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Si Wikileaks est un mal, comme l’affirment trop vite certains dirigeants politiques d’Occident, d’Orient et d’Afrique, c’est un mal nécessaire, parce qu’il révèle au grand public des informations qu’il n’est pas admis à consulter, sauf à attendre les deux ou trois prochaines générations.
Ce qui rend l’attente aussi intolérable qu’impossible pour des êtres humains qui n’ont pas l’éternité devant eux. De ce point de vue, hélas, ce sont très souvent les historiens qui prononcent la sentence différée contre les dirigeants incompétents et/ou tyranniques, du moins en ce qui nous concerne, nous peuples dits du Tiers-Monde. Dans les démocraties occidentales, l’Histoire et les historiens vont beaucoup plus vite : les chenapans sont souvent démasqués de leur vivant, même si une certaine impunité leur est assurée. C’est pour cela que ce site, avec ses révélations plus ou moins authentiques sur les notes diplomatiques américaines, est une bénédiction pour les morts de faim, au propre et au figuré, que nous sommes. Non pas qu’il faille prêter une confiance aveugle à la diplomatie américaine qui a souvent révélé des failles et des erreurs d’appréciation désastreuses. Mais parce que les rapports et dépêches des ambassades américaines nous en disent souvent assez, pas trop quand même, sur le véritable état des relations entre Washington et les autres pays de la planète. Prenons le cas de la zone maghrébine : on sait, d’après les éléments parus jusqu’ici, que Bouteflika n’aime pas Mohammed VI, et que le régime de Rabat est corrompu jusqu’à l’os. Mais ne pavoisons pas trop vite, pour ce qui concerne cet aspect, et attendons la suite. Toutefois, et au vu de ce que nous a donné Wikileaks, nous ne pouvons que tirer des déductions favorables à l’Algérie. Ce qui pourrait signifier que si les Américains nous ménagent de cette manière, c’est qu’ils nous aiment bien, ou qu’ils sont mal informés. On pourrait en conclure, tout autant, que ce sont peut-être les animateurs, ou les manipulateurs du site internet qui ont quelque bonté pour nous. Sans préjuger de ce que l’avenir nous réserve, on peut quand même tirer des enseignements du traitement médiatique de ces «scoops» distillés par Wikileaks. D’abord un premier constat : il suffit ces jours-ci de parcourir hâtivement les Unes des journaux pour classer ceux-ci en partisans ou opposants du système, pour ne pas dire de Bouteflika. Pour la presse, disons hostile et certainement cataloguée comme ennemie dans les sphères supérieures du pouvoir, les Américains classent comme confidentielles des informations que tout Alger murmure déjà : si la maladie du président Bouteflika est mortelle, c’est pour les impatients qui attendent la succession. Et si Bouteflika n’a pas éliminé tous les généraux, il les a, au moins, écartés de la course au pouvoir. Ici, le passage qu’il faut tenir pour absolument authentique, car il révèle un trait de caractère : «N’importe qui peut être candidat à une élection, conformément à la Constitution, même un général (…), mais les généraux se rendent compte des difficultés et aucun n’a été un candidat pour le moment.» En face, il y a les partisans, chauds ou tièdes, mais toujours là pour saisir la balle au bond, pour la rapporter à qui de droit. Pour les journaux, catalogués comme amis, alliés ou partisans, la providence Wikileaks a veillé à leur faire un cadeau, la monarchie marocaine offerte sur un plateau, dans son immorale nudité. Tout y passe, pour rattraper les maladresses commises dans le traitement des évènements dramatiques d’Al-Aïoun : le régime est corrompu, le Maroc soutient les Américains dans leur campagne contre l’Iran. Et, surtout, ne pas lâcher le morceau pour ce qui est des intentions de Rabat de reconnaître Israël et d’entretenir des relations diplomatiques avec l’Etat sioniste. Tout cela rapporté, en citant Wikileaks, considéré évidemment comme source d’informations