« A vouloir écarter le pire, on chasse aussi le meilleur. C’est aussi évident qu’à trop craindre la mort on oublie de vivre et qu’à la fin on meurt quand même ». Gilles Lamer (1).
En ces temps de crise, le chômage est le mal absolu et le virus dévastateur que tous les pays du monde tentent de combattre et d’éradiquer, hélas sans trop de succès ! Pour cela, tous les moyens sont bons: quid par les aides publiques à l’emploi et à la réinsertion des chômeurs, quid par les aides aux secteurs stratégiques et bailleurs d’emplois comme l’automobile, quid par les investissements publics gourmands en main d’œuvre, quid par la défiscalisation des activités créatrice d’emplois, quid par la flexibilité et la réforme de la législation du travail. Chacune de ces stratégies est plus ou moins légitimes mais également et souvent contestées.
Les approches de lutte contre ce fléau, première conséquence directe de la crise financière et économique, diffèrent d’un pays à l’autre, d’une société à l’autre et d’une économie à l’autre. Certains gouvernements réagissent aux indicateurs macro-économiques et aux clignotants micro-économiques choisis dans leurs tableaux de bords. D’autres réagissent à la grogne populaire et aux soulèvements sociaux déstabilisateurs. Alors que d’autres agissent et réagissent dans le cadre d’une stratégie globale de développement économique.
Parmi les stratégies dont l’efficacité est avérée pour le développement économique et pour la lutte contre le chômage, certains experts n’hésitent pas à prescrire le développement de la micro entreprise en le décrivant comme l’ultime remède et véritable élixir.
En effet, la micro entreprise est la réponse la plus logique, la solution la plus adaptée et le moyen le plus économique de croissance, de développement et de lutte contre les crises et les inégalités socio-économiques. Une infrastructure économique construite autour d’un tissu puissant de micro-entreprises est surtout caractérisée par les aspects économiques ci-dessous:
Une atomicité optimale des entités. Le nombre important d’entreprises de petite taille permet de limiter, voire même d’éliminer tout risque économique systémique en cas de crise ou de faillite sectorielle. Cette condition d’atomicité est également sine qua non pour la création d’un véritable marché concurrentiel.
Une concurrence (presque) pure et parfaite. Le nombre d’entreprises présentes sur un marché détermine le degré de concurrence qui y prévaut. Plus le nombre est élevé plus la concurrence est forte. Ceci engendre comme conséquences directes l’amélioration de la qualité des produits et services et la tendance baissière de leurs prix favorisant ainsi le pouvoir d’achat des consommateurs. Donc, disposer à terme du meilleur rapport qualité/prix.
Une meilleure proximité et une profonde pénétration sociale. La petite taille des micro-entreprises pousse leurs créateurs et gérants à s’installer à proximité de leur clientèle, à proximité de leurs fournisseurs ou à proximité de leurs inputs. Ceci garantie une présence et une distribution large afin de pénétrer leurs marchés et s’adapter facilement aux changements économiques
Une innovation et une créativité permanente et perpétuelle. La taille et le nombre des micro-entreprises permettent d’instaurer et d’imposer l’innovation et la créativité comme facteurs clefs de réussite. Aucune domination ne devra et ne sera capable d’étouffer les efforts des plus innovants et des plus créatifs.
Traitements et solutions sans douleurs en cas de crises. La taille et le nombre de micro entreprise permettent de réagir sans trop de coûts en cas de crise économique ou financière. Les micro-entreprises se renouvellent de façon cyclique et douce et les situations des « too big to fail » seront rares voire même impossibles.
La plupart des économies émergentes dont le développement est soutenu et stable sont construites autour d’une stratégie claire et efficace qui a comme fer de lance la micro entreprise. Celle-ci évoluent, ensuite, vers les PME et deviennent in fine de grandes entreprises. C’est le cas de l’Inde, de la Chine, du Brésil, de la Corée du Sud, du Mexique, de la Malaisie, de Taïwan, de la Tunisie et de beaucoup d’autres pays.
Qu’en est-il, alors, de l’Algérie? La micro entreprise est-elle une préoccupation nationale? Quelles sont les actions accomplies dans ce cadre? Quelles sont ses perspectives? Quelles sont les contraintes qui empêchent l’émergence de la micro-entreprise et l’accomplissement normal de son rôle? Quelles sont les axes de réflexion et de développement stratégique de ce créneau? Quelles sont les mesures à même d’apporter des solutions adaptées, les moyens d’émergence d’un puissant tissu de micro-entreprises?
