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Contribution A propos de Bachir Boumaza et de Mohamed Boudia

1 novembre 2010

Contributions


Dans sa chronique du 17 octobre dernier, Arezki Metref, commentant un film sur Jacques Vergès diffusé par Arte, avait pointé une déclaration de Bachir Boumaza disant que Mohamed Boudia avait été son collaborateur au RUR. Le Rassemblement unifié des Révolutionnaires (RUR) était un parti d’opposition à Boumediene actif surtout dans l’émigration. En même temps que son opposition au régime de Boumediene, le RUR apportait une solidarité active aux Palestiniens. Cette solidarité allait jusqu’à l’action armée. Les circonstances de sa création sont peu connues des historiens. Le fait est que Mohamed Boudia en faisait partie et en était un élément central. Makhlouf Aouli a répondu à Arezki Metref qui lui répond. Nous publions ci-dessous les deux textes.



La mise au point de Makhlouf Aouli
A Monsieur Arezki Metref
Je suis un lecteur assidu de votre rubrique «Ici mieux qu’en face» publiée chaque dimanche dans le quotidien Le Soir d’Algérie. Je la trouve souvent intéressante et, disons-le, plaisante. Mais quelles ne furent ma surprise et ma déception en prenant connaissance de celle du 17 octobre 2010, plus exactement son paragraphe : Jeudi 14 : «glaneur de mégots de gloires posthumes ». Avec un sous-titre pareil, l’attention ne peut qu’être attirée. Je l’ai trouvée particulièrement tendancieuse. Tout en prenant une précaution de style, vous sous-entendez, in fine, que feu Bachir Boumaza n’est, rien d’autre, qu’un usurpateur et un imposteur. Vous vous trompez lourdement et gratuitement. L’appellation de «collaborateur» au lieu, par exemple, de «compagnon» à l’endroit du regretté Mohamed Boudia peut, je vous l’accorde, «froisser » un certain sens de la sémantique «militante». Mais, vraiment, il n’y a pas de quoi être «outré». Tout d’abord, vous avouez ne pas connaître Bachir Boumaza ni, d’ailleurs, Mohamed Boudia. Vous n’avez pas non plus vécu «l’aventure» du RUR. «Bingo !», comme vous dites, vous avez rencontré d’anciens du RUR. «Ils sont outrés». Bachir Boumaza serait encore de ce monde, je me serais sûrement abstenu de vous écrire si vous aviez produit «une telle réflexion». Il se trouve que j’ai très bien connu les deux illustres personnages, notamment en détention. Autant qu’il m’en souvienne, ils se sont toujours bien entendus et étaient très unis, dans une sorte de grande complicité, au sens noble du terme. Compte-tenu de son âge, de sa culture, de son expérience et surtout de son intelligence (ne vous en déplaise), Bachir Boumaza avait toute l’étoffe et l’envergure du dirigeant, du meneur d’hommes. Il n’avait pas besoin, l’auteur de La gangrène (l’avez-vous lu ?), l’ancien taulard (arrêté de novembre 1954 à février 1957, puis de 1958 à 1962), l’ancien militant du PPA-MTLD, l’ancien responsable, en autres fonctions, du Collectif des avocats au sein de la Fédération de France du FLN et surtout le militant engagé de la cause palestinienne, de «fanfaronner» ou de «se donner des airs». Un peu de pudeur !!! Quant au RUR, il a été créé après son départ en exil et son retrait avec un groupe d’amis de l’OCRA fondé par le regretté Mohamed Lebjaoui. Les éléments fondateurs du RUR ne sont plus, hélas, pour la plupart de ce monde (Bachir Boumaza, Mohamed Boudia, Mohamed Ben Mansour, Abdelaziz Belazoug). Saâd Absi, le second président de l’Amicale des Algériens en Europe, (poste qu’il a abandonné après le 19 juin 1965), puisse-til vivre encore longtemps, aurait pu éclairer votre lanterne, car ayant été l’un d’entre eux. Il connaît le problème mieux que quiconque, certainement beaucoup plus que «les anciens du RUR» que vous avez rencontrés. J’ai ressenti, à la lecture de votre chronique, un soupçon de méchanceté, apparemment gratuite, à moins que… La déontologie, l’honnêteté intellectuelle, l’honnêteté tout court, exigeraient, de mon point de vue, un correctif. C’est également un problème de conscience. A mes yeux, vous vous en sortirez grandi. «Si les lions avaient leurs historiens, l’histoire ne ferait pas les éloges des chasseurs. »
Avec mes respects
A. M.
Ancien moudjahid et ancien détenu.

