Edition du Samedi 04 Juin 2005
Culture
La nouvelle littérature algérienne se distingue par sa pertinence et son irrévérence envers les codes de l’écriture romanesque traditionnelle. El-Mahdi Acherchour le prouve avec son premier roman Lui, le livre paru aux éditions Barzakh.
Poète jusqu’au bout de la plume, cette œuvre est un recueil de légendes bien de chez nous, nourries à la tradition orale et une anthologie de contes philosophiques puisés dans la culture universelle. Le personnage de Rassoul, récurent dans tous les chapitres, n’est-il pas une survivance post-mortem de Gibran Khalil Gibran et son œuvre majeure le Prophète. C’est vrai que ce dernier continue encore à fasciner des générations de lecteurs et d’écrivains. Les mots de Acherchour prennent des formes humaines diverses dans ce roman, allant du mythomane au corrompu en passant par le tortionnaire, le jouisseur ou le philanthrope.
Des personnages qui peuplent nos hautes montagnes et habitent les villages de la désolation et de l’oubli. Des tragédies humaines sont dites dans le livre avec la férocité et la vigueur des phrases répétitives qui traversent certains passages. Les histoires qui s’enchaînent les unes aux autres semblent presque réelles mais sous la plume de Acherchour, elles basculent dans la dimension allégorique. Un récit complètement éclaté en bout de rêves éveillés qui se transforment par moment en fragments de cauchemars ataviques. Un monde onirique prend forme au fil des pages. Un monde de l’inachevé, un monde du non-aboutissement, tout semble en gestation dans ce roman. En un mot, la grande œuvre humaine reste à construire. L’auteur semble obnubilé par “le non-accomplissement” en toutes choses. C’est peut-être ce qui distingue les perfectionnistes, en tout, des personnes ordinaires. Les neuf villages qui forment l’autre livre, c’est-à-dire la deuxième partie du roman, sont bâtis sur des espaces d’hallucinations. On a l’impression de retrouver dans les cafés et sur les cahiers qui circulent pour immortaliser les séquences de vie et les trajectoires des protagonistes, les Paradis artificiels de Baudelaire. L’écrivain cède ainsi sa plume au poète. Vers la fin du deuxième livre, Acherchour fait cet aveu terrible à ses lecteurs : il écrit pour échapper à la damnation éternelle. L’écriture retrouve ici comme pour la plupart des nouveaux auteurs de la littérature algérienne une fonction vitale, portée tout au long du roman par la femme générique Zelgoum.
Une femme atemporelle, une femme multiple, une femme dont tous les hommes veulent posséder l’âme et le corps. Le roman d’El-Mahdi Acherchour possède une grande force narrative. Un récit qui ne s’épuise jamais, servi par un texte qui possède des ressorts inouïs. Cette force, le roman la tire de l’abandon “du diktat du je”, ici, comme le dit si bien le critique allemand W. Kayser, “le narrateur perd sa souveraineté” au profit d’une flopée de personnages. Lui, le livre est un fantastique voyage dans nos peurs et nos espoirs, un voyage qu’on aimerait renouveler en ouvrant d’autres livres.
Slimane Aït Sidhoum
Lui, le livre d’El-Mahdi Acherchour, éditions Barzakh – mai 2005, prix 350 DA.
20 octobre 2010
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