Edition du Mardi 22 Novembre 2005
Culture
Lorsque dans une exposition, il y a des photos signées d’un écrivain, la curiosité de l’œil s’en trouve davantage aiguisée. Et quand cet écrivain, un Algérien de renommée internationale, est aussi attachant que Mohamed Dib, le risque est double, mais vite pris, de n’avoir d’yeux que pour lui et surtout de reléguer à l’arrière-plan les autres photographes.
Mais surtout, à voir ces photos, prises à Tlemcen en 1946, l’on oublie aisément le photographe pour ne se remémorer que l’écrivain. D’ailleurs ces clichés sont exposés sous le thème : “Tlemcen ou les lieux de l’écriture”. Qu’importent les risques du parti pris ! Car comment ne pas reconnaître dans le regard perdu de cet enfant, les cheveux en bataille, vêtu d’un manteau plus grand que lui et mal boutonné, le petit Omar, héros de la célèbre trilogie de Dib et qui se bat déjà contre la vie ? Et cette vieille femme, un haïk négligemment jeté sur la tête, ne serait-elle pas Lalla Aïni, la mère, qui jette sa colère quotidienne sur le monde entier ? Et ce pan de mur, n’est-ce pas celui de Dar Esbitar qui cache le drame de cette famille et celui de bien d’autres familles algériennes des années 1940 ? Parce que dans les photos de Mohamed Dib, il n’est de zoom que sur la condition humaine de ses concitoyens les plus humbles, volé l’instant d’une colère ou d’une rêverie. Exactement comme le sont les personnages de ses romans et de ses poésies. Cet autre enfant en gandoura, le regard fixé sur l’objectif de l’appareil, c’est bien celui de L’enfant-Jazz, qui dit : “ Des bêtes dorées venaient, elles le fixaient dans les yeux, et l’œil dans l’œil passaient. (…) Ici je suis, disait-il, ici, et il me cherche loin.” De sa ville natale, Tlemcen, Mohamed Dib a su, par la photo aussi, et c’est là la découverte de cette expo, s’élever à l’universel. En revanche, le photographe marocain, Thami Benkirale, a préféré, lui, revenir à ses moutons. Chez ce natif de Fès, l’ovin est celui de l’Aïd El Kebir, lorsque le rituel du sacrifice se passe dans un immeuble dont la cour, lorsqu’il y en a, se transforme en abattoir où ruisselle le sang des bêtes égorgées. Zwelethu Mthethwa, le Sud-Africain, a revisité, en 1999, son pays par ses maisons sacrées. Des personnages, noires de peau en habits hautement bigarrés, posent ostensiblement pour le photographe. Une manière de s’affirmer et de suggérer, par le regard, que l’apartheid est encore vivace dans les esprits.
Plus en arrière dans l’histoire des peuples, l’île de la Réunion enfin piégée, entre mer et volcan et surtout par les clichés de la colonisation. Des troupes et encore des troupes de soldats qui défilent, des bâtiments au style colonial. Ces photos prises au début de XXe siècle par André Albany, natif de cette île, sont un témoignage de l’histoire toujours en mouvement, comme le ressac des vagues. Comme l’œuvre de Mohamed Dib est revenue à l’Algérie.
Samir Benmalek
Bamako V, Suites – Expo photo. CCF d’Alger. 7, rue Hassani-Issad. Visible tous les après-midi jusqu’au 30 novembre. Entrée libre.
15 octobre 2010
Non classé