En Algérie, le concept de micro entreprise est apparu vers 1986, au moment de l’apparition de la crise économique et des premiers licenciements liés à l’échec de la stratégie de l’industrie industrialisant. Certains experts visionnaires de l’époque avaient évoqué ce concept, non seulement, comme solution de conversion et de redéploiement de l’économie nationale mais également comme moyen de lutte contre le chômage et les inégalités sociales régionales. Mais la concrétisation réelle des premiers dispositifs de micro-entreprises s’est faite sous le gouvernement de Monsieur Hamrouche. Ce premier dispositif consistait à apporter une participation financière via un crédit bonifié en faveur des porteurs de projets remplissant un certain nombre de conditions. Le montage financier des projets impliquait les banques publiques.
Les lacunes juridiques et les faiblesses de l’encadrement technique du dispositif avait conduit à son échec et à son remplacement par le dispositif de l’Agence Nationale de Soutien à l’Emploi des Jeunes (ANSEJ).
Cependant, d’autres dispositifs ont été mis sur pieds afin d’apporter des solutions orientées vers toutes les catégories sociales. La Caisse Nationale d’Assurance Chômage CNAC, initialement chargée de la gestion des licenciements massifs causés par les réformes des années 90, a créé son propre dispositif dédié aux chômeurs promoteurs et porteurs de projets qui ne sont pas éligibles au dispositif de l’ANSEJ. Même les personnes diplômées dont la situation sociale est précaire ou dont les revenus sont faibles ont eu droit à un dispositif particulier conduit sous la houlette de l’Agence Nationale de Gestion du Microcrédit ANGEM.
Dans l’esprit du législateur et du décideur-stratège, ces différents dispositifs offraient une large palette de solutions pour encadrer et encourager la création des micro-entreprises et de l’emploi de façon durable et pérenne. Alors que dans l’esprit des administrations et des institutions chargées de leur gestion, il s’agit plutôt d’une politique politicienne et de bureaucratie économique locale pour octroyer des avantages et offrir des privilèges socio-économiques. En un mot, pour ces derniers, c’est une façon de faire des dons ou de la distribution de fonds publics aux chômeurs.
En effet, ces nouveaux dispositifs, malgré leurs multiples aménagements sont devenus avec le temps trop bureaucratisés par la lourdeur des procédures à suivre et la lenteur des circuits de prise de décision. Ce qui n’a pas manqué de créer des situations conflictuelles et des contradictions parfois bizarre entre les différents intervenants de la chaîne. Le temps perdu par les prétendants à ces projets se traduit souvent par des pertes d’argent, des pertes d’opportunités et voire même des pertes d’envie et d’espoir de réussite.
Actuellement, la tendance de ces dispositifs est à la décentralisation et à l’institution de commissions techniques au niveau de chaque siège pour la validation des projets et des montages financiers y afférents avec la participation de l’ensemble des secteurs et des acteurs concernés par la micro-entreprise et l’éradication du chômage: les banques publiques, l’Ansej, la Cnac, l’Angem, le Centre National du Registre de Commerce, les universités, la formation professionnelle, les chambres de l’artisanat, les chambres de commerce, les chambres de l’agriculture etc.
Cette nouvelle organisation visait essentiellement et en premier lieu, à débureaucratiser le processus de prise de décision fortement alourdi et souvent subjectif au niveau des banques. Ensuite, il s’agit d’impliquer davantage les parties concernées par le sort des micro-entreprises et de l’emploi dans le processus de création, d’accompagnement et de suivi de celles-ci pour assurer une certaine harmonisation et une collaboration entre les institutions qui y interviennent. Elle visait enfin, à améliorer la qualité des projets et la crédibilité des promoteurs ainsi que leur maîtrise des conditions du marché souvent difficiles.
Malgré les aides financières directes et la bonification de leurs crédits, malgré les avantages fiscaux et para fiscaux qui leurs sont octroyés et malgré l’assistance des commissions techniques et des accompagnateurs, les promoteurs de la micro entreprise n’ont pas pu s’épanouir totalement et le taux d’échec des projets reste relativement élevé. En effet, rares sont les micro-entreprises issues de ces dispositifs ayant pu évoluer normalement vers des PME et devenues des grandes entreprises, ce qui était l’objectif initial et macro-économique de ces dispositifs.
Les commissions et les nouvelles conditions de bancarisation et de financement de ce dispositif qui avaient pour but l’optimisation des montages, éviter des contradictions administratives ou juridiques dans le processus de création de ces entités et garantir la réussite des promoteurs n’ont pas permis aux micro-entreprises de créer la dynamique économique recherchée.
