Edition du Samedi 06 Novembre 2010
Culture
Lorsque l’écriture de l’histoire est suspendue au souvenir projeté dans le futur de sa nostalgie
La chronique de Abdelhakim Meziani
On serait tenté de croire que tout a été dit sur l’histoire de la lutte de Libération nationale en Algérie en considérant la masse imposante des écrits se rapportant à cette période particulièrement riche en évènements. Mais que l’on vienne à entreprendre la lecture et l’exploitation de ces informations, fait remarquer Slimane Chikh,
et l’on s’aperçoit que beaucoup reste encore à dire. Ce qui est connu et accessible au grand public, voire même aux spécialistes, ne constitue en fait que la partie émergée de cet iceberg que représente la séquence historique de la lutte armée allant de 1954 à 1962 : “Les faits mal ou partiellement connus demeurent nombreux. Mais plus remarquable, sans doute, est la proportion considérable des faits déformés par la passion partisane et les interprétations tendancieuses.” À la question de savoir s’il est encore trop tôt pour espérer aborder cette histoire avec un minimum d’esprit critique, la réponse du fils de Moufdi Zakaria est on ne peut plus édifiante : “On le croirait volontiers en considérant les réactions diverses, parfois contradictoires, mais toujours passionnées que soulève tout sujet traitant de cette période. On le croirait davantage en tenant compte du fait que de nombreux acteurs ayant joué un rôle important, voire même principal dans tel ou tel événement déterminant sont encore en vie. Si leur présence peut offrir la possibilité de recueillir leur précieux témoignage, elle peut, en sens inverse, jouer un rôle d’‘étouffoir’ et inciter à l’autocensure ou, plus directement, à la censure.”
Slimane Chikh n’exagère nullement en soulignant que ce n’est pas par un pur hasard si l’histoire de la guerre de Libération est, en proportion, le fait d’auteurs étrangers. Mais, de son point de vue, le problème n’est pas tant d’“algérianiser” l’histoire de l’Algérie, plus particulièrement celle de la lutte de Libération nationale, que de la “décoloniser” ; c’est-à-dire de la débarrasser de son caractère polémique qui la réduit à ne se concevoir qu’en réponse à l’histoire élaborée et conçue dans le cadre de l’idéologie de la caste coloniale. Faisant preuve d’une remarquable hauteur de vue, l’auteur de L’Algérie en armes invite les principaux concernés à dépasser le niveau idéologique de l’histoire justificatrice pour accéder au niveau de l’histoire critique qui a moins le souci de l’autojustification que celui de l’autocritique ; qui songe moins à se déterminer par rapport à l’autre qu’en fonction de soi en dévoilant sa propre réalité avec sa grandeur et sa misère, avec son unité profonde et ses contradictions internes. Certes, l’entreprise de redécouverte d’un passé récent et passionnément vécu est d’autant plus ardue que la volonté de relativiser les choses s’oppose à une foi naguère bardée de certitudes, estime-t-il. Sans pousser la naïveté jusqu’à croire qu’il soit possible d’atteindre à l’objectivité dans un pareil domaine, l’ancien ministre de la Communication et de la Culture estime possible de soumettre les certitudes inébranlables à l’épreuve du doute et de substituer au récit triomphaliste de l’épopée le bilan lucide et sans complaisance… Mais, est-il possible de faire un bilan lucide et sans complaisance dans un pays où la culture de l’oubli met en scène des planqués de l’histoire, ceux-là mêmes qui ne donnaient pourtant aucune chance à la montée, encore moins à l’ascension irrésistible du nationalisme algérien ? Si elle est aisée, la réponse à ce questionnement n’en reste pas moins problématique.Comme si l’homme n’était pas libre de ses mouvements, de son destin. En d’autres termes, l’écriture de l’histoire est suspendue au souvenir projeté dans le futur de sa nostalgie. Comme si, subrepticement, le présent devenait un futur du passé.
A. M.
mezianide@djaweb.dz
6 novembre 2010
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