PS : Je suis l’un des derniers à avoir vu Mohamed Boudia, moins d’une semaine avant son assassinat par le Mossad.
C’était à Paris au restaurant La Blancherie, rue de la Huchette, où nous avons déjeuné.

Réponse d’Arezki Metref

Je ne peux que vous remercier. Ma chronique s’intitule «Ici mieux que là-bas», mais il est dans l’ordre des choses que là-bas puisse être en face. Après tout, c’est juste une question de topographie. Le but est en effet d’attirer l’œil du lecteur. Je me réjouis que ce soit le cas avec vous. Vous me dites que mon accroche est tendancieuse. Je ne vois pas en quoi elle le serait. Tendancieuse se dit de quelque chose qui a tendance à… Mon propos est clair. C’est une appréciation critique de la déclaration de Boumaza à propos de Boudia. Elle est limpide et ne prête le flanc à aucune interprétation. L’aspect tendancieux que pourraient sous-tendre vos propos ne relèvent que de la responsabilité de celui qui le projette. Si les précautions que je prends, et c’est bien le minimum que je dois aux lecteurs, comportent une part d’ordre stylistique, l’essentiel réside dans le fond, qui, bien à l’évidence, prime. Je n’ai jamais dit que Boumaza n’était qu’un usurpateur et un imposteur. Je dis simplement qu’il a fait une déclaration fanfaronne et je vous le prouverai plus loin. Il est étonnant que votre subconscient vous fasse mettre des mots aussi graves en substitution du mot fanfaron. Il y a assurément un problème, M. Aouli. Si j’avais voulu dire que Boumaza était un imposteur, je l’aurais dit et assumé. Je connais bien le sens du mot. Si je ne l’ai pas utilisé, c’est qu’il n’était pas approprié. Il est étrange aussi que vous produisiez une défense aussi lourde de Bachir Boumaza, ce que je peux comprendre au nom du compagnonnage, pour m’accorder crédit sur le seul point réellement litigieux, l’usage fanfaron de l’expression «mon collaborateur », comme un ministre dirait mon adjoint, prononcé par lui en parlant de Boudia. Je n’ai pas besoin d’être un fondateur du RUR ou d’avoir vécu «la grande aventure », pour que le téléspectateur que je suis soit outré par une image passant à la télé, et livrée, de ce fait, au domaine public. Il se trouve que le téléspectateur que je suis, un peu curieux d’histoire par ailleurs, a été heurté par le fait que Boumaza, — dont je ne conteste le parcours nationaliste pas plus que je ne conteste celui de milliers de personnes de sa génération qui ont croupi dans les geôles coloniales, puis dans celles de Boumediene, et dont certaines sont mortes dans la misère et l’oubli—, assis sans doute dans son bureau du président du Sénat octroyé par l’ex-dauphin malheureux de Boumediene, parle ainsi de Mohamed Boudia, mort jeune assassiné par le Mossad. Nul doute que, comme vous, je n’aurais pas produit cette «réflexion» si Boudia avait été vivant. Je pense que si cela avait été le cas, lui-même se serait abstenu de la faire. Je conçois que vous soyez choqué par mes propos sur Boumaza. Mais l’amitié et le compagnonnage dans la lutte avec Boudia, que vous revendiquez par ailleurs, auraient dû vous conduire à défendre pareillement sa mémoire écorchée par les propos de Boumaza dans le film sur Vergès, faisant de lui «son» collaborateur. Et là je vous paraphrase : Si les lions étaient encore là pour parler, les chasseurs ne paraderaient pas comme ça ! Les réactions ne se commandent pas. Je n’ai rien contre Bachir Boumaza mais je vous avoue que dans mon panthéon personnel, seul endroit où je puisse ranger mes idoles et admirations sans rendre de compte à la police de l’histoire, il ne trônerait pas. Là, personne n’y peut rien. C’est comme ça ! Autant j’admire des gens comme Boudiaf, Boudia, Aït Ahmed, Amirouche, Sadek Hadjerès, Kateb Yacine parce qu’ils se sont battus toute leur vie pour leurs idéaux sans avoir été tentés par le pouvoir, autant je suis suspicieux à l’égard des militants qui utilisent leur passé révolutionnaire comme tremplin