Edition du Lundi 11 Avril 2005
La nouvelle de Adila Katia
Deux décennies de trop
Djamila dort si profondément qu’elle n’entend pas le réveil sonner plusieurs fois. C’est son mari qui doit arrêter l’alarme.
Omar doit attendre un peu avant de tenter de la tirer de son sommeil, en lui pinçant le bout du nez.
- Non, laisse-moi, marmonne-t-elle.
- Djimi, lui dit-il, il est six heures.
- Le réveil a-t-il sonné ? demande-t-elle en ouvrant un œil.
- Si. Mais tu n’as rien entendu.
- Comment ça, que je n’ai rien entendu ? Tu veux insinuer que je deviens sourde ? soupire-t-elle.
- Pourquoi le prends-tu mal ? Je sais que la nuit a été longue et que tu es si fatiguée, dit Omar. Nadia a eu du mal à s’endormir.
- Oui. Elle avait peur de rester dans le noir et, même quand j’étais avec elle, elle avait peur.
Je crois que quelqu’un l’a effrayée dehors. Il n’y a pas d’autre explication.
- Les garçons te l’auraient dit, la rassure Omar.
- Salim et Karim passent leur temps à jouer au ballon ou à traîner dans les rues, réplique Djamila. Ils ne vont pas la chercher à l’école. Tu pourrais leur toucher deux mots sur ce sujet.
- Oui, ce soir, lui promet-il en se levant. Je dois partir plus tôt que d’habitude.
Djamila le précède à la salle de bains et fait sa toilette rapidement. Omar, pendant ce temps, prépare du café. Djamila le rejoint à la cuisine.
- Va, profite de l’eau courante, lui dit-elle. Je termine de préparer le petit-déjeuner.
Omar ne se fait pas prier. Dix minutes plus tard, il revient, tout frais, rasé de près. Il en a aussi profité pour s’habiller. Il est prêt à partir aussitôt une tasse de café et un morceau de biscuit avalés.
- Bonne journée, lui dit-il. Embrasse les enfants pour moi.
- Je n’y manquerai pas. Ils ont hâte d’être vendredi pour t’avoir durant toute la journée, lui confie-t-elle. Tu m’appelles dès que tu arrives à Sétif ?
- Promis. Bon courage.
- Ne roule pas trop vite, lui conseille-t-elle la voix pleine d’amour. Omar le lui promet même s’il sait qu’il ne la tiendra pas sa promesse. Il est taxieur de profession et, parfois, il était contraint d’appuyer sur l’accélérateur. Son portefeuille gonfle quand il fait plusieurs navettes entre Sétif et Constantine. Le temps c’est de l’argent. Et ils en ont besoin.
Ayant acheté une petite maison, même Djamila s’était remise au travail. Avant la naissance de leurs trois enfants, elle était infirmière à l’hôpital.
Elle avait arrêté le temps que leur cadette entre en classe et, maintenant, elle avait repris dans un cabinet privé.
Durant toute la journée, elle ne pouvait pas quitter le cabinet. La courte pause de midi ne lui permet pas de rentrer à la maison. Elle était contrainte à leur préparer des sandwichs qu’ils emportaient dans leurs cartables. En attendant la reprise des cours, ils restaient dehors.
Pendant tout ce temps, elle avait peur pour eux. S’il n’y avait pas eu cette dette à rembourser, elle serait restée pour s’assurer qu’ils sont bien et qu’il ne peut rien leur arriver de mal.
Si Salim était quelqu’un d’attentionné, elle lui aurait confié les clefs de la maison. Il a beau avoir treize ans, elle ne peut pas compter sur lui pour garder les fenêtres fermées. La peur que l’un d’eux touche au gaz ou qu’il puisse arriver un accident domestique la force à les laisser dehors.
Mais l’angoisse ne la quitte jamais. Car même en les laissant dehors, elle n’était pas rassurée. L’angoisse ne se dissipait qu’après son retour à la maison, qu’après avoir vérifié qu’ils allaient bien. La nuit, elle avait droit au répit. Mais chaque matin, l’angoisse revenait…
(À suivre)
A. K.
ADILAKATIA@YAHOO.FR
29 octobre 2010
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