authentiques et crédibles. On en remet une couche en rappelant que le commerce de gros du hachisch transite par les halles du palais royal et le reste est à l’avenant. Bien sûr, comme tout bon journal partisan, il ne faut pas se priver de discréditer les infos publiées par ceux d’en face, même si elles ont été puisées à la même source. On ajoutera donc en bonne place un entrefilet soulignant que les diplomates américains ne sont décidément pas sérieux. Leurs notes, citées par Wikileaks, rapportent des faits qui sont des secrets de Polichinelle pour n’importe quel citoyen sensé de ce pays. De plus, Wikileaks et ses sources ne sont pas tenus de nous désigner les bons, les brutes et les truands, comme dans les westerns spaghettis, et nous sommes assez grands pour nous faire notre propre opinion. Toujours dans la région maghrébine, et plus précisément en Libye, si Khadafi veut bien rester dans notre zone géo-ethnique, on en apprend encore de belles de la part des Américains. Il est de notoriété publique que le leader libyen a regagné les faveurs de Washington, depuis quelques années. Comme tout nouvel ami, Khadafi est donc mieux traité que son homologue marocain, Mohammed VI, dont l’amitié avec les Américains ne souffre pourtant d’aucune contestation. Selon les notes publiées par Wikileaks, les diplomates américains n’ont pas vu de corruption en Libye, si tant est que le phénomène soit visible ou pratiqué à ciel ouvert. En revanche, les Américains ne cachent pas que leur galopin d’ami a failli mettre le feu aux poudres de l’humanité, l’année dernière. Les Etats-Unis avaient, en effet, lancé une alerte nucléaire, en novembre 2009, à cause du refus du leader libyen de faire évacuer des containers de combustible nucléaire, stockés sur un site libyen. Suite à l’engagement de Khadafi de renoncer à son programme d’armes de destruction massive, sept caisses contenant ce combustible usagé devaient être acheminées vers la Russie par un avion de transport. Or, la Libye n’a pas autorisé l’avion russe à emporter sa cargaison qui est restée sur la piste de l’aérodrome de Tadjoura, sous la garde d’un seul vigile libyen. Tout est rentré dans l’ordre par la suite, et l’explication donnée par Khadafi Junior était que le dirigeant libyen avait voulu se venger de l’humiliation que lui avaient infligée les Américains, quelques semaines auparavant, lors de son déplacement à New York. S’étant rendu au siège des Nations unies, à l’occasion d e l’Assemblée générale, Khadafi s’était vu refuser l’autorisation de déployer sa grande tente sur l’île de Manhattan. Ce qui fut un outrage sans précédent de mémoire de Bédouin, alors que des pays comme l’Italie ou la France se sont prêtés sans difficulté au déploiement des fastes libyens au cœur de leurs capitales. Pour ce qui est de la France, il est normal qu’elle n’ait gardé aucune rancune à la Libye qu’elle n’a jamais colonisée pendant 132 ans. Paris vient d’ailleurs de donner une nouvelle preuve d’amitié à Khadafi, en arrêtant son ex-directeur du protocole qui serait en délicatesse avec le régime. Le général Noury Almismari, considéré comme un des piliers du régime, a été arrêté la semaine dernière à Neuilly, dans la banlieue chic parisienne. Son arrestation serait intervenue en réponse à une demande libyenne qui accusait le transfuge de détournement de fonds. Une accusation qui ne tient pas la route, selon ses proches cités par les médias arabes, d’autant plus qu’il est de notoriété publique que c’est Khadafi lui-même qui détient les clés du coffre à pétrodollars. Ce qui étonne, c’est la diligence avec laquelle les autorités françaises ont répondu à la demande libyenne, sachant que d’autres grands détourneurs se déplacent et dépensent, en toute liberté, des fortunes mal acquises.
A. H.
Source de cet article :
http://www.lesoirdalgerie.com/articles/2010/12/06/article.php?sid=109569&cid=8
7 décembre 2010
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