Obama, à la tête de la principale puissance mondiale, est en difficulté. Hu Jintao, le secrétaire général du Parti communiste, s’est fixé comme objectif de faire de son pays une «société harmonieuse» et multiplie apparemment les succès et les ambitions.
Le parallèle est douloureux. A quelques heures près, s’achevait la formidable exposition universelle de Shanghai quand débutait l’ouverture des premiers bureaux de vote où les Américains allaient renouveler ou non les mandats de leurs sénateurs et représentants.
C’est le 1er ministre Wen Jiabao qui a clôt l’expo de Shanghai 2010 qui a duré 184 jours. 246 pays et organisations internationales y ont participé. Le vice-Premier ministre Wang Qishan en a rajouté dans le discours de clôture :
« Plus de 2 millions de volontaires y ont contribué et 73,08 millions de visiteurs l’ont visitée ( ) Tout cela a créé l’exploit de l’expo de Shanghai. Cette période merveilleuse restera un souvenir inoubliable pour nous ».
Pour Obama,la douche froide
Parions que de son côté, Barack Obama ne conservera pas de ces élections de « midterm », un « souvenir inoubliable ». « Un raz de marée rouge » titraient les médias américains. Aux Etats-Unis, le rouge n’incarne pas le symbole révolutionnaire bien connu, c’est la couleur fétiche du Parti Républicain. Le président américain, qui a tracé les premières perspectives post-électorales lors d’une conférence de presse hier, avait appelé dans la nuit les leaders républicains, le représentant John Boehner et le sénateur Mitch McConnell, pour leur faire part de sa volonté de travailler avec eux. Selon les projections des chaînes de télévision, les républicains gagneraient au moins 50 sièges jusque là détenus par les démocrates, bien plus que les 39 qui leur étaient nécessaires pour faire basculer la Chambre des représentants. Il faut remonter à la vague républicaine de 1994, au milieu du premier mandat de Bill Clinton, pour retrouver trace d’une telle percée: le « Grand Old Party » républicain avait alors conquis 54 sièges. Au Sénat, en revanche, où 37 des 100 sièges étaient concernés, les démocrates ont survécu à la marée républicaine. La messe est dite, comme on dit dans l’Europe catholique. Après un grand coup de barre à gauche avec l’élection en 2008 du 1er président sang-mêlé mais clairement progressiste, les électeurs américains ont clairement voté à droite.
La prise de contrôle de la Chambre des représentants par les républicains risque de se traduire par une situation de blocage législatif, une réduction de la marge de manœuvre d’Obama et un durcissement du combat politique sur les questions de la fiscalité, du contrôle des dérives de « l’industrie financière », de la prévention des changements climatiques ou encore de l’immigration.
Barak Obama connaît donc son 1er revers sérieux. Il peut se consoler en se rappelant que Bill Clinton avait lors de son 1er mandat, subi lui aussi un revers électoral d’une même ampleur, ce qui ne l’avait pas empêché d’être triomphalement réélu pour un second mandat deux ans plus tard.
Il n’empêche. Tout d’abord parce que l’histoire ne se reproduit pas à l’identique, ensuite parce que les premiers pas du nouveau président ont été marqué par une certaine valse-hésitation. Le nouveau président avait beaucoup promis, il n’a pas tout tenu, et de loin. C’est là l’essentiel des critiques de son aile gauche. Obama avait en effet donné des garanties aux classes populaires et moyennes américaines. « La classe moyenne est dévastée. Et sa disparition est bien plus menaçante pour la stabilité à moyen terme que la crise financière qui a vu 3000 milliards de dollars d’argent du contribuable versés à Wall Street. Des chiffres ? Depuis la fin de 2007, nous avons perdu plus de 4,8 millions d’emplois. Un Américain sur 5 est sans emploi ou sous-employé. Un crédit immobilier sur 8 mène à la saisie. Un Américain sur 8 vit de bons alimentaires. Chaque mois, plus de 120 000 familles se déclarent en faillite. La crise économique a balayé plus de 5000 milliards de fonds de retraites et d’économie». Ce réquisitoire vient d’une « obamiste » connue. Arianna Huffington, économiste et épouse de milliardaire fait partie de la gauche « libérale 3 ; Aux Etats-Unis, traduisez, gauche radicale. Elle vient de publier un brulot au titre évocateur « Third Word America »-, l’Amérique du tiers-Monde
Yes, we can ?
