Il est des attitudes, des réactions, plus exaspérantes que celles d’Ahmadinedjad, plus honteuses que celles de la Ligue arabe, plus révoltantes encore que le comportement des Israéliens en Palestine. Il y a des mots qui tuent plus sûrement
que les bombes des kamikazes et les lames des égorgeurs. Et si ces mots ne vous tuent pas, ils vous submergent d’amertume et vous livrent à un désespoir irrémédiable parce que marqué du sceau de l’impuissance.
Le nouveau mot destiné à vous tuer, sans l’espoir le plus infime de vous rendre plus fort, nous vient de Washington : c’est le mot déception. «Disappointment, in english», qui signifie dans leur dictionnaire, l’insatisfaction consécutive à un espoir déçu. Voici qu’après les «dégâts collatéraux» de Bush, l’Amérique d’Obama nous offre la «déception», ou comment faire savoir aux Israéliens que tout leur est encore possible. «Déception» est le nouveau «mot-qui-tue», un message qui ne fait pas mystère et qui se déchiffre sans décodeur. Tout comme Mohamed Gharbi a percé, à son détriment, le secret du «qui-tue-qui ?», les Palestiniens savent maintenant à qui est destinée la sauce Obama. Oui, Messieurs, les dirigeants de la première puissance mondiale sont «déçus». Je dirais même «seulement déçus», parce que l’adverbe est là, tenace, incrusté dans le jargon de la politique américaine, vis-à-vis d’Israël. Mahmoud Abbas, dont le destin est plus que jamais lié aux pourparlers de paix, menace-t-il de geler les négociations directes, pour cause de reprise de la colonisation ? Il est immédiatement tancé par ses partenaires américains qui, en revanche, demandent gentiment aux Israéliens de prolonger le «gel» de la colonisation. Ne gèle pas qui veut, et quand il le veut, dans cette partie du monde, où les ennemis supposés d’Israël sont en même temps les vassaux de Washington. Il est facile dès lors de prévoir la suite des événements. Israël a sans doute subi des pressions américaines pour suspendre la colonisation en Cisjordanie, mais le genre de pression qu’on exerce sur le bras d’un ami pour lui dire : «Je suis avec toi, mais n’y va pas trop fort !» Sûr de son allié, comme de lui-même, l’État sioniste pousse encore un pion : il reprend la construction de logements à Jérusalem-Est. C’est pourquoi les Américains sont «déçus», comme le serait un amant négligé ou un soupirant éconduit. Ce qui est sûr, c’est que les Américains affectionnent et collectionnent les «déceptions israéliennes» avec la même ferveur qu’ils mettent dans l’accumulation du capital. Quant au «Goliath»(1) arabe, ou les gouvernements qui en tiennent lieu, il espère, sans trop y croire, un éventuel fléchissement du soutien américain à l’État hébreu. Pauvre «Goliath» qui oublie que la fronde de «David» est made in USA, et que le seul différend éventuel porterait sur le nombre et la qualité des projectiles utilisés ! Infortunés Palestiniens, pris entre l’enclume du Fatah et le marteau du Hamas, qui pensent encore que la mythique «Nation» arabe repeinte en vert leur rendra une terre qu’ils n’ont jamais réellement possédée. Avec Obama, nous sommes désormais dans l’alternative du pire. Nous voilà réduits à évoquer Bush Jr avec nostalgie et à décréter, à l’instar de Slim, qu’avant, c’était mieux ! Encore une fois, les convertisseurs arabes ont été trop vite en collant à Obama le doux prénom de «Hussein». Hâtivement ré-islamisé, très rapidement porté aux nues, le président américain fait descendre de haut ceux qui ont étourdiment cru en lui et en ses promesses. Quant à l’étendue de la «déception» arabe, il faut aller la chercher dans le quotidien saoudien Al-Shark Alawsat, et sous la plume de l’écrivain et chroniqueur égyptien Anis