Les deux blagues ont circulé dans les pays voisins, notamment via les téléphones portables, dès l’annonce de la désignation du Qatar pour l’organisation de la Coupe du Monde de football en 2022. Dans la première, il est dit que les autorités qataries ont d’ores et déjà sollicité les plus grands cabinets d’engineering occidentaux pour vérifier si l’affluence de centaines de milliers de supporters et de touristes ne va pas faire s’enfoncer la péninsule dans les eaux du Golfe. L’autre « noukta » est encore plus féroce. Elle affirme que l’Emir du Qatar aurait sollicité son homologue de Bahreïn pour lui demander s’il était possible d’utiliser son pays comme parking durant la compétition
Voilà pour le rire. Pour le reste, l’affaire est révélatrice de l’évolution du monde. La Russie en 2018, le Qatar en 2022 : personne ne s’attendait à un choix pareil à l’image de la BBC qui prédisait la Grande-Bretagne et le Japon. La Fédération internationale de football (Fifa) montre que l’ordre habituel des choses a bien changé. Place aux nouveaux pays riches, à ceux dont la force de frappe financière dépasse de loin celle de vieilles puissances endettées et minées par le doute et la peur de l’avenir. La délégation japonaise l’a bien compris puisque l’un de ses membres a confié qu’il était désormais peu probable que le pays du Soleil Levant puisse un jour accueillir de nouveau la compétition mondiale. « Après le Qatar, ce sera sûrement le tour de la Chine et, pourquoi pas, ensuite, de l’Inde », a-t-il confié avec amertume aux agences de presse.
L’amertume était aussi palpable au sein de la délégation anglaise. Shocking ! Le pays qui a « inventé » le football n’a plus d’influence au sein de l’enceinte mondiale qui gère les affaires du ballon rond. Certes, nombreux sont ceux qui affirment que les révélations de la presse britannique sur la corruption au sein de la Fifa sont à l’origine de la déroute anglaise. Mais il n’y a pas que cela. La Fifa est l’un des emblèmes de la mondialisation dont elle a même précédé l’avènement récent. Elle fonctionne comme une multinationale qui doit croître et s’ouvrir de nouveaux espaces pour ne pas dire de nouveaux marchés. Après le Qatar ? Les hypothèses sont nombreuses mais parions d’ores et déjà sur la Chine, l’Indonésie, le Chili et l’Australie, voire même l’Egypte ou le Nigeria si ces deux pays auront réglé d’ici là leurs problèmes politiques.
Mais revenons à la désignation du Qatar. Les réactions en provenance des pays occidentaux résument à elles seules l’hypocrisie qui prévaut dès lors qu’il s’agit du Golfe. Sarcasmes, indignation, commentaires à connotation raciste, cette palette ne surprendra personne. Chaque initiative de l’un des pays du Golfe pour faire parler de lui sur la scène internationale déclenche toujours des sourires entendus et des quolibets. Le discours à ce sujet est simple à résumer: des Arabes aux poches pleines qui ne savent que faire de l’argent du pétrole et qui cherchent à acheter une renommée internationale qu’ils sont bien incapables de gagner autrement. Des Arabes qui ne reculent devant rien en matière de projets bling-bling et qui pensent que c’est ainsi qu’ils vont gagner le respect de cet Occident qui continue de les complexer.
Et de les exploiter Car, dans le même temps, pragmatisme oblige, on peut être sûrs que des centaines d’hommes d’affaires occidentaux sont déjà présents à Doha. Construction de stades et d’hôtels, mise en service de moyens de transport, programmation d’événements culturels en marge de la Coupe du Monde : les possibilités de faire encore plus de bizness ne vont pas manquer. L’argent va couler à flots, des fortunes vont certainement se faire alors qu’elles n’auraient jamais été possibles en Occident mais cela ne changera rien à la perception générale. Les Qataris, comme leurs voisins, resteront perçus comme de bonnes poires, des citrons à presser jusqu’à en retirer le dernier pétrodollar.
On peut s’indigner et crier au racisme anti-arabe primaire. Mais on a toujours ce que l’on mérite. Peut-on penser le contraire quand on sait que les rencontres du Mondial 2022 devraient se jouer dans de nouveaux stades climatisés afin de compenser les effets d’une température moyenne de quarante-cinq degrés à l’ombre ? Peut-on penser le contraire quand on sait que ces stades ne serviront à rien par la suite ? Ce n’est pas le championnat de football du Qatar qui attirera les foules pour remplir les gradins. Même l’organisation récurrente de concerts et de compétitions sportives régionales ne suffira pas à amortir le coût de construction mais aussi d’entretien de ces constructions.
Trois milliards de dollars. C’est le coût estimé pour le chantier de la Coupe du Monde 2022. Certes, c’est une goutte d’eau pour un émirat qui possède les premières réserves mondiales de gaz naturel. Mais on ne peut s’empêcher de penser que cet argent aurait pu servir à d’autres fins que de convaincre le monde entier que le Qatar est désormais un pays qui compte. C’est d’autant plus vrai que le résultat risque fort d’être éloigné de l’effet escompté. En effet, l’avenir dira si cette candidature retenue ne va pas attirer plus de problèmes au Qatar que de bénéfices.
En attendant, les sommes en jeu et les montants versés pour rémunérer les lobbyistes et s’adjoindre le soutien de telle ou telle personnalité (le seul Zidane aurait perçu onze millions de dollars pour soutenir la candidature qatarie), laissent pantois, surtout en cette période de crise mondiale où jamais l’humanité n’a compté autant de victimes de la malnutrition. Et ne parlons même pas du sort des Palestiniens ou de la situation de nombreux autres pays arabes ou musulmans qui ont un besoin urgent d’investissements pour donner enfin un emploi à leurs légions de chômeurs. On dira que chacun est libre de dépenser son argent comme il l’entend. C’est certain mais, tout compte fait, il y a deux mots qui s’imposent et qui expliquent le malaise général, y compris dans de nombreux pays arabes, après la désignation du Qatar pour organiser la Coupe du Monde de 2022 : indécence et obscénité.
11 décembre 2010
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