Edition du Dimanche 25 Décembre 2005
Chronique
Une commémoration anonyme de l’anniversaire du décès de Ferhat Abbas — dommage pour un pays qui ne sait pas reconnaître les siens et tant mieux pour sa mémoire ! — a eu lieu hier au cimetière El-Alia.
Entre adeptes convaincus et courtisans posthumes, ils étaient nombreux à se recueillir sur la tombe du “pharmacien de Sétif”. Il manquait tout de même quelque motivante et présidentielle auspice pour que le souvenir de Abbas soit encore plus rassembleur. Pourquoi célébrer l’âme de quelqu’un dont la gloire n’est même pas rappelée par un message officiel ! C’est l’ENTV qui homologue les mérites des Algériens, morts ou vifs.
La mémoire de Ferhat Abbas se contentera donc d’entrefilets de circonstance. Ce n’est ni d’avoir douté de la consistance nationale de ce qui deviendra sa cause ni d’avoir privilégié la démarche politique à la stratégie révolutionnaire qui lui coûtent le relatif détachement des Algériens. Messali Hadj a connu pire : il est passé du jour au lendemain et sans coup férir du statut de “traître de la révolution”, depuis l’indépendance, à celui “de père de la nation”, depuis 1999. Chez nous, la mémoire, c’est une question de millésime.
Ferhat Abbas lui-même connaissait certains avantages de ces accommodements avec le pouvoir du moment. Malgré les dérives politiques de l’entreprise révolutionnaire, il n’a pas su suspendre sa connivence avec un pouvoir aux prédispositions totalitaires évidentes. Pourtant, l’assassinat de Abane, qui a su lui donner foi dans la révolution, était éloquent de perspectives autoritaires. Tous deux n’avaient pas vu que la violence stratégique du mouvement se reproduisait, à l’intérieur, comme violence tactique du parti.
Malgré sa lucidité politique, l’homme était apparemment d’une grande retenue : incompréhensible pour une logique héritée de la culture FLN, et qui voudrait voir qu’à l’agression du puissant réponde la virulence de l’audace ou la soumission de la lâcheté. Mis en résidence surveillée par Ben Bella, puis par Boumediene, il préférera l’arme de la pensée. Sa vérité, il l’a mise à l’abri du révisionnisme d’État auquel se livrent toujours les pouvoirs illégitimes.
Qui mieux que l’auteur de L’Indépendance confisquée pouvait nous expliquer cette tragédie qui consistait à se libérer comme nation pour être ensuite enchaîné comme peuple ! Sans éclat, mais sans illusion, les convictions bien chevillées, l’homme aura accompagné le destin de son pays, oscillant entre la charnière et la marge de cette marche épique du mouvement national.
En ces temps de confusions, il faudrait peut-être relativiser le sens des hommages. Ils tiennent plus des convenances de système et des bals de clans que de la reconnaissance nationale. C’est à l’histoire que revient le rôle de rappeler ce que fut en elle la place de chacun.
M. H.
15 octobre 2010
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