Edition du Lundi 14 Novembre 2005
Actualité
Les Algériens veulent de plus en plus en finir avec le stress, l’anxiété, la dépression et bien d’autres traumatismes résultant de violences diverses : sévices familiaux, violences terroristes, viols, perte d’un parent, catastrophes naturelles, etc. Mais, combien sont-ils à savoir qu’il est très possible de dépasser la souffrance et de retrouver la sérénité, sans prise de médicaments et sans visite au psychanalyste ? Aujourd’hui, une nouvelle thérapie s’offre à eux, une médecine qui s’appuie sur l’émotionnel et qui interpelle en premier lieu les trésors du corps et de l’esprit.
Liberté : Docteur, vous préconisez la guérison du stress, de l’anxiété et de la dépression sans médicaments ni psychanalyse. Est-ce vraiment possible ?
Dr Servan-Schreiber : Je ne me permettrai pas de parler de guérison s’il n’y avait pas des études scientifiques derrière. Oui, c’est effectivement possible de guérir sans médicaments ni psychanalyse, à partir du moment où l’on utilise les compétences naturelles du corps et du cerveau émotionnel.
Pourriez-vous être plus explicite ?
Dans le livre que j’ai écrit, je parle justement de méthodes différentes qui ont fait l’objet d’études scientifiques, pour montrer leur efficacité. Ces méthodes s’appuient sur le fait que notre cerveau est constitué de deux cerveaux. Un cerveau cognitif responsable des fonctions comme le langage, la confiance, la planification du futur… Ce cerveau cognitif n’est en fait que la surface du cerveau, la nouvelle écorce. À l’intérieur, et c’est très profond, se trouve un autre cerveau, qui est émotionnel et qui est responsable de réactions, comme la peur, la colère, mais aussi l’attraction et l’amour, que nous partageons avec tous les mammifères et, pour certaines régions profondes, avec les reptiles. Ce cerveau-là ne fonctionne pas sur les mêmes principes que le cerveau cognitif. Quand on vit le stress, c’est le cerveau émotionnel qui a des problèmes. Or, on sait aujourd’hui qu’il ne communique pas très bien avec le cerveau du langage et des mots. C’est une des raisons pour laquelle il est si difficile de soigner uniquement par les approches qui passent par le langage et la parole : le cerveau émotionnel est très branché sur le corps, il contrôle les hormones, le rythme cardiaque, la tension artérielle, la fonction du système immunitaire. C’est donc à ce niveau-là qu’on intervient, en empruntant un ensemble de méthodes qui passent par le corps plutôt que par le langage.
Combien de méthodes utilisez-vous exactement ?
Il y en a sept. Une des méthodes consiste à faciliter la relation entre le cœur et le cerveau, elle s’appelle la cohérence cardiaque. Une autre permet de résoudre les traumatismes émotionnels, en stimulant les mouvements des yeux ayant lieu spontanément pendant les rêves : elle s’appelle l’EMDR. La troisième consiste à régler les dérèglements des rythmes biologiques du sommeil et de la veille à travers la simulation de l’apparition de l’aube tous les matins, qui est le signal pour lequel notre organisme est fait pour se réveiller. La quatrième est l’acupuncture. La cinquième est l’exercice physique. La sixième est la nutrition : apprendre à porter au cerveau émotionnel ce dont il a besoin pour son équilibre. La septième méthode est l’importance des relations : on sait aujourd’hui que l’amour par exemple, même si c’est l’amour d’un animal, est un besoin biologique au même titre que la nourriture ou l’oxygène et qu’il a une influence directe sur le fonctionnement du cerveau émotionnel.
Y a-t-il beaucoup de partisans de cette nouvelle thérapie ou y a-t-il encore des réticences dans le milieu médical ?
Il y a naturellement des réticences, comme chaque fois qu’il y a quelque chose de nouveau. C’est normal et je trouve cela très sain. Le milieu médical essaie d’abord de regarder, d’évaluer la qualité des preuves avant de sauter sur quelque chose de nouveau. Et moi, je m’engage à fond dans ce dialogue avec mes confrères médecins, y compris dans la mise en place d’études scientifiques, pour aller encore plus loin dans la démonstration des bienfaits de ces méthodes. Mais, dans l’ensemble, la discussion est très ouverte et intelligente pour faire avancer le traitement. Je voudrais faire remarquer que toutes les méthodes dont je parle, aujourd’hui, sont des approches développées séparément par des confrères. Moi, je n’ai fait que les mettre ensemble, les expliquer, les enseigner.
La problématique de réconciliation avec soi-même occupe une place prédominante dans la guérison du stress et de la dépression. Peut-on savoir pourquoi ?
C’est évident que la première étape dans l’approche du stress ou de la dépression, est la réconciliation du patient avec lui-même. Les sept méthodes passent beaucoup plus par le corps et permettent à chacun de retrouver avant tout une paix avec lui-même. C’est un des préliminaires pour retrouver la paix avec les autres.
On a bien compris qu’il s’agit d’une médecine des émotions. Mais pourquoi est-elle aussi qualifiée de médecine écologique ?
C’est la même démarche… Aujourd’hui, les gens ne veulent plus manger de pesticides ni vivre dans une atmosphère polluée. De la même manière, ils n’acceptent plus de médecine qui leur propose uniquement des médicaments. Ils veulent une médecine qui capitalise sur la capacité naturelle de leur corps à retrouver son équilibre.
Pour le cas algérien, comment faire pour arriver à réconcilier une victime du terrorisme avec elle-même ?
Pour les victimes de traumatisme, comme pour les victimes du terrorisme, la première chose importante à savoir est qu’on peut véritablement guérir. Au lieu de continuer d’avoir des cauchemars, d’avoir des images qui reviennent à l’esprit, qui gênent, qui font peur, qui font de la peine, ou de continuer d’avoir des émotions qui surprennent, il est possible de dépasser cela en transformant les souvenirs traumatiques en souvenirs tout court. La victime n’oubliera jamais ce qui s’est passé, mais l’événement traumatisant deviendra un souvenir qui ne fera plus mal. Il existe, aujourd’hui, des méthodes de traitement efficaces capables de transformer un traumatisme en un souvenir du passé…
Dr Servan-Schreiber, quel est ou quel sera votre apport en Algérie ?
Nous avons en France une association qui s’est engagée, auprès de la Fondation Mahfoud Boucebci, à former gratuitement des psychologues et des psychiatres à la méthode EMDR en Algérie, de façon à ce qu’elle soit plus disponible pour la population algérienne. Nous avons invité des psychologues et psychiatres à se former à Paris et nous allons maintenant organiser des formations en Algérie, avec une supervision des thérapeutes sur plusieurs années, pour qu’ils soient au même niveau que les thérapeutes dans les pays européens, aux États-Unis et au Canada.
H. A.
15 octobre 2010
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