Le Qatar vient de gagner le ticket pour organiser la Coupe du Monde 2022. C’est donc la joie immense dans ce pays et ailleurs. Certains y voient une victoire «arabe», d’autres, une victoire d’un pays «arabe et musulman», d’autres encore y voit la victoire d’un pays riche.
C’est donc selon ce qu’on attend du monde: une vengeance, une preuve ou une reconnaissance, mais l’essentiel n’est peut-être pas là. Pour avoir longuement regardé à la télévision les explosions de joie dans ce pays et le sourire fier et entier de son couple royal, on finit par éprouver une sorte de secrète jalousie et une tristesse. Voilà un pays comme nous, parti de rien, comme nous, avec du gaz comme nous et qui a réussi à devenir le centre du monde tout en n’ayant que la surface d’une wilaya algérienne. La raison ? Ce sont des raisons. Mettons donc de côté les analyses par les lobbysmes internationaux, celle par « les bases américaines », celle par les bons rapports avec Israël et les analyses qui se limitent à l’argent et reprenons l’histoire par son début. Le Qatar est un petit pays qui a à peine une histoire nationale, genre un million et demi de martyrs, il est si petit qu’il ne peut même pas se permettre d’être vaniteux et de se présenter comme le meilleur exemple de la décolonisation du 20ème siècle, il a du gaz mais ce n’est pas une maladie. Comme nous autres, il a été longtemps gouverné par un vieillard qui ne savait pas utiliser un clavier jusqu’à l’arrivée de son fils qui l’a mis dans une chambre et lui a recommandé de ne pas confondre son âge et l’âge de son pays.
L’Emir du Qatar a réussi d’abord à créer une image et une sorte d’empire médiatique avec El Jazeera qui a donné à son pays de 11 427 km², la surface de toute la planète. La révolution El Jazeera est indéniable. On pourra dire ce que l’on veut sur ce network, sur ses réseaux, double jeu et manipulations, les propriétaires du groupe ont compris l’un des mécanismes des temps modernes : l’empire des images, leur impact, leurs industries et leurs profits. Le Qatar a réussi à exporter l’image d’un pays où l’on peut dire des choses, où l’on assume les relations internationales même avec Israël sans hypocrisie, où les débats étaient pertinents et la royauté pas du tout ridicule, où la liberté du culte n’est une chasse aux casse-croûte et où les droits de la femme sont les plus respectés dans cette région du monde. La révolution El Jazeera a fini par «enfoncer» encore plus le reste du monde «arabe» et en souligner, par contraste, le calendrier moyenâgeux.
La monarchie a réussi donc, d’abord et surtout à créer un « rêve qatariote », même pour les intellectuels arabes et leurs marchands. Le « Qatar way of life », un mythe et une image. Par la suite, même avec toutes les critiques du monde sur son dos, ce pays a toujours l’image positive d’avoir su utiliser son gaz pour les besoins de son cerveau et pas pour une armée, des milices, des rapines, des fraudes électorales. Là, les choses ont l’apparence d’être claires : le gaz n’est pas une malédiction, la monarchie n’est pas une fausse république, la liberté d’expression est une industrie, pas un interdit caricatural, les gratte-ciel sont un urbanisme qui vise le ciel et pas le relogement, et l’économie y est si moderne qu’on en reste étonné.
La vérité est que le Qatar a compris l’essentiel : pour réussir un pays, il faut le faire ressembler à une entreprise internationale. Une entreprise avec une image, un logo, des campagnes de publicité, des canaux médiatiques, de l’originalité dans l’emballage, de la liberté d’initiative, une transparence dans la comptabilité, de la délégation de pouvoir et de la rapidité dans le traitement des commandes. Un Etat-entreprise (comme Taïwan, le Japon, la Corée du Sud, etc.) qui, encore une fois par contraste, relègue au musée des monstruosités les autres Etats « arabes » gérés comme des tribus ou comme des casernes et où les rois ou les présidents ont le souci majeur d’affirmer une propriété plutôt que réaliser un bon chiffre d’affaires.
4 décembre 2010
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