’intérieur (libres penseurs, chrétiens, laïques, homosexuels, harraga
ou danseurs en vadrouille), la société algérienne est homogène. Dans des pays mécréants et pourtant démocratiques, les citoyens sont divers, bariolés, métissés, d’âge et de sexe différents, divers par le revenu, le niveau socio-culturel, l’origine sociale, l’état physique et mental, par les pratiques sexuelles et rituelles, etc. A cause de cette mosaïque complexe, mouvante, où chaque élément a des droits et des devoirs, peut être candidat et où tous sont électeurs, les gouvernants, au-delà de la couleur politique, sont à chaque instant devant un casse-tête permanent et les élus remis en cause ou reconduits à chaque scrutin.
La mosaïque, constituée d’individus singuliers, de religions variées, de mœurs et de demandes sociales pressantes, de courants idéologiques contradictoires, de couleurs de peau qui vont du noir foncé au roux aveuglant, en passant par ceux qui ont les yeux bridés et le poil tout noir ou frisé, s’oppose et s’impose aux gouvernants.
Elle s’oppose à chaque fois que de larges secteurs s’estiment lésés dans leur pouvoir d’achat, dans leurs libertés constitutionnelles, dans leur confort quotidien, dans leur droit aux vacances en famille, dans celui d’avoir une religion ou aucune, etc. Le maire, le député, le président, le ministre (qui est souvent élu quelque part), le président d’un club sportif (qui rend des comptes aux supporters payeurs de tickets et de produits dérivés), tous sont redevables à une majorité de citoyens d’une confiance précaire et révocable par le bulletin de vote. Ces pays pratiquent la démocratie représentative, jusqu’à ce que l’humanité démocratique invente mieux. Dans ces pays, les médias (privés, publics) se voient imposer une équité et des obligations.
Tenant compte de la diversité sociale, du principe de précaution et de celui de la protection de l’enfance, les TV par exemple annoncent, par le biais de pictogrammes ronds exigés par la structure indépendante de suivi et de régulation des médias, l’acceptabilité de chaque programme. Comme les téléspectateurs ne sont pas homogènes, il y a des interdictions aux moins de 10 ans, aux moins de 12 ans, aux moins de 16 ans et aux moins de 18 ans pour les programmes pornographiques. On responsabilise ainsi les parents, tenus de jouer leur rôle, et on informe les 16-18 ans. Ensuite, la liberté de chacun joue pour le choix qu’il fait.
En Algérie, ces avertissements, les informations relatives à ce qui est diffusé sont inutiles. Les programmes de la chaîne unique sont inconnus, et les intitulés lapidaires du jour ne renseignent et n’éclairent sur rien. Et à juste raison. Comme la société algérienne est parfaitement homogène, où les jeunes, les adultes, les vieux, les femmes, les couples et les célibataires son tous clonés mentalement, les pictogrammes des pays mécréants et diversifiés ne servent strictement à rien. De la naissance à la mort, ceux qui regardent l’ENTV peuvent le faire ensemble, quels que soient l’âge, le niveau, le statut social, etc. De 3 à 112 ans, les Algériens ont les mêmes programmes, uniques, sur une chaîne unique qui ne fait aucune différence entre ceux qui la regardent, puisque les programmes sont «lavés», «familiaux» et choisis à bon escient par ceux qui savent exactement que les Algériens ne peuvent suivre la TV qu’en famille, et ce qu’ils veulent regarder ensemble du bébé au grand-père.
Le seul mystère, pas encore déchiffré par les décideurs, c’est le pourquoi de ces millions de paraboles qui amènent des programmes et les pictogrammes d’avertissement. Bof, un mystère de plus ou de moins ne dérange personne !
Après avoir fait un petit tour dans la presse écrite et regagné sa vacuité insondable, la loi sur le cinéma algérien n’a pas tellement passionné les parlementaires, les experts agréés par l’administrateur, le plus gros de la profession, les formations politiques et le reste du pays. Tout ce beau monde, que ce soit dans l’opposition ou le pouvoir, semble avoir trouvé un consensus, malgré des escarmouches de forme. Le statut du septième art, les lois, les règlements, les «centres» depuis 2004 à ce jour connaissent une inflation de textes. Le consensus en question consiste à ne pas prendre au sérieux un secteur stigmatisé, affaibli, éclaté par les exils, la censure, la bigoterie institutionnelle, la mainmise de l’administration qui croit avoir des bras armés pour produire, développer comme des grands, les 1.500 à 2.000 salles minimum, la distribution, la coproduction avec des organismes publics (disent les textes algériens), la formation, les laboratoires (où sont-ils ?), la conservation, etc.
La catastrophe serait que les spécialistes et experts de l’administration infaillible s’amusent à rapatrier les négatifs des films nationaux qui sont en Europe pour les conserver en Algérie. Que les chercheurs et historiens prient pour que ces négatifs ne connaissent pas la mort certaine des copies stockées comme des patates par ci, par là. Dans les textes élaborés, sûrement par des sommités bureaucratiques, il est précisé que l’Algérie ne travaille pour la production et les autres branches du film qu’avec des pays où la cinématographie (production, distribution, industries techniques et exploitation) est tenue par des entreprises publiques. Soit, mais où se trouvent ces pays ? Quelques pays arabes et africains qui font à eux tous une dizaine de films tous les 4-6 ans et avec lesquels l’Algérie a signé des accords gouvernementaux à la tonne. On ne sait toujours pas du côté de nos «spécialistes»’, bien dociles, que là où le cinéma est florissant, c’est l’affaire, d’industries privées. Là où il est censuré, contrôlé et mort, c’est l’affaire de «tutelles» administratives : ministères, walis, APC ou bien tous ensemble pour un maigre butin.
Après la floraison de décrets d’aménagements, de réaménagements, de petites malices entre amis pour choisir entre un décret présidentiel et une simple nomination ministérielle pour les DG, on croyait la machine sur rail. Que nenni ! On a refait le C.D.C. et ses missions, on a créé le C.N.C.A. qui devait succéder au C.D.C. Avec ces «centres» et le F.D.A.T.I., il ne restait plus qu’à planifier le nombre annuel de films, signer des coproductions avec des organismes publics algériens et étrangers, trouver la combinaison gagnante pour que le privé, contre un cahier des charges, construise les centaines et les centaines de salles qui manquent, en finir avec la guérilla des «tutelles» et laisser les distributeurs, contre un cahier des charges, faire leur travail.
Mais ne voilà-t-il pas subrepticement que le J.O. daté du 3 octobre 2010 nous apprend qu’on (re) fait encore du neuf avec du vieux datant du travail de René Vautier en Algérie. Le C.D.C. est encore réorganisé après le lifting du 23 août 2004, et change encore une fois de missions. Dans la foulée, il est créé le «Centre algérien de développement du cinéma». Ce CA.D.C s’ajoute donc au C.D.C. réaménagé, au C.N.C.A. qui a connu lui aussi des mutations pour sombrer dans l’oubli.
Cette inflation débonnaire de textes, de «centres» font du pays celui qui a le plus d’organismes publics pour le cinéma, mais le moins de films. Des administrations à la pelle, des budgets, des organigrammes, des décrets présidentiels ou de moindre rendement et des missions identiques, répétitives. Nous reviendrons sur tous ces centres qui, in fine, laissent le soin au clergé officiel et à la famille révolutionnaire le soin d’adouber ou pas la création.
11 décembre 2010
Contributions