Les néoclassiques reviennent à la charge par là où on les attendait le moins : la porte prestigieuse du prix Nobel d’économie(*). Trois de leurs théoriciens du chômage viennent d’accéder au Panthéon de la science économique.
Outre une victoire symbolique inattendue, le courant néoclassique vient s’enrichir d’une nouvelle théorie baptisée DMP (pour Diamond, Mortensen, Pissaridès).Pour le Comité Nobel, «les chercheurs se sont affairés à déterminer notamment ce qui fait en sorte que dans une économie, il est possible de retrouver un nombre important de chômeurs alors qu’existent de nombreuses offres d’emploi». Ceci donnant lieu à une «révélation» : «Plus les allocations chômage sont généreuses, plus le taux de chômage est élevé et plus la durée de recherche est longue», explique le Comité Nobel. «Pourquoi y a-t-il autant de gens sans travail alors qu’au même moment, il y a de nombreuses offres d’emploi ? Comment la politique économique influence-t-elle le chômage ? Les lauréats de cette année ont développé une théorie qui peut être utilisée pour répondre à ces questions», souligne-t-il. C’est en partie pour la première découverte et leur analyse des frictions entravant la rencontre entre l’offre et la demande sur le marché du travail que le trio Peter Diamond-Mortensen-Pissaridès (les deux premiers sont américains, le troisième britannico-chypriote) a été récompensé. Leurs travaux visent à expliquer comment un taux de chômage élevé peut parfois subsister en dépit d’offres d’emploi nombreuses. Portraits. Nul n’est prophète en son pays : à soixante-dix ans, Peter Diamond, qui est considéré comme un «mentor » de l’actuel président de la Réserve fédérale, Ben Bernanke, avait été proposé par Barack Obama comme membre du conseil de la Réserve fédérale en avril dernier, mais a été récusé par le sénateur républicain Richard Shelby au motif de son «expertise insuffisante » en matière de politique monétaire. A la suite de l’annonce des lauréats, Barack Obama revient à la charge en déclarant qu’il espérait que la nomination de Peter Diamond au conseil de la Fed serait désormais confirmée par le Sénat «le plus vite possible». Ceci pour l’anecdote politique. Plus sérieusement, Peter Diamond, professeur au célèbre MIT (Institut de technologie du Massachusetts), près de Boston, est connu pour avoir analysé dès 1971 «les bases de fonctionnement de tels marchés» rigides pour, entre autres, montrer que les vendeurs ajustent leurs prix en prenant en compte les difficultés des acheteurs dans leurs recherches. Il est, par ailleurs, réputé pour ses travaux sur la sécurité sociale et sur la «courbe de Beveridge», entendue comme outil d’analyse du chômage, avec l’actuel chef économiste du FMI, Olivier Blanchard. Dale Mortensen, soixante et onze ans, est lui aussi américain. Il est professeur à la Northwestern University dans l’Illinois, spécialiste des politiques d’emploi. Christopher Pissaridès, soixante- deux ans, de la London School of Economics, est connu, quant à lui, pour ses travaux sur la croissance et l’emploi. Chypriote de naissance, il a également la nationalité britannique depuis 1974. Venons-en à l’essentiel : en quoi le trio a-t-il révolutionné l’analyse du marché du travail ? Selon la théorie classique, le prix est le facteur d’ajustement entre l’offre et la demande, qui sont censées se rencontrer instantanément et sans aucune difficulté, dans l’éventualité, bien théorique, d’une concurrence pure et parfaite. Selon le modèle développé par les lauréats, «cela n’arrive pas dans la vraie vie» et la rencontre entre l’offre et la demande peut se révéler parfois longue et coûteuse. L’idée nouvelle, contraire à l’analyse néoclassique habituelle, est qu’un écart entre l’offre et la demande sur certains marchés n’engendre pas, le plus souvent, un mouvement de prix correctif. Mortensen et Pissaridès constatent qu’il existe presque toujours, pour une qualification donnée, à la fois des travailleurs au chômage et des postes qui sont vacants. Dans ces conditions, un mouvement de prix serait inopérant, puisque la demande et l’offre sont globalement proches. Comment alors expliquer la double vacance, d’emploi et de travail ? Par un problème d’appariement – au sens de couplage, de rencontre —, répondentils. Le travailleur au chômage a des exigences initiales, en termes de niveau de salaire, de qualification, de conditions ou de lieu de travail. Il se peut très bien que les emplois correspondant à sa qualification ne lui conviennent pas, pour l’une ou l’autre de ces exigences. Il va donc continuer à chercher, en espérant trouver mieux. Mais au bout d’un certain temps, il réduira certaines de ses prétentions, surtout si l’indemnisation de son chômage diminue ou disparaît. Il