Les statistiques publiées ici et là par les organismes officiels qui gèrent ces dispositifs sont plutôt favorables et laissent supposer un succès total des actions gouvernementales. Les chiffres communiqués sont plutôt bons, les taux d’évolution annuels annoncés sont parfaits et la satisfaction exprimée par tout le monde en est la preuve. Mais qu’en est-il dans la réalité? Quelles sont les problèmes et les contraintes structurelles de ce créneau? Qu’est-ce qui empêche l’émergence d’un véritable et solide tissu de micro-entreprises qui absorberait le chômage et contribuerait à la diversification de l’économie nationale?
Le premier élément de réponse est au niveau des banques publiques et des fonds de garantie. Il concerne le niveau des impayés et le nombre de défections enregistrés. Ces chiffres sont révélateurs d’un faible taux de réussite et d’un dysfonctionnement clair dans la gestion de ces dispositifs. Toutes les banques enregistrent dans leurs portefeuilles de crédits une bonne partie d’impayés des micro-entreprises dites aidées.
Souvent, il y a incapacité de remboursement des emprunts contractés et appel au fonds de garantie afin de recouvrer les impayés déclarés et/ou avérés. Par ailleurs, une certaine lourdeur dans le processus de recouvrement des impayés avec les fonds de garantie, engendre des problèmes de gestion opérationnelle dans les agences bancaires et des pertes liées à la non-conformité des dossiers présentés en recouvrement. Ceci a engendré des conséquences plutôt dramatiques sur le plan technique.
Les opérationnels des banques se trouvent confrontés à une situation peu envieuse !! Ils sont divisés entre l’impératif d’accompagner une politique économique publique et d’appliquer les orientations de l’actionnaire-propriétaire qui est l’Etat, et l’impératif de respecter l’orthodoxie bancaire et les critères universels d’éligibilité aux crédits qui sont les conditions bancaires et les règles prudentielles. Ils se heurtent aux problèmes de la gestion encombrante et lourde de dossiers de crédits octroyés de façon peu orthodoxe.
Donc, nous pouvons conclure clairement que les banques auront toujours tendance à voir ces dispositifs comme une contrainte administrative et une obligation envers l’actionnaire et non comme une opportunité commerciale et une opération rentable. Le deuxième élément de réponse est à chercher au niveau de la qualité des projets et des promoteurs que l’ensemble des dispositifs agrée. En effet, dans les nomenclatures arrêtées, les projets concernent principalement cinq secteurs d’activité: Le secteur des services, celui des transports, le secteur des industries, celui des BTPH et enfin le secteur agricole.
L’examen des données y afférentes fait ressortir une forte concentration des projets au niveau de deux secteurs uniquement, de surcroit non créateurs de richesses, à savoir les services et le transport. Les autres secteurs ne sont représentés que par pure présence politique et symbolique. Par ailleurs, les promoteurs impliqués dans ces divers dispositifs, pour faire aboutir leurs projets, sont souvent obligés de se tourner vers des voies et des solutions totalement contrôlées par des opportunistes qui cherchent le gain, les aides, les avantages fiscaux et para fiscaux. Rares sont ceux qui agissent librement en porteurs de projets cherchant le succès et la réussite sans avoir recours aux solutions douteuses et aux intermédiaires.
Dans leurs têtes ces mêmes promoteurs viennent aux différentes commissions pour solliciter des aides et implorer la générosité des membres des commissions afin de réaliser leurs projets. Moi-même, j’ai eu à poser la question de savoir s’ils sollicitent des aides ou plutôt des financements, et je vous avoue que leurs réponses penchent souvent vers le concept d’aide. Donc, pour eux, il ne s’agit plus de montages financiers, ni de crédits à rembourser, et encore moins de succès et de réussite socio-économique, mais plutôt d’aide politique et de droits à obtenir auprès des administrations chargées de la gestion et du financement.
Nous voyons clairement, là aussi, que la finalité de ces dispositifs est totalement biaisée par son encadrement technique même vis-à-vis des créateurs des micro-entreprises.
Le troisième élément de réponse est à voir au niveau des procédures et des règles qui encadrent ces dispositifs. En effet, nous constatons là également une absence presque systématique de souplesse et une gestion rigide du fonctionnement de ces dispositifs. Un respect automatique et une application absolument négative du cadre législatif est observée par les intervenants sans aucune possibilité d’interprétation, ni d’enrichissement ou d’innovation de la part des parties concernées. Ni les agences administratives, ni les banques ni les promoteurs et encore moins les autorités de tutelle ne sont ouverts à l’amélioration et à la critique constructive.
