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La sécurité sanitaire des aliments en algérie: Quels rôles pour quels acteurs ? par Dr B. MOUSSA BOUDJEMAA*

14 octobre 2010

Contributions

Chaque année, le 16 octobre, la FAO célèbre la Journée mondiale de l’alimentation, qui commémore la date de sa création, en 1945. Le thème de cette année est «Unis contre la faim».

En 2009, le seuil critique d’un milliard de personnes souffrant de la faim dans le monde a été atteint, en partie à cause de la flambée des prix des denrées alimentaires mais surtout de l’égoïsme des pays développés et de l’incurie des gouvernants de certains pays sous développés. 90% des personnes affectées par la famine se trouvent en Asie et en Afrique subsaharienne. Dans cette dernière partie du monde, 30% de la population souffrent de la famine, soit environ 200 millions d’âmes.



En Algérie, certes, grâce à Dieu, on ne meurt pas encore de faim, mais la sécurité alimentaire n’y est pas pour autant assurée.

Les crises alimentaires, de plus en plus médiatisées, ont fait de la sécurité des aliments une préoccupation politique majeure. Durant les vingt dernières années, l’industrie alimentaire est passée de l’examen traditionnel du produit fini à la gestion de la qualité à travers les procédés de production. Deux expressions clés sont devenues incontournables, à savoir : «HACCP», un acronyme anglais signifiant «Hazard analysis and critical control point», et «de la ferme à la table». Il s’agit, pour la première, d’une démarche de sept étapes mise au point à la fin des années 60 pour lutter contre la contamination microbienne des aliments utilisés dans le programme spatial américain. Quant à la seconde, une stratégie «de la ferme à la table» suppose que la qualité se construit, non seulement au cours du processus de transformation, mais également tout au long de la filière, depuis les premiers stades de production de la matière première jusqu’aux stades finaux de préparation des aliments pour la consommation.

Parmi les tendances récentes, on observe don une orientation vers la normalisation des procédures, en particulier le système HACCP. On observe également un accroissement du rôle des règlements de sécurité sanitaire dans le commerce international et un renforcement des normes. La mise aux normes de sécurité des aliments devient une exigence du marché. Malheureusement, en Algérie, ces normes peinent à se mettre en place. Chez nous, le tissu industriel agroalimentaire est composé essentiellement de petites et moyennes entreprises. La crainte est que l’actuel environnement réglementaire local (peu exigeant) empêche nombre de ces entreprises de relever les défis de la qualité et de l’exportation. Il est vrai que l’installation et le fonctionnement de systèmes de management de la sécurité des aliments sont onéreux mais la qualité finit toujours par payer (cf Le quotidien d’Oran du 14/10/09). Ceci a été vérifié dans le cas d’entreprises qui ont pris la décision de montrer à leurs clients les preuves d’une meilleure maîtrise de la qualité. Le dilemme est que si l’Algérie venait à introduire les mêmes types d’exigences réglementaires européennes pour le marché local, ceci aura pour conséquence de renforcer les avantages des grandes entreprises (dont les multinationales installées en Algérie). Cela c’est déjà passé en Amérique Latine où depuis les années 90, de grandes multinationales américaines et européennes, capables de faire valoir leurs moyens à répondre aux exigences des normes, ont pris de grandes parts de marché notamment dans les grands centres urbains.

Un programme national pour la mise en œuvre du système HACCP devrait être déjà en place en prévision de l’entrée de l’Algérie à l’OMC. Le respect des normes de qualité et de sécurité pourra, peut-être, aider l’industrie agroalimentaire algérienne à endiguer la concurrence étrangère, dont les produits reviendraient certainement moins chers que ceux de la production nationale si des droits de douane venaient à être supprimés.

Dans un tel contexte, le rôle des professionnels et des consommateurs dans la gestion de la sécurité alimentaire reste tributaire du rôle du premier acteur : l’Etat. En fait, l’aide de l’Etat pour l’amélioration de la salubrité des aliments reste indispensable. Plusieurs exemples d’Etats qui ont été les catalyseurs du succès remporté par les programmes d’amélioration de la salubrité des aliments de leurs pays sont cités dans la littérature spécialisée : la Thaïlande pour les produits de la mer, le Costa Rica et le Vietnam pour les fruits et légumes et le Sénégal pour l’arachide. L’aide des Etats à ces programmes, notamment pour le financement de la participation de consultants-qualité, a été décisive. Ces programmes ont créé des marchés pour des aliments plus sains, grâce aux points de vente au détail rattachés aux projets, et aux labels de qualité accordés aux produits. Ces programmes ont permis d’ouvrir la voie à la généralisation de normes de qualité supérieures et obligatoires et donc à des garanties minimales de sécurité.

