Edition du Mardi 01 Novembre 2005
Culture
Louable initiative que celle des éditions Zirem qui ont eu l’idée géniale de publier l’enquête d’Albert Camus sur la Kabylie, parue dans Alger républicain dans les années 1930.
Misère de la Kabylie est un recueil de reportages sur les conditions de la Kabylie, parus dans Alger républicain entre le 5 et le 15 juin 1939. Parce que ces textes sont méconnus du large public, les éditions Zirem ont décidé de les publier en un livre agrémenté, en annexe, du discours d’Albert Camus prononcé à Stockholm, le 10 décembre 1957, à l’occasion de son obtention du prix Nobel de littérature.
“Les reportages parus dans le quotidien Alger républicain sous le titre Misère de la Kabylie sont le fruit d’un effort journalistique qui sauvegarde une partie sensible de l’histoire de l’Algérie coloniale. Un témoignage émouvant et lucide. Ces textes forts et authentiques sont méconnus par un large public en Algérie et ailleurs. C’est, entre autres, pour cette raison que nous avons envisagé leur publication”, note l’éditeur dans sa présentation du livre. La parution de cette enquête sur la misère en Kabylie a été suivie par “les milieux arabes et kabyles” avec un “intérêt passionné”. Mais, côté colon, elle “avait provoqué de l’émoi dans certains “cercles” toujours portés à voir une atteinte à leur prestige dans chaque manifestation de la vérité”, écrit Alger républicain sous la plume de Antar. Il faut dire que pour la presse de l’époque, les problèmes de la Kabylie étaient dus au climat et à la chaleur qui seraient responsables de tous les maux de la région. Sinon, tout allait bien.
Orage dans le ciel serein du colonialisme
“Il est méprisable de dire que le peuple kabyle s’adapte à la misère. Il est méprisable de dire que ce peuple n’a pas les mêmes besoins que nous… Il est curieux de voir comment les qualités d’un peuple peuvent servir à justifier l’abaissement où on le tient et comment la frugalité proverbiale du paysan kabyle est appelée à justifier la faim qui le ronge”, écrivait Camus en 1939 pour dénoncer l’ordre colonial, et la pauvreté et l’abaissement auxquels étaient réduits les “musulmans”.Misère de la Kabylie est donc le tollé soulevé par Camus, le militant, dans la presse des années 1930 pour protester contre les conditions sociales inhumaines de ses “frères” de Kabylie.En fait, Camus avait adhéré au PCF en 1935 ; sa pièce Révolte dans les Asturies a été interdite par les autorités de l’époque. Il était particulièrement sensible à tout ce qui touchait à l’Algérie qu’il vivait profondément comme sienne.
“La terre du bonheur, de l’énergie et de la création”, disait l’enfant de Belcourt de l’Algérie qui l’a vu naître et se découvrir la passion de l’écriture. Une écriture qui, chez Camus, témoigne de l’indignation d’un “citoyen” du sort réservé à ses semblables (voir aussi la Peste). Le texte se lit aussi dans une perspective ethnologique, comme un témoignage sur l’organisation sociale des Kabyles.
“Ces propos des années 1930 peuvent interpeller la Kabylie d’aujourd’hui et l’Algérie contemporaine. Observateur averti, l’auteur de la Peste comprend l’amour absolu que les Kabyles, comme tous les Amazigh, les hommes libres, vouent pour la liberté. Incroyable sous d’autres latitudes : la société kabyle ne prévoit même pas de prison pour ceux qui fautent ; elle se contente de les mettre en quarantaine, de les bannir. Mais, souvent ce bannissement est plus dur que la prison”, peut-on lire sur la quatrième de couverture du livre.
M. Fenzy
Misère de la Kabylie, Albert Camus, éditions Zirem, 128 pages, prix : 325 DA.
14 octobre 2010
LITTERATURE