A titre d’exemple, le montage financier de ces micro-entreprises est totalement faussé par des éléments subjectifs que les promoteurs ne peuvent maîtriser notamment les loyers des sites d’exploitation et des sièges, l’origine de l’apport personnel, la prise en compte et l’évaluation réelle des frais préliminaires, la prise en compte et l’évaluation du fond de roulement nécessaire et enfin la lenteur dans la concrétisation des projets. Ce qui entraine des conséquences négatives évidentes sur la qualité des projets.
Notons aussi qu’entre la date de dépôt de la demande du promoteur auprès de l’organisme gestionnaire et la date d’entrée en exploitation de son projet, le plus chanceux doit patienter de longs mois; voire même plus d’une année avant de voir son rêve se concrétiser. La première conséquence de cette situation est la révision de la structure et du projet et des coûts que les porteurs de projets doivent supporter tout seuls s’ils ne veulent pas encore refaire le chemin depuis le début (indisponibilité de certains équipements, augmentation des prix, perte d’opportunités de plan de charges, changement de réglementation, ….).
Les procédures de recueil des garanties en faveur des banques (nantissement des équipements et assurances), des organismes d’aides (nantissement et assurance de second rang) et de l’administration fiscale (incessibilité fiscale) ont créé une sorte de cercle vicieux et un total blocage d’entrepreneuriat des porteurs de projets. Ils ne peuvent ni céder leur investissement, ni faire du partenariat avec d’autres entreprises, et encore moins prétendre à d’autres financements de leurs activités.
Donc, nous pouvons conclure ici aussi que les possibilités et les perspectives d’enrichissement, d’évolution et de développement de ces dispositifs se heurtent à des contraintes techniques claires.
Enfin, le dernier élément de réponse se situe, à notre sens, au niveau de la garantie d’un plan de charge qui pourrait assurer à la micro entreprise un décollage serein et une activité permettant une entrée aisée à son secteur et ainsi, lui éviter l’étranglement des contraintes à l’entrée et la disparition dès les premières années, comme c’est le cas actuellement.
En fait, actuellement, toutes les micro-entreprises souffrent de la faiblesse de leurs capacités financières, de la faiblesse de leurs qualifications techniques, de la faiblesse de leur maîtrise du marché parsemé de contrainte à l’entrée. Elles ne bénéficient presque d’aucune forme d’assistance pour l’obtention de plan de charge, notamment dans le secteur public.
Connaissant, les conditions actuelles d’accès aux marchés publics et aux plans de charges consistants, souvent conditionnés par des critères de qualification que celle-ci ne remplissent pas, les micro-entreprises n’ont aucune chance de réussir. Les rares cas de réussite concernent des sociétés dont les porteurs sont des proches d’entrepreneurs et de hauts responsables capables d’assurer un plan de charge, de la sous-traitance au moment du démarrage et/ou de la supervision technique lors du lancement. Les autres sont vouées systématiquement à l’échec.
Nos conclusions sont évidentes là aussi. Les chances de réussite et de succès des porteurs de projets sans plan de charge de démarrage sont faibles, voire même nulles.
Les conclusions successives citées plus haut, nous orientent vers une partie des solutions à suggérer. Les dispositifs de création et d’accompagnement des micro-entreprises sont plutôt assez murs pour ne plus tomber dans l’approximation et l’erreur banale mais fatale et préjudiciable à toutes les parties. Alors, espérons que les récentes réformes et initiatives macro-économiques toucheront également ce créneau névralgique pour la diversification de l’économie et des recettes nationales.
Pour ma part, même si on partage pas la même morale, je partage totalement, comme la majorité des citoyens algériens l’opinion de Mme Simone de Beauvoir qui estime avec beaucoup de justesse que « Le propre de toute morale est de considérer la vie humaine comme une partie que l’on peut gagner ou perdre, et d’enseigner à l’homme le moyen de gagner » pour enseigner à nos micro-entreprises les moyens de devenir de grandes entreprises !!!
*Economiste et chercheur
(1) Gilles Lamer, Romancier Canadien (Québec), né en 1940, dans Bâtissez mon temple, 1985.
(2) Femme de lettres et auteure française 1908/1986, dans Une morale de l’ambigüité, aux Ed. Gallimard, 2003.
3 décembre 2010
Contributions