L’Etat doit déléguer une part de responsabilité aux professionnels du contrôle de qualité de l’industrie et la réglementation doit être plus rationnelle. Il faut passer de la logique actuelle basée sur les contrôles répressifs et les sanctions très peu dissuasives à un système de maîtrise moderne fondé sur des mesures préventives et un dialogue permanent entre les représentants des pouvoirs publics et les professionnels.

Cette approche pourrait offrir une occasion particulière aux directions de commerce -qui ne disposent pas toujours des moyens nécessaires- d’être plus efficaces dans leurs missions, qu’il s’agisse de leur portée géographique ou de la gamme des produits qu’elles doivent contrôler . Les fonctionnaires de ces directions qui interviennent dans le domaine alimentaire doivent également acquérir de nouvelles qualifications pour être plus efficaces.

Le rôle des consommateurs est double : ils sont d’une part le dernier maillon de la filière et, d’autre part, les défenseurs et les gardiens de la réglementation. La participation de la société civile est indispensable pour compléter le rôle de l’Etat et des professionnels. Les associations de consommateurs doivent être plus actives dans la lutte contre les maladies d’origine alimentaire, malheureusement, la nature des ces associations dans notre pays fait qu’elles sont incapables de mobiliser un nombre suffisant d’adhérents pour influencer la politique.

Par conséquent, les services publics se devenus de fait le moteur d’actions de promotion de la sécurité des aliments et le gouvernement a pris pour lui-même le rôle de protecteur du consommateur qui, théoriquement, devrait être celui de la société civile. A cet égard, il est intéressant par exemple d’observer que l’Algérie a bien légiféré sur les OGM en 1987 déjà et ce sans la moindre mobilisation de l’opinion publique ni pour ni contre les OGM.

Cependant, nous pensons qu’il serait préférable que l’Etat apporte un soutien logistique et financier aux associations de protection des consommateurs afin d’en favoriser le développement. Des nouveaux besoins ont été créés, dans ce domaine, par l’urbanisation et le le changement des habitudes alimentaires. L’éducation sanitaire devient alors essentielle.

S’il est un domaine d’intervention où l’Etat peut être utile pour améliorer la sécurité sanitaire des aliments c’est bien celui de la recherche scientifique. Dans ce domaine, les besoins en recherche sont énormes et couvrent la totalité des activités de management du risque alimentaire, d’amélioration de la sécurité sanitaire des aliments et des méthodes de contrôle de la qualité. Il s’agit -entre autres- de mieux comprendre les dangers relatifs à la consommation des aliments (leurs nature, leur fréquence, leur sévérité) et de voir comment les éliminer ou les réduire. Les moyens d’optimisation des méthodes de détection de prévention et de traitement à faible coût sont autant de thèmes de recherche. Dans cette optique, les programmes de nationaux de recherche (PNR) initiés par la direction générale de la recherche scientifique et du développement technologique (DGRSDT) peuvent être cités en exemple (du moins en ce qui concerne leur objectif principal). L’objectif principal des PNR est de répondre aux préoccupations de l’environnement socio-économique. Cet objectif est d’autant plus judicieux que dans ce cadre beaucoup de résultats peuvent être obtenus à partir d’expériences éprouvées de certains pays plus avancés dans ces domaines.

Le secteur agro-alimentaire algérien dans sa globalité, ne dispose pas des moyens nécessaires pour réaliser ou financer des travaux de recherche. En effet la plupart de nos PME agro-alimentaires n’ont même pas de carnets de commande d’analyses suffisants pour faire vivre un laboratoire de contrôle de qualité et justement un nouveau contexte s’installe et commence à exercer une pression sur les laboratoires d’analyse impliqués dans la sécurité des aliments, pour les tendre vers l’accréditation. Cette pression est d’ailleurs ressentie également dans les laboratoires de recherche de l’université algérienne. Dans les pays développés, il est exigé que les laboratoires d’analyse et de contrôle soient accrédités. L’accréditation est perçue comme une garantie de la qualité d’analyse : elle est obtenue lorsque sont respectées les conditions d’un cahier de charge spécifique d’accréditation tel que ceux de l’Organisation internationale de normalisation (ISO).

