La solidarité est une mode, l’intolérance est une constante. Alorsque l’on a cru, un moment, que ces vagues de chasse aux casse-croûtes suspendues, sur le geste d’un Etat qui a pris conscience qu’il s’affiche au monde sous les formes d’une bande dessinée talibane, un
jeune Algérien de 27 ans vient d’être condamné à 02 ans de prison ferme pour avoir « mangé » le ramadhan sous prétexte d’« atteinte aux préceptes de l’Islam », dans un chantier perdu. Le bonhomme a été arrêté sur dénonciation, comme au bon vieux temps des moyen-âge et inquisitions, par des gens qui ne diront rien quand on casse une vitre d’école, on détruit un arbre, on détourne un milliard ou on jette une poubelle du haut du 3ème étage d’un immeuble. Le verdict intervient après le refroidissement des ardeurs citoyennes et des mobilisations pour la tolérance qu’on a connue durant la dernière saison. Et là, on aura compris qu’il s’agit de deux drames. D’abord, celui de ce pays, dont on veut réduire le développement à la construction de la plus grande mosquée d’Afrique avec un budget valable pour sept ans de pommes de terre pour un pays pauvre, et dont on veut encore enfoncer la tête dans le ridicule meurtrier et le bigotisme immobilisateur pour mieux le posséder comme une vache sacrée.
L’autre drame est celui de cet Algérien condamné : il n’habite pas Aïn El Hammam et donc Tizi ouzou, ni Alger. Là où il a été retrouvé et ligoté comme un criminel coupable d’avoir assassiné une tomate dans un morceau de pain, il n’y a pas le RCD, le FFS, le MAK, la société civile, la possibilité de la mobilisation et des centaines de gens capables de faire la différence entre l’âge et le moyen-âge. Oum Bouaghi est, comme beaucoup d’autres régions du pays, un endroit domestiqué et où l’expression de la société civile est réduite à des commentaires silencieux. Il y existe comme partout dans le pays des consciences vives, des gens éveillés et des hommes de bonne volonté, mais sans cette tradition de la mobilisation pour des causes de dignité pour tous. Et cette cartographie, le régime l’a bien comprise : on répétera certes que le tribunal de Aïn Hammam qui a relaxé deux «dé-jeuneurs» à Tizi ouzou n’est pas obligé de faire comme le tribunal de Oum El Bouaghi mais cela n’empêche pas de conclure qu’il s’agit aussi d’un rapport « politique, c’est-à-dire d’un rapport de force et de mobilisation. Le jeune homme de Oum Bouaghi est seul aujourd’hui, dans un pays étranger où l’on mange les différences. Il a mangé un pain et des gens l’ont mangé. Et quand on fait deux ans de prison pour avoir « mangé » le ramadhan dans un pays que l’on éduque à attendre l’au-delà pour ne pas se mêler des richesses d’ici bas et de leurs répartitions, il faut se souvenir de l’avenir de l’inculpé : il n’aura pas de travail, pas d’épouse, pas de vie, pas d’avenir et pas le droit de serrer les mains. Ça sera un Algérien cassé à la hauteur des chevilles et qui n’aura jamais le droit de se relever. Il sera lapidé à vie et avec toutes les pierres de cette terre nationale. C’est une honte et on aura beau chercher un autre mot, il n’en existe pas : c’est une honte nationale.
23 octobre 2010
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