Il ne faut pas accabler Barack Obama. Le pauvre n’a pas été épargné par le calendrier. Il a été placé à la tête des Etats-Unis au moment où ce pays subissait la plus grave crise économique et financière depuis 1929. C’est d’ailleurs l’une des raisons de son succès électoral. Mais les électeurs attendent des résultats. Qu’on ne peut leur donner, pour cause de crise
Le président américain, confronté à un aggravement vertigineux de la dette extérieure et du déficit budgétaire a néanmoins réussi à entamer une réforme d’importance, celle des régimes de santé. Avec beaucoup d’efforts et des résultats à long terme. Pays riches pendant des décennies, les Etats-Unis disposent d’un très maigre filet social en matière de dépenses de santé, renvoyées pour l’essentiel à l’épargne de chaque salarié. Pas de problème quand le travail abonde Mutualiser les dépenses collectives était donc une excellente idée, permettant une redistribution du risque et donc des richesses. Hélas, la principale préoccupation des Américains, aujourd’hui c’est l’emploi. Dans une société convaincue des avantages de la flexibilité du job (« Je perds un boulot le matin, j’en retrouve un le soir »), la montée brutale de 2008 d’un chômage long et persistant a fait traumatisme. La crise financière entrainant une récession sans précédent a quasiment fait doubler le nombre de demandeurs d’emplois. 9, 60% de chômeurs, c’est un seuil douloureux en Europe ou dans d’autres pays. C’est inacceptable aux Etats-Unis qui ne disposent pas de filets sociaux de protection à l’européenne, ni même souvent des relais de solidarité locales ou familiales, cette dernière ayant largement implosée. Conscient de ce risque d’implosion sociale, Barack Obama avait relacé la vieille idée rooseveltienne d’un programme de « grands travaux », visant à renouveler les infrastructures du grand pays et offrant des millions d’emplois à une population en demande. Il n’a pas trouvé au sein même de son parti, le Parti démocrate, la majorité nécessaire. A-t-il perdu pour autant ? Barack Obama est un stratège, froid, distancié, convaincu de la justesse de son orientation. Dans l’imagerie populaire, chaque Américain était convaincu que, le hasard venant, il pourrait allait boire une bière au bistro du coin avec Bill Clinton ou Georges Bush. Avec le glacial et intellectuel Obama ? Même pas en rêve !
Mais celui-ci a les qualités de ses défauts. Il a sauvé l’essentiel aux lendemains de ces élections, le Sénat (à un siège près). Il dessine surtout depuis quelques mois, une stratégie froide et brutalement recentrée : « l’Amérique, d’abord ».
Le banquier chinois
Son arme essentielle s’appelle le dollar. Le dollar restant la monnaie de référence internationale, le gouvernement américain confronté à une sévère et durable récession, des déficits budgétaires peu réductibles et une dette pharamineuse qui pèse à elle seule, la moitié de la dette mondiale a toutes les raisons de pencher pour faire fonctionner la « planche à billet vert ». Certes, rétorquent les économistes classiques, le poison de l’inflation est alors introduit. Mais quand on est endetté, l’inflation est un pur bonheur, sauf pour votre banquier
Ce raisonnement très grossier, indigne des subtilités de la science économique académique, n’est hélas pas très éloigné de la triviale réalité. Surtout quand on sait que, dans le cas des Etats-Unis, le banquier en question, s’appelle la Chine. Ce pays possède en effet une large part des obligations de l’Etat américain mais dans le même temps, il a notamment un besoin absolu du marché américain pour exporter ses infinies nouvelles productions.