pour décrocher leur part de pouvoir. Le parcours de Bachir Boumaza, qui est du domaine public, n’est pas linéaire dans la pureté révolutionnaire. On a beau avoir une admiration pour lui, on ne peut rendre complètement cohérents ses revirements, notamment lorsqu’il lâcha Ben Bella pour rejoindre les putschistes du 19 juin avant d’entrer en conflit avec eux. Je ne m’arroge pas le droit de juger qui que ce soit, la politique n’étant pas une virée bucolique où les choses se dessinent dans la netteté des traits, mais ce type de parcours n’est pas pour moi un modèle en la matière. J’ai d’autres admirations, voilà tout. Les historiens restitueront à chacun leurs actions respectives. Si Bachir Boumaza a accompli son devoir de militant et de responsable, c’est, j’imagine, en son âme et conscience et pour être en accord avec ses propres engagements. Il serait tendancieux de lui prêter l’intention de vouloir enlever à tout téléspectateur la légitimité de réagir à ses propos quand ceux-là sortent des rails ainsi que vous le relevez vous-mêmes. A ce propos, la déclaration de Boumaza n’est pas qu’une entorse à la «sémantique militante». C’est une faute de goût. J’ai été outré et je crois ne pas être le seul. A ce que m’ont dit les militants du RUR que j’ai rencontrés, la déclaration de Boumaza a plus qu’outré mais indigné bien des gens dans leur entourage. Même dans l’hypothèse où Boumaza aurait dit la vérité en qualifiant Boudia de «son» «collaborateur», il aurait été plus élégant de sa part de ne pas l’exprimer ainsi, s’agissant d’un homme assassiné à la fleur de l’âge dont l’engagement révolutionnaire total sans concessions, entier, est connu de tous. Je n’ai pas vécu la «grande aventure du RUR», ni celle du PRS, ni la geste d’El- Mokrani, ni la révolte des marins du Potemkine. Et pourtant, rien ni personne ne m’interdit d’avoir une idée sur la chose, d’exprimer une réaction, un sentiment, un point de vue. Si je devais avoir déjeuné avec Jugurtha dans une pizzeria romaine pour parler de lui, notre mémoire serait une grande page blanche emplie seulement des bruits de l’autoglorification que poussent ceux qui parlent seuls. Je reconnais bien cette tournure d’esprit qui condamne une critique sous prétexte que les personnes critiquées n’ont pas été consultées, manquement gravissime à la déontologie, mais qui, à l’inverse, trouverait normal qu’on couvre de louanges des personnages que l’on ne connaît pas et que l’on n’a pas consultés. J’aurais écrit : «Bachir Boumaza avait raison de dire que Boudia était son collaborateur», je n’aurais évidemment pas été en infraction par rapport à la déontologie. La déontologie dont vous parlez monsieur Aouli ne relève pas d’une éthique de la vérité, elle révèle juste un assujettissement. Je ne doute pas que Bachir Boumaza ait été très intelligent et je trouve curieux que vous adjoigniez la formule : ne vous en déplaise ! Pourquoi me déplairait-il que Bachir Boumaza soit intelligent? Vous seul êtes à même de me le dire. Je répète que je ne le connais pas mais, de ce point de vue, ceux qui l’ont côtoyé parlent d’un homme non seulement intelligent mais aussi cultivé, passionné d’histoire et de littérature. Comment ne pas apprécier qu’un dirigeant nationaliste comme lui soit l’auteur d’un ouvrage sur la révolution iranienne et d’un autre sur Victor Hugo ? Le seul énoncé des titres de ses livres montre l’étendue de sa curiosité intellectuelle. Je n’ai pas lu La gangrène, mais ce n’est pas la seule de mes lacunes. Je ne doute pas non plus de ses qualités de meneur d’hommes, ni de la sincérité et de l’efficacité du militant pour la cause palestinienne qu’il fut. Tout cela, je vous le concède. Le seul ennui, c’est qu’ici, c’est hors sujet. Il en est de même concernant l’histoire du RUR que se feront un devoir d’écrire un jour des historiens qui iront voir, je l’espère, Saâd Absi, que Dieu lui prête vie. Les historiens recueilleront aussi, s’ils