en est de même pour l’employeur dont le poste reste vacant : il aura alors tendance à accroître ou à améliorer les conditions de son offre. Les modèles d’appariements développés en 1994 par le trio d’économistes visent à répondre à la question : faut-il réduire les coûts de licenciement pour fluidifier le marché de l’emploi ou les augmenter pour réduire le chômage ? Loin de fluidifier le marché, les économistes estiment que les interventions extérieures peuvent parfois le gripper. Nous arrivons à l’essentiel. L’appariement entre offre et demande prend d’autant plus de temps que le chômage est indemnisé. Mortensen et Pissaridès estiment que la qualité de l’appariement est un investissement, tant pour l’employeur que pour le salarié, et qu’il n’est donc pas souhaitable de trop le réduire. La volonté d’améliorer l’appariement expliquerait, à leurs yeux, largement la grande quantité de mouvements sur le marché du travail et ces mouvements seraient facteurs de gains de productivité, chaque moitié de toute chose cherchant celle qui lui correspond jusqu’à la trouver. Dans ces conditions, les impératifs de souplesse commandent de ne pas protéger le contrat de travail : cela serait contre-productif. La thérapie est connue et appliquée depuis plusieurs années en Grande-Bretagne : - primo, la carotte : les chômeurs touchent une indemnité peu élevée (une cinquantaine de livres, soit environ 80 euros, par semaine) ; ils sont suivis de près, avec contrat à l’appui ; à chaque rendez-vous, ils doivent apporter des preuves de leurs recherches ;
- secundo, le bâton : toute une gamme de sanctions échelonnée, du refus de formation au mauvais comportement.
Ce qui se traduit dans les faits par des situations épouvantables «Dans un quartier où le taux de chômage dépasse les 40 %, nombreux sont ceux qui tombent dans le piège de l’alcool, de la drogue et de la désocialisation (…) Les chiffres du chômage ne tiennent pas compte de ces ‘’inaptes’’ au travail, trop brisés par la vie, ou bien simplement handicapés ou mères de familles trop nombreuses. » Au-delà des mérites intrinsèques aux travaux récompensés, la critique n’y est pas allée de main morte. Elle rappelle, pour reprendre le Monde Diplomatique, que les deux tiers des prix de la Banque de Suède ont été remis aux économistes américains de l’école de Chicago, dont les modèles mathématiques servent à spéculer sur les marchés d’actions, à l’opposé des intentions d’Alfred Nobel, qui entendait améliorer la condition humaine. Pour Yannick L’Horty, professeur d’économie à Paris-Est et chercheur associé au Centre d’études de l’emploi, les études récompensées «ont montré que les intermédiaires, tels que les agences pour l’emploi, jouent un rôle majeur sur le marché du travail (…) De même, concernant les allocations chômage, Diamond, Mortensen et Pissarides expliquent qu’elles jouent un rôle important mais ambigu : si elles sont trop généreuses, l’intensité de la recherche sera moindre, tandis que la qualité de l’emploi trouvé sera supérieure». «En clair, pour combattre le chômage, il suffit de contraindre tous ceux qui ont perdu leur emploi à prendre n’importe quel job, y compris les plus précaires et surtout réduire à leur plus simple expression la durée et les conditions conditions d’indemnisation», commente Marianne.
A. B.
(*) Officiellement dénommé «Prix de la Banque de Suède en sciences économiques en mémoire d’Alfred Nobel», le Nobel d’économie, le seul non prévu dans le testament du philanthrope suédois (il n’évoque que ceux de chimie, physique, médecine, littérature et paix), est décerné depuis 1969. Financé par la Banque centrale suédoise, il fonctionne néanmoins comme les autres prix avec un comité et une dotation de 10 millions de couronnes (1,1 million d’euros) pour le ou les lauréats. Ce qui signifie qu’il serait plus juste de parler de «Prix de la Banque de Suède» que de Nobel d’économie. En 2001, Peter Nobel, descendant d’Alfred, a déclaré au nom de sa famille qu’il fallait dissocier clairement le prix d’économie et les prix créés par son ancêtre. Il revient à l’assaut en décembre 2004, en déclarant lors d’une entrevue recueillie par Hazel Henderson : «Jamais, dans la correspondance d’Alfred Nobel, on ne trouve la moindre mention concernant un prix en économie. La Banque royale de Suède a déposé son œuf dans le nid d’un autre oiseau, très respectable, et enfreint ainsi la « marque déposée » Nobel.»
ambelhimer@hotmail.com
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http://www.lesoirdalgerie.com/articles/2010/10/19/article.php?sid=107554&cid=8
17 juin 2011 à 4 04 36 06366
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17 juin 2011 à 7 07 34 06346
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