Pour répondre à cette situation, une collaboration Etat – secteur économique est indispensable pour que des travaux de recherche et/ou de contrôle puissent s’effectuer dans de meilleures conditions. On devrait encourager et accompagner matériellement l’accréditation des laboratoires universitaires pour ensuite les inciter à lancer des programmes de collaboration avec les PME agroalimentaires. Cette collaboration comprendrait la formation aux bonnes pratiques d’hygiène, aux bonnes pratiques de fabrication, au système HACCP, et aux SMSDA. Ces laboratoires prendraient en charge l’analyse des produits alimentaires fabriqués par les entreprises et réaliseraient des expériences in situ au sein des entreprises. Ainsi l’utilisation des données du terrain pour effectuer des travaux de recherche ne serait plus un exercice de haute voltige.

D’autre part, la collaboration entre les équipes de recherche locales et des équipes provenant de pays ayant une plus grande expérience dans les sciences et technologies alimentaires pourrait contribuer à relever le niveau et la qualité de nos laboratoires de recherche et de contrôle. Les laboratoires nationaux de contrôle doivent intégrer des réseaux de laboratoires afin d’en favoriser la viabilité et l’accréditation éventuelle.

Les laboratoires constituent des outils essentiels au sein du système de gestion de la sécurité, ils devraient donc en principe bénéficier de l’aide de l’Etat. A l’évidence, nous n’avons pas des difficultés à trouver les ressources nécessaires. Il s’agit juste de savoir à quel niveau se situe la sécurité des aliments parmi l’ensemble des préoccupations de nos gouvernants ?

En investissant dans la sécurité des aliments, l’Etat investit dans un des facteurs essentiels de santé publique et de développement économique. On peut sauver des vies ou réduire le nombre de jours de maladie, juste en jouant sur le levier de la sécurité des aliments.

Ce que l’Etat investit dans la sécurité des aliments, il le récupérera dans le développement économique. Il est intéressant, ici, de comparer les bénéfices (en termes de maintien de marchés ou d’ouverture de nouveaux marchés) qui découlent des dépenses liées à la sécurité alimentaire (par unité de coût évidemment), aux bénéfices tirés de projets économiques bénéficiant de l’aide de l’Etat (telle la promotion des exportations, développement des investissements industriels ou la construction d’infrastructures.)

Dans ce contexte, nous ne comprenons pas pourquoi, dans le domaine de la sécurité des aliments, l’attention est portée uniquement sur les secteurs à vocation exportatrice. L’Algérien n’a-t-il pas droit lui aussi à une bonne bouffe ? Pourquoi les algériens seraient-ils plus exposés à des produits alimentaires contaminés que les citoyens d’autres pays aussi développés soient-ils ?, En effet, en réponse à la demande des consommateurs pour une alimentation saine, les réglementations des pays développés ont élevé le niveau des obligations que doivent respecter les fournisseurs de produits alimentaires souhaitant vendre sur leurs marchés. Ainsi les normes concernant les pesticides, les résidus de médicaments vétérinaires, les mycotoxines, les allergènes ainsi que les agents de contamination microbienne ont toutes été renforcées.

Les exigences du marché algérien étant moindres, l’aspect de la sécurité alimentaire n’y bénéficie pas de la même priorité. L’urbanisation avec le recours à des aliments préparés hors-domicile a aggravé cette situation. Certes les acquis techniques et managériaux dus aux exportations pourraient favoriser l’émanation d’une culture de la qualité au sein de l’industrie agroalimentaire locale, mais comme il n’existe aucune relation entre les deux types de marchés, cet effet positif espéré pourrait ne jamais devenir réalité. Les effets des améliorations apportées pour les produits à l’exportation peuvent même être néfastes pour le marché local si l’entreprise exportatrice procède à un tri des produits destinés à l’exportation en laissant les autres (de qualité inferieure ou contenant un taux supérieur d’agents de contamination) pour la consommation locale.