font correctement leur travail, le témoignage des militants de base du RUR comme ceux qui m’ont fait part de leur réaction. Il est vrai que ce ne sont que des militants de base, de ceux qu’on tient pour quantité négligeable dans la culture du zaïmisme et des sommets, que le nationalisme subverti d’après l’indépendance a instauré comme principe. Ne nous égarons pas. Replaçons les choses à leur juste place. Mes propos, plus modestement, sont un commentaire sur le ton de la satire d’une déclaration de Boumaza dans un film. Je vous avais promis de vous démontrer en quoi ce propos est fanfaron. D’abord, que signifie fanfaronner ? Cela signifie tout simplement se prévaloir de quelque chose pour se valoriser. Une analyse sémiologique de l’image et des propos de Boumaza dans le film sur Vergès fait apparaître cette évidence. L’image, d’abord. Dans un salon luxueux, chamarré, vêtu d’un costume- cravate de responsable politique, un peu comme un dirigeant qui a mené la révolution jusqu’au garage, il évoque avec certitude et d’un ton péremptoire son rôle important dans les relations qu’il a eues avec les protagonistes de l’histoire. Vergès ? C’est tout juste s’il n’était pas sous ses ordres. Boudia ? C’était son collaborateur… Tout dans son attitude et ses propos l’installait au centre de cette histoire-là. Encore une fois, la grandeur réside toujours dans l’humilité. Un grand chef ne s’auto- désigne pas, ce sont les autres qui s’en chargent. Un grand chef, c’est celui que les autres reconnaissent comme tel. Il n’a pas besoin de le marteler lui-même. Et je reste encore mesuré dans la formulation de la lecture sémiologique de l’image. Si je vous ai répondu aussi longuement, ce n’est pas seulement pour m’expliquer ni pour défendre la mémoire de Boudia de façon complètement illégitime, puisque ce n’est pas à moi de le faire. Les anciens militants du RUR pourraient s’en charger. Si je vous réponds aussi longuement donc, c’est parce que vous me donnez l’occasion d’aborder incidemment le sujet capital de la liberté de pensée, d’écrire, d’avoir une opinion, de débattre. Nulle part au monde et à aucun moment dans l’histoire de l’humanité, les acteurs ne se sont arrogé le droit d’être les seuls à écrire cette histoire et d’être consultés chaque fois que quelqu’un exprime un avis sur un film, une émission radio ou télé, un livre, un personnage, etc. Il faut que vous compreniez, M. Aouli, que vous et d’autres acteurs n’êtes pas propriétaires de l’histoire, pas même de votre propre participation. Vous vous échinez à traquer l’ennemi qui s’insinue dans un article de presse parce qu’il n’exprime pas ce que vous auriez voulu lire, alors que cet ennemi est peut-être, songez- y, en chacun de nous. Naturellement, c’est avec respect que j’ai lu votre mise au point. Et c’est avec le même respect que je crois devoir vous répondre.
A. M.

Source de cet article :
http://www.lesoirdalgerie.com/articles/2010/11/01/article.php?sid=108120&cid=41

À propos de Artisan de l'ombre

Natif de Sougueur ex Trézel ,du département de Tiaret Algérie Il a suivi ses études dans la même ville et devint instit par contrainte .C’est en voyant des candides dans des classes trop exiguës que sa vocation est née en se vouant pleinement à cette noble fonction corps et âme . Très reconnaissant à ceux qui ont contribué à son épanouissement et qui ne cessera jamais de remémorer :ses parents ,Chikhaoui Fatima Zohra Belasgaa Lakhdar,Benmokhtar Aomar ,Ait Said Yahia ,Ait Mouloud Mouloud ,Ait Rached Larbi ,Mokhtari Aoued Bouasba Djilali … Créa blog sur blog afin de s’échapper à un monde qui désormais ne lui appartient pas où il ne se retrouve guère . Il retrouva vite sa passion dans son monde en miniature apportant tout son savoir pour en faire profiter ses prochains. Tenace ,il continuera à honorer ses amis ,sa ville et toutes les personnes qui ont agi positivement sur lui

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