Mansour, tous deux étant peu suspects d’anti-américanisme primaire. Le tableau noir des œuvres américaines, dépeint Anis Mansour, «c’est un Irak démembré, où les gens évoquent avec nostalgie la période de Saddam Hussein. C’est un Liban tellement faible(2) que les Américains et les Israéliens ne veulent pas se donner la peine de l’affaiblir davantage. Quant à la pauvre Palestine, dans quelques années Ghaza deviendra un État perse, aux frontières de l’Egypte et d’Israël. Auparavant, l’Amérique aura offert l’Irak sur un plateau à l’Iran, qui disposera ainsi d’une façade sur le Golfe et sur la Méditerranée». Anis Mansour énumère encore le Yémen, investi par Al-Qaïda, le Soudan, menacé de partition, la Somalie dépecée de fait, l’Égypte elle-même en butte aux querelles religieuses (musulmans-coptes) et ethniques (l’agitation nubienne)( 2). Pour Anis Mansour, les États- Unis ne s’arrêteront pas là, tant qu’il restera un État arabe susceptible de s’opposer à la puissance israélienne. «De même, ajoute-t-il, il est faux de parler de l’hostilité de Washington à l’égard de l’Iran, et les négociations entre eux ne sont pas terminées. Ce sont les Américains qui encouragent l’Iran à s’emparer de Ghaza, à combattre les sunnites et à établir un empire perse. On a fait l’erreur d’oublier que Barack Obama, qu’il soit musulman ou juif, est avant tout un Américain. Il ne gouverne pas selon sa conscience, mais en application de la politique militariste, colonialiste et expansionniste des États-Unis. Sinon il perdrait aux élections, sinon ils le tueraient, et il ne peut pas résister aux médias et à la Bourse qui sont dominés par le lobby juif. Oui, Obama n’aura pas accompli toute sa tâche tant qu’il n’aura pas mis le problème palestinien entre parenthèses, qu’il n’aura pas satisfait tous les désirs d’Israël, et qu’il n’aura pas réduit les États arabes en cendre», conclut Anis Mansour. Quant au Liban que le président Ahmadinedjad vient de visiter comme une des provinces de Perse, les Arabes semblent d’ores et déjà résignés à sa perte. Malgré les signaux d’alerte lancés par plusieurs intellectuels libanais, les Arabes continuent à considérer le Hezbollah comme un mouvement de libération en lutte contre Israël. Il est de notoriété publique que la visite du président iranien a été imposée à un État libanais de plus en plus déliquescent. Pendant des décennies, les États arabes ont laissé l’Iran asseoir et développer son emprise sur le Liban, sous le regard bienveillant de la Syrie. Aujourd’hui, les dirigeants arabes, plus soucieux de la pérennité de leurs clans et de leurs familles, semblent résignés à perdre aussi le Liban. «Après tout, ce sont des musulmans comme nous !» Voilà leur justificatif majeur. Alors pourquoi pas des États arabes, transformés en émirats dirigés par des dynasties arabes, et sous le drapeau persan. Après tout, ce sont des musulmans comme nous !
A. H.
1) Je saisis cette occasion pour rendre à un compatriote exilé aux États-Unis l’ancêtre lointain qu’il m’a obligeamment prêté, Goliath en l’occurrence. C’est décidément un fardeau trop lourd pour moi, et je préfère encore le «cadeau» de ceux qui me rattachent à David, même si c’est pour me lapider.
2) On notera que l’écrivain égyptien ne cite pas les pays du Maghreb. Estime-t-il que l’Amérique a déjà atteint ses objectifs dans cette région? Le Maghreb est-il à l’abri des querelles religieuses et régionalistes, pour ne pas dire ethniques ? Ou bien Anis Mansour considère-t-il, en bon Egyptien, que le Maghreb arabe n’est pas d’actualité ? A vous de juger !
Source de cet article :
http://www.lesoirdalgerie.com/articles/2010/10/18/article.php?sid=107507&cid=8
18 octobre 2010
Contributions