Tout à la joie qu’elle ressent de redevenir une très grande puissance, la Chine est néanmoins confrontée a trois problèmes dorénavant récurrents : des tensions sociales qui peuvent devenir fortes à tout moment, un imbroglio politique et des voisins qui se méfient de plus en plus d’elle (2ème partie). Contrairement à d’autres pays émergents, la Chine n’a jamais été conquise, elle n’en a pas moins ressenti l’humiliation des expéditions coloniales et le prix d’une guerre sans merci avec un Japon totalitaire. Un couple d’universitaires chinois, Jin Guantao et Liu Qingfeng, a donné récemment une analyse particulièrement intéressante parue dans Courrier international. Ces chercheurs rappellent que la période de très forte croissance que connaît actuellement leur pays n’est pas la 1ère du genre : « La Chine a connu pendant cette période deux phases de croissance économique rapide. Une première, des années 1900 à 1920, et celle que nous connaissons actuellement, qui a débuté en 1979 (avec le lancement de la politique de réformes par Deng Xiaoping). Il est sans aucun doute intéressant de rapprocher ces deux périodes de croissance, et de comprendre pourquoi la première s’est interrompue », s’interrogent-ils.
Le précédent des années 20
Devenue en 1911, grâce à Sun Yat-Sen, la plus grande république du monde, la Chine rurale et féodale s’est très rapidement développée, intégrant très rapidement déjà toutes les technologies occidentales. Mais « pourquoi cette première période de modernisation n’a-t-elle duré qu’un peu plus de vingt ans ? Parce que la transformation rapide de la société va créer des problèmes insolubles. Les réformes entreprises à la fin de la dynastie des Qing s’inspirent entièrement des institutions politiques et économiques occidentales (et japonaises), et, tandis que les élites et leurs capitaux se dirigent vers les villes, les campagnes manquent d’écoles et d’organisations sociales. Les villes côtières se modernisent rapidement, pendant que l’intérieur agricole stagne », poursuivent les mêmes universitaires qui formulent à juste raison une comparaison avec l’actuelle situation de la Chine. Ce grand pays est en effet confronté à un déséquilibre social intérieur grandissant entre des gigantesques agglomérations en fort développement un pays intérieur en stagnation. De même, l’apparition d’une minorité « d’hyper-riches » et d’une classe moyenne émergente ne doit pas faire oublier l’existence dans un pays de plus d’un milliard d’habitants, de centaines de millions d’ouvriers, d’employés et de paysans aux conditions de vie très précaire. Que ce soit sous la Chine impériale, dans la période des années 20, sous Mao ou aujourd’hui, la Chine reste selon ces deux chercheurs, dans la plus grande difficulté à sortir du modèle confucéen classique, celui d’un « gouvernement par la Loi » mais qui n’est en aucun cas un « Etat de droit ». Il existe en Chine une permanence, « la forte capacité de contrôle d’une bureaucratie unie autour du pouvoir impérial (ou autre), avec un refus de toute réforme en période de stabilité sociale ». Au risque d’explosions sociales incontrôlables et cycliques, comme le fut la prise du pouvoir par le Parti communiste ou la Révolution culturelle. Le boom de l’économie chinoise (plus de 10% de croissance annuelle) impose une modification des règles brutales et contraignantes qui régissent la société civile et incarcère le débat politique Ne serait-ce que pour juguler une corruption qui s’avère galopante. Mais dans une société corsetée, l’initiative ne peut pas être prise par des opposants aussi minoritaires que courageux, même soutenus par l’extérieur honni, tel Liu Xiaobo, une figure du mouvement démocratique chinois de ces vingt dernières années et un initiateur de la Charte 08 qui vient de recevoir le Prix Nobel de la Paix, au grand dam de Pékin. Cette initiative doit partir de la tête du système.
6 novembre 2010
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