Le gouvernement se doit de savoir comment il peut favoriser des relations entre les entreprises performantes exportatrices et les producteurs fournissant le marché local par des activités de formation et autres mécanismes d’appui. C’est l’un des objectifs de l’ex Ministère des PME PMI, (aujourd’hui ayant fusionné avec le ministère de l’Industrie) qui a commencé à encourager les PME agroalimentaires à adopter un programme de mise à niveau.

En Europe, Les autorités ont été sensibles à l’évolution de la notion de contrôle de qualité au sein de l’industrie et sont, en fait, partiellement à l’origine de l’adoption massive de programmes HACCP par le secteur agroalimentaire. Ces autorités accordent de moins en moins d’importance aux règlements concernant les produits finis (niveaux maximaux de tolérance pour les agents de contamination, par exemple) et de plus en plus à ceux visant les procédés de production. Ceci a débouché, logiquement, sur une politique d’adoption obligatoire de l’HACCP, notamment dans certaines filières (produits à haut risque tels que les produits d’origine animale). Les réglementations concernant les procédés font passer la responsabilité principale de la sécurité aux professionnels. Il s’agit de passer d’une approche d’un « juge et partie » unique : l’autorité à une approche faisant répartir les responsabilités entre plusieurs parties : Etat, professionnels et consommateurs.

Nous pensons qu’il faut rechercher dans les approches de gestion de la sécurité des aliments inspirées de la démarche HACCP. Nous ne disons pas qu’il faut introduire des programmes comprenant ce système dans toute sa rigueur (avec la documentation, la tenue des archives et les audits internes, etc..), mais plutôt d’utiliser simplement l’approche HACCP comme guide pour définir des problèmes et des solutions pour améliorer la sécurité des aliments.

L’optique filière doit être privilégiée pour l’identification des dangers compte tenu de la multiplicité des sources de contamination, il est, peut être, préférable de travailler avec les professionnels pour limiter les risques, plutôt que d’imposer des sanctions répondant à des réglementations strictes mais sans rapport avec la réalité de l’environnement.

En résumé, nous pouvons retenir ce qui suit:

Des problèmes éthiques se posent chez nous lors du processus de la mise à la consommation des denrées alimentaires. L’éthique implique qu’une alimentation saine doit être un droit pour tous. La sécurité alimentaire doit être garantie par l’Etat et quel que soit le coût de cette garantie, il doit être supporté par la société.

L’amélioration de la sécurité sanitaire des produits destinés à l’exportation pourrait avoir des retombées positives, en boostant les marchés locaux.

L’adoption du système HACCP ne peut être que rentable. Cette rentabilité s’entend tant en termes d’amélioration de la sécurité que sur le plan financier.

L’Etat doit jouer le rôle qui lui est approprié : celui d’acteur majeur mais partageant la responsabilité avec les autres acteurs.

Le niveau de priorité qui doit être accordé à la sécurité des aliments par l’Etat doit être revu à la hausse parce que dans ce domaine, Il ne s’agit pas de choix individuels, mais de contraintes individuelles, ceci milite en faveur de garanties publiques des normes de sécurité.

Des pays voisins ont réussi leur transition complète aux méthodes HACCP, l’un pour son marché local, l’autre pour son marché à l’exportation. Pourquoi pas nous ?

*Directeur du LAMAABE Université Aboubekr Belkaïd Tlemcen

À propos de Artisan de l'ombre

Natif de Sougueur ex Trézel ,du département de Tiaret Algérie Il a suivi ses études dans la même ville et devint instit par contrainte .C’est en voyant des candides dans des classes trop exiguës que sa vocation est née en se vouant pleinement à cette noble fonction corps et âme . Très reconnaissant à ceux qui ont contribué à son épanouissement et qui ne cessera jamais de remémorer :ses parents ,Chikhaoui Fatima Zohra Belasgaa Lakhdar,Benmokhtar Aomar ,Ait Said Yahia ,Ait Mouloud Mouloud ,Ait Rached Larbi ,Mokhtari Aoued Bouasba Djilali … Créa blog sur blog afin de s’échapper à un monde qui désormais ne lui appartient pas où il ne se retrouve guère . Il retrouva vite sa passion dans son monde en miniature apportant tout son savoir pour en faire profiter ses prochains. Tenace ,il continuera à honorer ses amis ,sa ville et toutes les personnes qui ont agi positivement sur lui

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